Permettez-moi de contester votre appréciation, cher Lycobates, dans ce cas de conscience fascinant.
pour légitimer un acte à double effet (un bon, l'autre mauvais) la première condition requise est que l'acte en soi n'est pas intrinsèquement mauvais.
Nous sommes d'accord.
C'est le premier point qui ici ne paraît pas avéré : détruire un avion avec 163 innocents + 1 n'est pas un acte moralement indifférent ou bon.
Nous ne sommes plus d'accord, car "l'acte en soi" à mon avis est la destruction de l'avion. La mort inévitable des 163 passagers (et même du terroriste) est une
conséquence de cet acte.
À présumer la proportion entre le bon effet (nombre d'innocents sauvés) et le mauvais effet (nombre d'innocents perdus), le gros problème moral qui subsiste à mon sens se trouve au niveau de l'immédiateté relative de ces deux effets.
Je vous invite à supposer un cas légèrement différent : un avion hors de contrôle n'ayant à bord qu'un pilote déjà décédé va s'écraser (sa trajectoire le rend moralement certain) sur un stade de foot. (Nous présumons que les 70 000 spectateurs sont des humains.) Peut-on tirer sur les réservoirs de carburant pour provoquer l'explosion de l'avion au-dessus d'un champ voisinant ? Manifestement
affirmative.
Maintenant ajoutez un passager, vivant et innocent. Sa mort sera, j'estime, précisément l'effet secondaire, non voulu, de la destruction de l'avion qui est le moyen, en soi légitime, de sauver les spectateurs. Le principe du double effet peut donc valoir dans ce cas.
Multipliez le nombre de passagers autant que vous voulez tant qu'il restera infime par rapport au nombre de spectateurs, et la moralité ne changera pas de beaucoup.
Voilà pour la théorie. Seulement qu'en réalité la mort des spectateurs ne serait guère certaine, car pour avoir le temps d'agir la trajectoire laisserait un élément de doute. Et même dans le cas du terroriste-détourneur, cet élément de doute subsisterait, rendant la mort des passagers plus immédiate que celle des spectateurs - d'où mon hésitation sur la licéité
in casu de l'intervention du pilote de guerre. Pourtant vu les appréciations à faire
in ictu oculi je le trouverais certainement non coupable de meurtre. (À la différence, par exemple, de
Dudley et Stephens.)
JSD
Salvo semper meliori judicio.