Chers amis,
ce fil est très intéressant. Il est normal que nous y fassions tous assaut d'ignorance, car nous ne faisons que balbutier notre foi. Quand nous serons assez perméables à l'espri-saint, notre langue sera déliée pour l'exprimer dans toute son ampleur et profondeur. Mieux vaut balbutier notre foi que chercher les formules de nouvelles croyances. L'essentiel de la critique du modernisme que fit saint-Pi x porta sur le fait qu' il ne s'agissait pas de laisser les fidèles trouver des formules qui correspondissent à leur envie de croire. Il fallait rester au plus près de la révélation. Et pourtant, le désir dans la foi peut être lui aussi un élément d'inspiration qui, si nous le laissons passer, laissant le Saint-esprit en trier livraie et le bon grain, peut nous ouvrir à des vérités de foi dans le développement intérieur de la compréhension des Ecritures, qui ne saurait être figée, ni s'exprimer uniformément dans des termes qui sont devenus obsolètes et ne renvoient à rien qui soit actuellement vécu par les hommes d'un temps déterminé. La preuve de la certaine inéluctabilité du modernisme, c'est qu'il s'est imposé assez naturellement, même s'il a été un peu aidé, non parce que chacun voulait penser à sa mode, mais parce que chacun a eu besoin de transmettre, dans le langage de son expérience, le donné de la foi. Chacun éprouve le besoin de conjuguer l'existence de dieu avec sa propre expérience.
Cela posé, beaucoup de questions ont été soulevées dans ce fil, qui faisaient également problème pour moi. Comme Semetipsum, j'étais gêné par l'expression "non sanglant" pour décrire le "sacrifice eucharistique". Il me semble que le point a été fait pour montrer qu'à la fois l'eucharistie est la réactualisation d'un sacrifice unique, et que, si le Christ y revit Ses souffrances, c'est dans l'ordre spirituel. Il me semble essentiel d'être au clair sur ce qu'éprouve le christ tandis qu'Il nous régénère et qu'Il soutient le monde
Il a également été dit que les protestants ne croient pas que, dans la sainte cène, le christ soit Réellement et Substantiellement Présent. C'est vrai, à l'exception des luthériens. Quant aux évangélistes, la multiplicité de leurs courants est telle qu'ils ne peuvent que diverger là-dessus comme sur le reste.
Mais je voulais surtout insister sur le fait que le "Mémorial juif" a été traversé par les mêmes débats que les nôtres à propos de l'eucharistie. Faire mémoire, est-ce simplement se souvenir ou refaire un geste pour réactualiser un moment biblique, celui du grand Passage de l'esclavage à la liberté, de l'egypte à la sortie d'egypte? Or c'est cette seconde interprétation qui l'a emporté. Ce qui fait la condition du juif, c'est de répéter la sortie d'egypte, comme aussi, mais plus accessoirement, les différents épisodes manifestant la fidélité de dieu au cours de l'année et au fil des fêtes du calendrier biblique. Il en va de même dans l'Invocation de dieu:
"ecoute Israël, je suis le Seigneur, Ton dieu, Celui qui t'a fait sortir du pays d'egypte."
La répétition de ceci n'a pas pour but de rappeler à dieu qui Il Est, mais d'enraciner l'homme dans l'acte libérateur de dieu, prolongé à perpétuité par le rappel qu'on en fait devant dieu Lui-même.
On retrouve le même aspect d'une mémoire qui enracine ce dont elle répète le souvenir dans l'invitation à prier:
"souviens-Toi de nous, seigneur."
Ce n'est pas que dieu puisse jamais nous oublier; mais il faut nous lier de Mémoire avec Lui, nous enraciner dans ses Promessses et Lui montrer que nous leur sommes attachés. De même, Jésus, "avant de retourner de ce monde à son Père", nous présente la réception de l'Esprit-Saint, ce souffle qu'Il envoie une première fois à ses apôtres avant la pentecôte, ce même souffle par Lequel nous fûmes créés, comme une anamnèse de dieu qui nous préserve d'en être "orphelins". Le mémorial tient donc à la fois de la réactualisation d'un Acte divin, de l'expression du sentiment d'un manque tel qu'il nous faut un pont entre la terre et le ciel, et de la circulation concrète de nous qui demandons à monter vers dieu et de dieu Qui descend vers nous pour nous préserver d'être "en deuil de Lui". Le mémorial, c'est un peu comme l'échelle de Jacob; et le Sacrement, c'est, à travers nos maigres efforts de présence et de respect de la matière et de la forme, une descente de dieu pour produire ce qu'Il veut signifier. Le sacrement, c'est la grâce incarnée descendant de l'échelle de Jacob au bas de laquelle nous nous tenons. Tout cela doit être bien mal dit, mais moi aussi, je ne fais que balbutier.