Messages récents | Retour à la liste des messages | Rechercher
Afficher la discussion

Pierre Manent: Rapport Sauvé « Accepter le "caractère systémique" fut une faute majeure des évêques »
par pacem tuam da nobis, Domine 2021-12-12 23:22:31
Imprimer Imprimer

Le Figaro, dans un article en libre accès, relaie partiellement l'entretien que Pierre Manent a accordé à RCF Radio Anjou. L'intervention de Pierre Manent peut être écoutée en intégralité sur le site de la radio et elle en vaut la peine.
J'en extrait ci-dessous les éléments qui me paraissent les plus importants, extraits suivis, avec l'autorisation de XA, de la transcription complète de l'entretien. La transcription de l'oral à l'écrit implique nécessairement la suppression des ratés de l'oral (mots répétés, construction syntaxique vacillante, phrases inachevées): ces suppressions sont signalés par les parenthèses carrées [].
Cordialement.
Pacem tuam da nobis, Domine
P.-S.: Il semblerait que l'attitude de l'épiscopat français face au rapport Sauvé commence à soulever des vagues jusqu'au Vatican. Voir l'article de M. Guénois dans Le Figaro ici.
Extraits
1. La manière dont a été remis le rapport: une mise en scène, une scénographie adressée au vrai public du rapport, l'opinion publique

le rapport n'est pas séparable des conditions d'annonce du rapport et des suites données au rapport. 48 heures avant la remise du rapport, les moyens de communication de masse, les radios nationales annonçaient que l'Église allait être submergée par un tsunami de révélations sur le fléau de la pédophilie. Et le rapport a été remis non pas véritablement au Président de la Conférence des évêques de France, mais a été remis à l'opinion, sans que la Conférence des évêques, sans que l'Église ait eu le temps de prendre connaissance, simplement de prendre connaissance de ce rapport qu'elle avait elle-même demandé.



on ne peut pas s'adresser à l'opinion par un chiffre, alors que l'on n'a absolument pas averti l'opinion de la manière dont ce chiffre a été élaboré. Et surtout, on ne peut pas, sur la base de ce chiffre, paralyser l'Église, en quelque sorte lui imposer des réformes ou des recommandations qui sont, aux yeux de l'opinion, rendues en quelque sorte irrésistibles par ce chiffre.



[le rapport] a été remis à l'opinion avant d'être remis à l'Église, puisque l'Église n'a pas eu, n’a pas une minute pour en prendre connaissance et se préparer à répondre à ce rapport.



Ce rapport orchestre d'une certaine façon, orchestre le scandale réel pour en faire le motif, la justification d'une attaque, d'une attaque délibérée contre l'église de la part d'une commission qui n'a aucune légitimité.


2. Le chiffre avancé et son statut:

il fallait d'abord attirer l'attention sur le fait que ce chiffre était obtenu à la suite de choix méthodologiques, d'extrapolations statistiques qui sont, comme toutes les extrapolations statistiques, extrêmement fragiles et surtout qui ne sont pas adaptées au type d'actes que l'on veut inventorier. Donc, ce qui est problématique, je dirais, ce n'est pas le chiffre en lui-même, c'est qu'il ait été annoncé comme il a été annoncé et que son caractère [soit] extrêmement conjectural et, à dire vrai, très peu plausible.


3. Les conséquences de cette mise en scène et du chiffre avancé: la paralysie et la mise sous tutelle de l'Église

qu'est-ce que veut dire «systémique»? Ça veut dire que c'est la structure même de l'organisation qui est coupable. Quelles sont les conséquences? C'est d'abord que les membres individuels, qui sont les vrais coupables, d'une certaine façon sont exonérés, puisque c'est l'organisation qui est coupable. Et d'autre part, si c'est le système qui est coupable ou si l'organisation est considérée comme système, cela veut dire que la réforme de l'organisation ne peut pas venir de l'organisation elle-même. C'est ça, la chose principale. En acceptant que le fléau de la pédophilie soit un fléau systémique de l'Église, l'Église a accepté, nos évêques – je suis désolé de le dire avec tout le respect que je leur dois et que j'ai pour eux – ont accepté de faire que, en quelque sorte, ils aient été déclarés inaptes, inaptes à réformer l'Eglise et que la réforme de l'Église devait venir de l'extérieur, de ceux qui sont extérieurs au système.



Et de fait, les recommandations de la Commission, du moins un certain nombre de recommandations les plus importantes, placent l'Église – comme je l'ai répété plusieurs fois – placent l'Eglise sous tutelle, sous tutelle d'organisations, d'associations qui n'ont aucune responsabilité je dirais dans l'ordre des institutions civiles, aucune responsabilité ecclésiale, mais qui sont des associations ad hoc, en quelque sorte, faites pour réformer l'Église, mais sans aucune autorité d'aucune sorte pour faire cela, bon. C'est cela le plus grave dans l'acceptation du caractère systémique. Là, je le répète, ça a été une faute majeure d'accepter cet adjectif.


4. La “légitimité” de la commission Sauvé est nulle et non avenue et ses propositions empiètent illégitimement et gravement sur les prérogatives propres au gouvernement de l'Église:

Car enfin – c'est une chose que l'on n'examine jamais – à quel titre cette commission prétend-elle réformer la fonction du prêtre? Car, pour employer le langage d'aujourd'hui, au fond, la grande réforme qu’elle promet, c'est de déconstruire le prêtre catholique. Alors, on touche au fond, on touche au sacrement, à la confession, bon ; on recommande de lire l'Évangile d'une certaine façon ; bon, bon, c’est-à-dire, on intervient sur la vie propre de l'Église.



c'est là que l'objection grave intervient, […] [la commission] a pris motif de ce travail – à la fois sérieux et fondé, d'une part, d'autre part, extrêmement hasardeux et extrapolé de l'autre – elle a pris prétexte ou motif de ce travail pour proposer des réformes qui étaient tout à fait au-delà de son mandat et que la Conférence des évêques, assommée par ce chiffre, a eu l'imprudence d'accepter.



D'une certaine façon, l'Eglise a accepté cette tutelle, en particulier, n'est-ce pas, il y a une instance, une instance de reconnaissance et de réparation… C'est une instance qui n'a aucune légitimité, ni dans le droit canonique, ni dans le droit civil. C'est une instance qui n’est…, quin'appartient ni au temporel, si j'ose dire, ni au spirituel. C'est une instance ad hoc et qui va décider souverainement qui a été victime, […] en écartant les éléments élémentaires du droit, qui est quand même l'examen contradictoire de l'accusation.



elle n'est pas catholique, mais enfin, en même temps, elle propose une réforme entière de l'Église catholique. Et il y a là quelque chose qui ne va pas.



il est très important […] de faire les plus grands efforts pour lutter contre ces crimes et ses abus, ça, c'est certain, mais que cela soit fait à partir des principes mêmes de l'Église catholique, non pas en nous mettant sous la tutelle de sociologues, de psychologues, qui ont leur propre idée sur ce que devrait être une organisation sociale.



L'entretien en son intégralité

Thomas Cauchebrais: Notre invité ce soir est philosophe, historien, ancien directeur d'études en philosophie politique à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il est surtout membre de l'Académie catholique, une discrète, mais très honorable institution créée en 2009, composée d'intellectuels catholiques œuvrant pour, je cite, «la place et la reconnaissance dans l'espace public de la production intellectuelle attachée au christianisme, au catholicisme en particulier», nous explique son président d'honneur, Philippe Capelle Dumont, dans un texte de présentation que l'on peut retrouver sur le site web de l'Académie. Elle compte aujourd'hui plus de 200 membres, dont 8 d'entre eux, dont son président Hugues Portelli, ont défrayé la chronique à la fin du mois de novembre puisqu'ils ont critiqué plutôt de manière négative le rapport de la Commission sur les abus sexuels dans l'Église. Pierre Manent, bonsoir.
Pierre Manent: Bonsoir.
Thomas Cauchebrais: Merci d'être avec nous sur RCF Anjou. Vous êtes notre invité à l'occasion de votre passage à Angers pour une conférence devant les étudiants de la filière droit et sciences politiques de l'UCO. Mais c'est un tout autre sujet que la philosophie politique que nous allons aborder avec vous aujourd'hui, puisque vous faites partie de ces 8 intellectuels qui ont critiqué le rapport de la Commission Sauvé. Alors, tout d'abord, expliquez-nous ce qui vous a poussé avec vos sept autres collègues, à vouloir établir une étude critique de ce rapport Sauvé.
Pierre Manent: D'abord, je précise que dans ce rapport, nous en sommes les seuls auteurs. […] Ce sont huit membres de l'Académie catholique, mais qui se sont retrouvés non pas en tant que membres de l'Académie catholique, mais en tant que, disons, enseignants, professeurs, intellectuels catholiques qui ont été profondément choqués par les modalités de ce rapport et qui ont cédé, si j'ose dire, à l'urgence de répondre très vite, immédiatement, parce qu'il n'était pas possible de laisser l'opinion sous – comment dire? – sous ce coup de massue que représentait ce rapport, n'est-ce pas, parce que le rapport n'est pas séparable des conditions d'annonce du rapport et des suites données au rapport. 48 heures avant la remise du rapport, les moyens de communication de masse, les radios nationales annonçaient que l'Église allait être submergée par un tsunami de révélations sur le fléau de la pédophilie. Et le rapport a été remis non pas véritablement au Président de la Conférence des évêques de France, mais a été remis à l'opinion, sans que la Conférence des évêques, sans que l'Église ait eu le temps de prendre connaissance, simplement de prendre connaissance de ce rapport qu'elle avait elle-même demandé. Et donc, elle a été pendant quelques jours assommée, comme assommée par un chiffre faramineux, que tout le monde a pris pour un chiffre, pour – comment dire? – l'addition des faits réels, des faits avérés et donc nous sommes montés au, si j'ose dire, au créneau pour dire que «attention, attention, ce rapport n'est pas ce que l'on vous fait croire qu'il est» et nous avons développé nos critiques.
Thomas Cauchebrais: Alors, justement, votre principale critique, elle se porte sur ce chiffre de 330.000 victimes….
Pierre Manent interrompt son interlocuteur: Non.
Thomas Cauchebrais: Alors, expliquez-nous…
Pierre Manent interrompt son interlocuteur: Non. Notre principale critique ne porte pas sur le chiffre. Bien sûr, ce chiffre est problématique, donc nous avons vu – maintenant, tout le monde le reconnaît – que le nombre de cas documentés avec victimes et coupables, le lieu et le moment est très peu de choses par rapport au chiffre de 330.000 qui a été avancé. Et il fallait d'abord attirer l'attention sur le fait que ce chiffre était obtenu à la suite de choix méthodologiques, d'extrapolations statistiques qui sont, comme toutes les extrapolations statistiques, extrêmement fragiles et surtout qui ne sont pas adaptées au type d'actes que l'on veut inventorier. Donc, ce qui est problématique, je dirais, ce n'est pas le chiffre en lui-même, c'est qu'il ait été annoncé comme il a été annoncé et que son caractère [soit] extrêmement conjectural et, à dire vrai, très peu plausible. Mais ça, moi, je ne peux pas vous dire quel est le chiffre réel. Je n'en sais rien.
Nous ne contestons absolument pas la gravité, l'étendue de la pédophilie dans l'Église, mais nous disons que c'est vraiment une très mauvaise façon de procéder que d'assommer l'opinion sous un chiffre qui est censé résumer un phénomène certes extrêmement déplorable, un fléau, qu’en effet, il faut prendre au sérieux, mais on ne peut pas s'adresser à l'opinion par un chiffre, alors que l'on n'a absolument pas averti l'opinion de la manière dont ce chiffre a été élaboré. Et surtout, on ne peut pas, sur la base de ce chiffre, paralyser l'Église, en quelque sorte lui imposer des réformes ou des recommandations qui sont, aux yeux de l'opinion, rendues en quelque sorte irrésistibles par ce chiffre.
Thomas Cauchebrais: C'est à partir de ce chiffre-là de 330.000 victimes – qui, comme vous l'avez rappelé, est une extrapolation à partir d'un sondage – c'est à partir de ce chiffre-là aussi que Jean-Marc Sauvé a mis en avant la responsabilité systémique de l'Église dans cette crise des abus sexuels. Comment vous interprétez ce mot de «caractère systémique»?
Pierre Manent: Vous savez qu'en général, on considère que les imputations collectives, ce n'est pas la justice, n'est-ce pas : les responsables, ce sont les coupables, n'est-ce pas, ce sont les clercs criminels et éventuellement, des évêques qui n'ont pas joué leur rôle, […] n'ont pas fait leur part du devoir, en quelque sorte, et ont laissé, ou en tout cas ont été aveugles ou passifs devant des faits qui étaient soupçonnés ou avérés, donc…
Thomas Cauchebrais: Mais est ce que, quand ce sont des évêques, donc des responsables de l'Église, qui sont coupables – par exemple, d'avoir caché certains crimes –, est-ce que là, il n'y a pas une responsabilité institutionnelle?
Pierre Manent: Quand un ministre d'un gouvernement est responsable, on ne considère pas que c'est le gouvernement qui est responsable. Première chose : ne pas confondre le membre d'une organisation, d'une association et l'ensemble de l'organisation, bon. Deuxièmement, la notion de caractère systémique. Ça, c'est une proposition extrêmement grave, extrêmement grave. Parce que, qu'est-ce que veut dire «systémique»? Ça veut dire que c'est la structure même de l'organisation qui est coupable. Quelles sont les conséquences? C'est d'abord que les membres individuels, qui sont les vrais coupables, d'une certaine façon sont exonérés, puisque c'est l'organisation qui est coupable. Et d'autre part, si c'est le système qui est coupable ou si l'organisation est considérée comme système, cela veut dire que la réforme de l'organisation ne peut pas venir de l'organisation elle-même. C'est ça, la chose principale. En acceptant que le fléau de la pédophilie soit un fléau systémique de l'Église, l'Église a accepté, nos évêques – je suis désolé de le dire avec tout le respect que je leur dois et que j'ai pour eux – ont accepté de faire que, en quelque sorte, ils aient été déclarés inaptes, inaptes à réformer l'Eglise et que la réforme de l'Église devait venir de l'extérieur, de ceux qui sont extérieurs au système.
Et de fait, les recommandations de la Commission, du moins un certain nombre de recommandations les plus importantes, placent l'Église – comme je l'ai répété plusieurs fois – placent l'Eglise sous tutelle, sous tutelle d'organisations, d'associations qui n'ont aucune responsabilité je dirais dans l'ordre des institutions civiles, aucune responsabilité ecclésiale, mais qui sont des associations ad hoc, en quelque sorte, faites pour réformer l'Église, mais sans aucune autorité d'aucune sorte pour faire cela, bon. C'est cela le plus grave dans l'acceptation du caractère systémique. Là, je le répète, ça a été une faute majeure d'accepter cet adjectif.
Thomas Cauchebrais: Véronique Margron, présidente de la COREF des religieux et religieuses de France, a répondu à votre critique dans la presse en disant, je cite, «que la projection soit discutée, qu'elle soit de 200.000 victimes estimées plutôt que de 300.000 ou de 400.000, cela ne change rien. La dimension systémique tient au fait que des agresseurs ont pu agresser pendant 30, voire 40 ans, qu'ils aient été couverts par leur hiérarchie, parfois même que celle-ci se soit rendue complice.»
Pierre Manent: Écoutez, on ne peut pas…, je trouve vraiment que c'est une façon curieuse de raisonner. On annonce – et c'est l'élément essentiel du rapport – on annonce un chiffre et quand ce chiffre est contesté, on dit, mais le chiffre n'a pas d'importance. Alors, si le chiffre n'a pas d'importance, pourquoi annoncer ce chiffre? Bon.
Nous savions, tout le monde savait que ce fléau est en effet un fléau. Ce rapport n'arrive pas dans une situation où, comment dire, le sujet était ignoré. Cela fait 15 ans au moins que le sujet a surgi, a été mis au jour, a été documenté. L'Église a pris de nombreuses mesures de correction. Encore récemment, il y a quelques mois, la Conférence des évêques … [a pris des mesures de correction]. Bon. Ce rapport ne nous fait pas du tout découvrir le fléau.
Ce rapport orchestre d'une certaine façon, orchestre le scandale réel pour en faire le motif, la justification d'une attaque, d'une attaque délibérée contre l'église de la part d'une commission qui n'a aucune légitimité. Car enfin – c'est une chose que l'on n'examine jamais – à quel titre cette commission prétend-elle réformer la fonction du prêtre? Car, pour employer le langage d'aujourd'hui, au fond, la grande réforme qu’elle promet, c'est de déconstruire le prêtre catholique. Alors, on touche au fond, on touche au sacrement, à la confession, bon ; on recommande de lire l'Évangile d'une certaine façon ; bon, bon, c’est-à-dire, on intervient sur la vie propre de l'Église.
Mais que des gens […] désirent ces réformes, ça ne me gêne pas. Je veux dire que chacun est libre de son opinion sur l'Église. Mais à quel titre cette commission propose-t-elle cela, quelle est sa légitimité? D'autant plus que, à juste titre d'ailleurs, elle ne se présente pas comme une commission catholique, évidemment, c'est une commission indépendante et elle veut être indépendante ; bon, elle n'est pas catholique, mais enfin, en même temps, elle propose une réforme entière de l'Église catholique. Et il y a là quelque chose qui ne va pas.
Thomas Cauchebrais: Mais c'est assez grave, tout de même, l'accusation que vous vous portez. Est-ce que vous êtes en train de dire que Jean-Marc Sauvé et sa commission se servent de ce moyen pour faire encore plus de mal à «l'institution Église»?
Pierre Manent: Attendez, attendez… je ne dis pas que l'intention qui est derrière cette commission est de faire du mal à l'Église, mais je ne porte aucun jugement sur les intentions des personnes. J'observe ce qui s'est passé. Et ce qui s'est passé, c'est qu'une commission qui n'était pas mandatée pour cela [=pour proposer des réformes], qui était mandatée pour informer de la quantité et de la qualité, si j'ose dire, de ce fléau [qui] devait être documenté. Elle a fait ce travail avec…, elle a apporté beaucoup d'éléments d'information valides, elle a fait des extrapolations hasardeuses – première chose – mais ensuite – et c'est là que l'objection grave intervient – mais ensuite, elle a pris motif de ce travail – à la fois sérieux et fondé, d'une part, d'autre part, extrêmement hasardeux et extrapolé de l'autre – elle a pris prétexte ou motif de ce travail pour proposer des réformes qui étaient tout à fait au-delà de son mandat et que la Conférence des évêques, assommée par ce chiffre, a eu l'imprudence d'accepter.
D'une certaine façon, l'Eglise a accepté cette tutelle, en particulier, n'est-ce pas, il y a une instance, une instance de reconnaissance et de réparation… C'est une instance qui n'a aucune légitimité, ni dans le droit canonique, ni dans le droit civil. C'est une instance qui n’est…, quin'appartient ni au temporel, si j'ose dire, ni au spirituel. C'est une instance ad hoc et qui va décider souverainement qui a été victime, […] en écartant les éléments élémentaires du droit, qui est quand même l'examen contradictoire de l'accusation.
Thomas Cauchebrais: Et justement, pour peut-être éviter que l'on cache encore de nouveau le fait qu'on le mette en dehors de l'Église catholique, ça peut être bénéfique, non?
Pierre Manent: Oui, mais alors, qu'est-ce que vous voulez dire? C'est-à-dire, il suffit de ne pas être membre de l'Église catholique pour être infaillible? Pourquoi cette commission, puisqu'on découvre que l'Église est tellement incapable de faire ce qui est de son devoir? Et certainement, l'Eglise a souvent montré hélas – tout le monde en pleure, n’est-ce pas – cette terrible incapacité. Je n'ai rencontré personne qui conteste ce fait-là, mais brusquement, on décide qu'une commission étrangère, je dirais, et au droit canonique et au droit civil, va elle être infaillible. Le président de la Commission a dit devant des membres de l'Assemblée nationale, devant laquelle il intervenait, que la validité de la parole des victimes n'avait pas besoin d'une confrontation avec l'accusé, n'avait pas besoin d'un jugement contradictoire, parce que, d'une certaine façon, ceux qui avaient l'habitude d'écouter les victimes pouvaient discerner par leur expérience quelle était la plainte légitime et celle qui ne l'était pas. Vous le voyez bien sur quel chemin on s'engage, il n'y a plus de justice !
Thomas Cauchebrais: Pourquoi ne pas avoir parlé directement avec Jean-Marc Sauvé, qui fait partie aussi de l'Académie catholique? Je crois qu'un rendez-vous était prévu pour qu'il présente ses travaux devant l'Académie catholique, puis ça a été annulé au dernier moment, enfin, bon, nous, le grand public, on ne sait pas ce qui s'est passé, mais voilà : pourquoi n'y a-il pas eu un dialogue confraternel? D'ailleurs, c'est ce que vous reproche Véronique Margron aussi, qu'il n'y ait pas eu un dialogue confraternel.
Pierre Manent: C'est une plaisanterie, n'est-ce pas? Le président de la commission a commencé par faire exploser la bombe au milieu de la place publique. On n'a parlé que de ça. Les titres des journaux couvraient toute la première page et pendant 48 heures, les radios ne parlaient que de cela. Et après cela, on vous dit «mais nous pourrions en parler dans une petite réunion privée» ; enfin, qui a mis de façon aussi brutale la chose dans l'espace public – nous devions répondre très vite ! –, dans l'espace public. On ne peut pas ensuite nous parler de l'éthique de la discussion, n'est-ce pas? Ce rapport de la Commission était mis sur la table, il a, comme je le disais, il a été remis à l'opinion avant d'être remis à l'Église, puisque l'Église n'a pas eu, n’a pas une minute pour en prendre connaissance et se préparer à répondre à ce rapport.
Quand son interlocuteur principal est l'opinion publique, on ne peut pas ensuite réclamer, au nom de l'éthique de la discussion, une rencontre académique. Je le répète, nous ne sommes pas intervenus en tant que membre de l'Académie, n ous sommes des collègues qui ont été saisis par l'urgence de ne pas laisser sans réponse dans l'opinion un rapport qui avait été adressé à l'opinion.
Thomas Cauchebrais: Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, Jean-Marc Sauvé, Véronique Margron, ces trois personnalités-là, suite à la diffusion de votre rapport critique, ont démissionné de l'Académie catholique, comme si ils balayaient d'un revers de main ce que vous avez pu écrire et déclarer. Comment vous jugez cette…, le fait de démissionner?
Pierre Manent: Ça, écoutez, chacun est libre de sa…, de ses démarches…
Thomas Cauchebrais: Mais, en tout cas, Éric de Moulins-Beaufort a défendu le rapport de la CIASE , Jean-Marc Sauvé lui aussi, Véronique Margron. Voilà, on a l'impression que ces personnalités-là n'ont pas écouté ou n'ont pas voulu vous écouter.
Pierre Manent: Ça, je suis bien d'accord avec vous, ils ne…, je ne sais pas pourquoi ce rapport serait brusquement revêtu d'infaillibilité. Ils n'ont pas voulu répondre à nos objections, mais nos objections – et d'ailleurs les objections de beaucoup d'autres lecteurs maintenant – se répandent dans l'esprit public, parce que les gens ont commencé à lire le rapport, n'est-ce pas, ont commencé à prendre la mesure de ce qui était dans ce rapport, et donc, si les auteurs de ce rapport ne souhaitent pas répondre aux objections, c'est…, la responsabilité leur incombe, mais ce n'est pas conforme aux règles de l'art de la discussion publique. Je ne parle pas des règles de l'Église, mais [des] règles de la discussion publique. Et encore une fois, [je] comprends mal pourquoi et comment cette commission se revêt d'infaillibilité aux yeux de l'opinion, n'est-ce pas? On ne peut pas parler de contester le secret de l'Église catholique, le caractère fermé de l'institution et puis se prétendre soi-même revêtus de l'infaillibilité, donc il y a là quelque chose qui ne va pas ; mais, écoutez, s'ils ne veulent pas répondre, ils ne répondent pas. Cela ne nous empêchera pas de continuer à expliquer notre sentiment et, surtout, à dire aux catholiques que, certes, il est très important de faire en sorte que ce fléau soit sinon éradiqué complètement – mais personne ne peut promettre à l'humanité d'éradiquer le mal, n'est-ce pas, en tout cas par nos propres moyens – mais effectivement, de faire les plus grands efforts pour lutter contre ces crimes et ses abus, ça, c'est certain, mais que cela soit fait à partir des principes mêmes de l'Église catholique, non pas en nous mettant sous la tutelle de sociologues, de psychologues, qui ont leur propre idée sur ce que devrait être une organisation sociale. Mais, je pense que les prêtres, nos évêques ont dans les principes spirituels de l'Église catholique, dans les vertus qui, normalement, sont au cœur de la vie ecclésiale, de quoi, d'une part, avoir horreur de ces crimes et aussi de les prévenir. Et s'ils se sont produits, de les traiter par une sévère justice et ecclésiastique, et aussi, bien sûr, la justice civile.
Thomas Cauchebrais: Qu'est ce qui va se passer maintenant après, après avoir fait cette critique du «Rapport Sauvé»?
Pierre Manent: Nous ne prétendons pas nous transformer en institution et en quelque sorte dire le bien et le mal dans l'Église : «désormais, vous aurez une autre commission qui sera la commission anti-Ciase», ,on, non, non.
Nous nous destinons à revenir à nos études dans un délai raisonnable, mais non sans auparavant avoir participé à la réflexion sur, je dirais, non seulement évidemment le fléau de la pédophilie, mais aussi à la réflexion sur la manière dont l'Eglise doit à la fois se réformer, doit à la fois répondre aux problèmes qu'elle rencontre, aux graves problèmes intérieurs qu'elle rencontre, mais aussi comment l'Eglise doit se poser dans l'espace public, n'est-ce pas, comment l'Église doit préserver sa capacité de parler de sa propre voix dans l'espace public, parce que vous voyez bien qu’aujourd'hui, les religions en général, et l'Église catholique en particulier, sont sous une pression extrêmement forte d'une certaine interprétation de la laïcité et d'une certaine interprétation de la République, d'une certaine interprétation des exigences supposées de l'opinion qui font que elle a beaucoup de peine à se formuler, à se dire dans l'espace public, à dire la raison d'être de l'Église, donc, nous devons faire un effort considérable pour retrouver la capacité d'adresser à la société qui nous entoure, ce que j'appelle la proposition chrétienne, de dire aux Français ce qu'est l'Eglise, ce qu'elle a à leur dire et comment elle se propose de le leur dire. Et aujourd'hui, il est certain qu'elle est, d'une certaine façon, très largement paralysée par l'état de l'opinion et par cette difficulté qu'elle a à formuler ses principes d'une manière à la fois fidèle à ses principes et d'une manière qui garde l'oreille de l'opinion, qui ne qui ne rebute pas l'opinion. C'est un travail d'approfondissement et de raffinement de sa proposition, c'est ce travail auquel, éventuellement, j'espère que nous pourrons contribuer dans les années qui viennent.
Thomas Cauchebrais: Pierre Manent, merci d'avoir été notre invité ce soir.
Pierre Manent: Merci à vous.
Thomas Cauchebrais: Je rappelle donc que vous êtes philosophe, spécialisé en philosophie politique et que vous avez rédigé cette critique du rapport Sauvé, cosigné avec sept autres membres de l'Académie catholique. On peut rajouter aussi en conclusion que le pape, interrogé sur ce rapport de la CIASE dans l'avion au retour de Chypre il y a quelques jours, a déclaré, je cite, «Il y a le risque de confondre la façon de comprendre les problèmes d'il y a 70 ans avec celle d'aujourd'hui». Et il a appelé à dévoiler tous ces abus, mais à toujours les interpréter avec l'herméneutique de l'époque.
Voilà, c'est la fin de cette émission. Merci à tous de nous avoir suivis. C'est à retrouver en intégralité sur notre site internet RCF.fr.

     

Soutenir le Forum Catholique dans son entretien, c'est possible. Soit à l'aide d'un virement mensuel soit par le biais d'un soutien ponctuel. Rendez-vous sur la page dédiée en cliquant ici. D'avance, merci !


  Envoyer ce message à un ami


 Pierre Manent: Rapport Sauvé « Accepter le "caractère systémique"  [...] par pacem tuam da nobis, Domine  (2021-12-12 23:22:31)
      Le père abbé du Barroux par fouduroy  (2021-12-13 11:40:25)
          du calme svp par Eudoxie  (2021-12-13 15:24:54)
              Le vêtement de 1900 comme remède ? par Vox clamantis  (2021-12-13 16:12:15)
                  Alors par Eudoxie  (2021-12-13 17:11:47)
                      Maria Goretti n'a pas échappé par Vox clamantis  (2021-12-13 18:10:56)
                          Bref par Eudoxie  (2021-12-13 18:25:58)
                          Connaissez vous ce conseil par ptk  (2021-12-14 12:22:29)
              Le retour des robes longues ! par Fenestri  (2021-12-13 16:14:35)
              Vous n'avez pas dû lire par fouduroy  (2021-12-13 16:55:12)
              le sujet est la pédophilie par Cristo  (2021-12-13 21:28:40)
              Du Barroux au niqab pour tous ?! par Ptitlu  (2021-12-14 16:46:26)
                  Soyez gentil par XA  (2021-12-14 16:51:09)
          Auriez-vous l'extrême gentillesse par XA  (2021-12-13 15:39:00)
              Voilà,voilà par fouduroy  (2021-12-13 16:25:32)
      Merci par Diafoirus  (2021-12-13 12:23:53)
      Rapport Sauvé: le pape demande des comptes aux évêques de France par Gereo  (2021-12-13 12:39:43)
          "après que la Ciase eût [sic !] estimé" par Gereo  (2021-12-13 12:48:47)
      Un clergé épuisé par le doute par ptk  (2021-12-13 13:03:36)
          Un des meilleurs messages du FC par Nemo  (2021-12-13 14:41:03)
              ptk, message sur www.leforumcatholique.org, 13/12/2021 à 13:03 par Gaspard  (2021-12-13 15:50:15)
                  Ah ! Ah ! par Le Webmestre  (2021-12-13 16:24:47)
              Aucun obstacle par ptk  (2021-12-13 16:29:08)
                  Je ne suis pas concerné par Le Webmestre  (2021-12-13 17:09:46)
      On peut reconnaître les victimes sans enterrer l'Eglise ? par Ptitlu  (2021-12-13 14:46:29)
          La CEF est bien une structure juridique avec 60 millions d'euros d'actifs par Gaspard  (2021-12-13 16:11:17)
              Sur les indemnités aux victimes, l'abbé Viot cite saint Pierre par Abbé Claude Barthe  (2021-12-13 17:19:56)
      tout cela partait d'une excellente idée par Cristo  (2021-12-13 21:51:35)


180 liseurs actuellement sur le forum
[Valid RSS]