ce rappel bienvenu : « Le droit à l’avortement n’existe nulle part »
Pour Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université Rennes 1 et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel, il est juridiquement problématique de parler d’un « droit à l’avortement ». Recueilli par Nicolas Senèze, le 25/06/2022
La Croix : Comment réagissez-vous à la proposition de loi des députés Renaissance visant à inscrire dans la Constitution française le fait que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » ?
Anne-Marie Le Pourhiet : Nous sommes ici face à un véritable problème de philosophie du droit : comment peut-on consacrer dans une constitution un droit qui n’existe pas au préalable ?
Voulez-vous dire qu’il n’existe pas, en France, de droit à l’avortement, contrairement à ce que tout le monde dit ?
A.-M. L. P. : Non. En France, en défendant en 1974 son projet dépénalisant l’avortement devant l’Assemblée nationale, Simone Veil avait d’ailleurs bien précisé que sa loi ne créait « aucun droit à l’avortement ».
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Comment analysez-vous la décision de la Cour suprême américaine revenant sur le droit constitutionnel à l’avortement ?
A.-M. L. P. : Même aux États-Unis, il était très difficile de parler d’un « droit constitutionnel » à l’avortement. L’arrêt Roe vs Wade de la Cour suprême, en 1973, estimait que la décision d’une femme de poursuivre ou non sa grossesse découlait du droit constitutionnel à la vie privée, lui-même découlant du Quatorzième Amendement à la Constitution voté en 1868 pour protéger les droits des anciens esclaves émancipés. Mais cette vision n’a jamais fait consensus dans le monde juridique américain.
Pour les juges conservateurs, il s’agissait donc de revenir à une vision « originaliste » de la Constitution, selon laquelle jamais ses rédacteurs n’ont entendu créer de droit à l’avortement. Pour eux – et pour moi – reconnaître ce droit ex nihilo ressortait d’un « gouvernement des juges » qui auraient, en quelque sorte, légiféré en contradiction avec la Constitution.
Mais cela ne veut pas dire que la Cour suprême interdit l’avortement. Elle redit simplement que cela ressort de la compétence des États, l’avortement étant permis dans nombre d’entre eux. C’est ce qu’explique l’un des neuf membres de la Cour suprême, le juge conservateur Samuel Alito, dans son opinion qui est à la base de la décision du vendredi 24 juin. Il y rappelle d’ailleurs que, dans l’État du Mississippi, dont la Cour suprême examinait une loi restreignant à 15 semaines de grossesse le droit à l’avortement, les représentants (députés) qui avaient voté de texte ont été élus en connaissance de cause par une forte majorité de femmes. Pour lui, ce vote doit être respecté.
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