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Réponse à Peregrinus...
par Signo 2024-08-31 15:51:41
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... suite à sa stimulante intervention publiée ici.

Comme je l'ai écrit explicitement, mon propos était un résumé, je ne peux pas en une dizaine de lignes entrer dans tous les détails et mettre toutes les nuances qui seraient nécessaires, mais je vous rassure: ces nuances existent bien dans ma tête.

Je n'ai pas écrit que les textes patristiques avaient été "oubliés" et je suis bien conscient qu'ils sont restés une référence majeure dans la vie de l'Eglise jusque aujourd'hui, ne serait-ce que par le biais de la liturgie et notamment de l'office des Matines qui était chanté dans toutes les cathédrales et collégiales jusqu'à la Révolution. Il me semble me souvenir qu'au XVIIe siècle, Bossuet affirmait déjà qu'il n'y avait jamais eu de renouveau dans l'Eglise sans un retour à la théologie des Pères. Au XIXe siècle on a eu Dom Guéranger et la patrologie de Migne, au XXe les Sources chrétiennes etc.
Seulement voilà, une chose est de garder les textes patristiques comme référence majeure, une autre est de rester, sur les plan liturgique, théologique, dans le domaine de la spiritualité, dans la continuité et dans l'esprit des Pères. On en a un bel exemple avec la belle figure de l'abbé de Rancé, réformateur cistercien et refondateur de la Trappe, au XVIIe siècle. Rancé voulait revenir aux sources ascétiques du monachisme et donc à l'austérité des Pères du désert qui étaient une référence majeure pour lui. Seulement voilà, parce qu'elle ne constituait qu'une reconstitution de l'ascétisme des Pères tel qu'on se l'imaginait au XVIIe siècle, mais sans immersion dans le véritable esprit des Pères, son expérience monastique a été marquée par toutes sortes d'excès (nourriture insuffisante en quantité et en qualité, pénitences et austérités excessives, etc) qui faillirent mettre à mal la tentative de réforme à laquelle il aspirait (la plupart de ses moines tombaient malades et certains en son morts). S'il avait été imprégné de l'esprit des Pères du monachisme des premiers siècles, il aurait intégré à sa tentative de réforme la notion patristique de discrétion, qui dans son contexte ancien signifie équilibre, mesure en tout, y compris dans les pratiques ascétiques, ce qui lui eût évité bien des dérives. On pourrait donner beaucoup d'autres exemples de ce genre, notamment concernant le fameux "retour aux Pères" du milieu du XXe siècle, qui bien souvent a été l'occasion de mettre en oeuvre certaines pratiques prétendument antiques (la messe face au peuple par exemple) qui étaient en fait très modernes et récentes. Lorsque l'on a perdu l'esprit des origines, tout retour aux sources abouti à des reconstitutions artificielles et archéologisantes.

L'infaillibilité et l'universalité de juridiction en elles-mêmes relèvent du dépôt de la foi mais pas leur mise en application actuelle, c'est à dire ce modèle ultra centralisé dans lequel le pape nomme tous les évêques y compris ceux de diocèses situés à l'autre bout du monde, ce modèle dans lequel le pape se mêle de tout et décide de tout, y compris ce que l'on doit mettre dans les feuilles d'annonces paroissiales, quels livres liturgiques on peut ou non faire imprimer, comment telle communauté doit s'habiller, etc. Les deux réalités doctrinales pourraient tout à fait être maintenues mais avec un mode d'organisation ecclésial très différent, plus décentralisé: élection des évêques par le chapitre canonial, autonomie liturgique avec rites locaux, etc. Le Roi d'Angleterre règne théoriquement sur l'Australie et le Canada mais ne se mêle pas pour autant des affaires internes de ces deux pays. Ce n'est pas parce que l'on dispose théoriquement d'un pouvoir que l'on est obligé de s'en servir.

Tout phénomène historique est ambivalent: vu d'un certain point de vue, il constitue une réponse plus ou moins efficace à certains problèmes, mais vu sous un autre angle, il implique des déviations, un éloignement de l'esprit originel; lorsqu'il s'étale et s'amplifie sur plusieurs siècles, il peut aboutir à un modèle ecclésial tellement éloigné de ce qu'a voulu le Christ qu'il suscite légitimement la contestation. D'où la nécessité des réformes, qui elles-mêmes sont toujours ambivalentes. On peut avoir un droit canon sans tomber dans le juridisme, qui est en soi une dérive puisqu'il implique d'être non pas le rempart du spirituel, mais de se substituer à lui. On pourrait donner de nombreux exemples: dans le catholicisme moderne, et c'est encore le cas aujourd'hui, on en vient à se satisfaire d'une messe par le seul fait qu'elle soit "valide" (notion purement juridique). Le fait qu'elle soit totalement appauvrie et anémiée sur le plan du symbolisme liturgique, rendant le mystère eucharistique incommunicable ou presque aux fidèles, ce qui reste le coeur du problème, passe au second plan. Autre exemple, la notion de régularité canonique tend a effacer tout autre critère: on déclare la fréquentabilité s'une communauté sur la seule base de sa régularité canonique, sans se soucier de savoir si ce qu'elle vit concrètement sur les plan liturgique, spirituel, etc s'inscrit dans la Tradition de l'Eglise, tandis que l'on va rejeter une communauté s'inscrivant parfaitement dans la tradition ascétique et liturgique de l'Eglise, par le seul fait qu'elle n'a pas ou pas encore de statut canonique. On oublie par là que la vie prime et précède le droit, et que ce dernier n'est là que pour donner un cadre et une reconnaissance officielle à une vie pleinement catholique, et non à déclarer artificiellement légitime des formes de vie ecclésiale étrangères à la tradition catholique.

Je ne pense pas être marqué par le romantisme médiévaliste (contrairement à un Dom Guéranger par exemple). Je ne considère pas le Moyen-Age ni même l'âge patristique comme un "âge d'or" indépassable. L'âge patristique est un âge sombre sur le plan ecclésial (schismes et hérésies en nombre, divisions multiples entre chrétiens, dans un contexte d'effondrement de l'Empire romain, d'épidémies et d'invasions barbares). Le Moyen Age (qui s'étale sur mille ans!) est une succession de périodes plus ou moins prospères et de périodes troublées voire cataclysmiques. Il n'en reste pas moins que la pensée théologique allant des Pères apostoliques jusqu'à Saint Bernard, malgré ses insuffisances, ses ambivalences et son caractère parfois erratique, reste globalement une pensée théologique gardant un certain équilibre et une grande continuité spirituelle avec les données originelles de la Révélation et de la Bible, ce que l'Eglise elle même a toujours officiellement reconnu.

La Renaissance, déjà préparée par le Moyen-Age finissant (XIIIe-XIVe siècles) a marqué une nette inflexion avec cet équilibre, et même une forme de rupture entraînant des conséquences sur le plan de la spiritualité et de la liturgie à mon sens extrêmement graves, mais il serait trop long de m'expliquer en détail là dessus. Là encore le phénomène est paradoxal: cette inflexion et cette rupture ont abouti à la production d'oeuvres et de réalisations artistiques qui constituent parmi les plus remarquables chefs-d'oeuvres de tout l'histoire humaine. Je n'ai donc aucune "haine de la Renaissance". Et ce n'est pas parce que je considère le naturalisme comme effectivement problématique que je suis un obsédé de cette question. Je n'ai évidemment aucun mépris pour la scolastique que j'aurais souhaité voir à l'honneur dans les séminaires comme le réclame Vatican II et la scolastique que je dénonce (et je ne suis pas le seul) n'est pas celle de Saint Thomas.

     

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 Réponse à Peregrinus... par Signo  (2024-08-31 15:51:41)
      Réponse à la réponse par Peregrinus  (2024-08-31 19:27:03)


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