Il faut distinguer plusieurs étapes dans la politique religieuse (puis antireligieuse) de la Révolution.
La Constituante a très vite pris des décisions néfastes, à commencer par la mise à la disposition de la nation des biens du clergé en novembre 1789. Mais il ne s'agit pas à proprement parler d'une mesure anticléricale et encore moins d'une mesure de terreur.
En avril 1790, l'Assemblée refuse de déclarer la religion catholique religion nationale, décision qui aurait potentiellement supposé l'annulation des décrets supprimant les vœux religieux et qui aurait donné l'impression d'une prise de position dans les conflits entre catholiques et protestants dans le sud du Massif Central.
Le 12 juillet 1790, l'Assemblée adopte la Constitution civile du clergé après avoir refusé le concours de l'épiscopat à la réforme. Le premier conflit notable éclate à Quimper à cause du décès de l'évêque, qui entraîne l'application prématurée de la Constitution civile aux dépens du chapitre cathédral et l'élection d'un évêque intrus.
Le 27 novembre 1790, la Constituante adopte le décret du serment pour briser les résistances de l'épiscopat, qu'elle sous-estime. Le décret est appliqué début 1791. Le rejet du serment par la presque totalité des évêques entraîne l'élection d'évêques intrus dans toute la France au printemps. La condamnation romaine de la politique de la Constituante est publiée précisément à ce moment (mars 1791).
Jusque-là, il n'y a pas de terreur exercée contre les membres du clergé, même si refuser de prêter le serment était déjà très dangereux dans les départements les plus patriotes. La Constituante, consciente d'avoir fait un faux pas sans avoir voulu revenir sur ses erreurs, a d'ailleurs opté pour une politique de relative tolérance à l'égard du clergé insermenté.
C'est sous la Législative que les choses se tendent avec des décrets interdisant aux curés réfractaires de résider dans leur ancienne paroisse, puis les condamnant à la déportation à la Guyane, décrets cependant bloqués par le veto royal jusqu'à la chute de la monarchie. Le 26 août 1792, le décret de déportation est renouvelé par ce qu'il reste de la Législative. Plus de trente mille prêtres insermentés quittent la France dans les semaines qui suivent pour échapper à l'envoi en Guyane. Les prêtres non sermentés qui restent en France sans passer à la clandestinité entrent en maison de réclusion, dans des conditions de détention très variables selon les temps et les lieux.
Au printemps 1793, les lois contre les réfractaires sont encore durcies, alors que le décret du 26 août n'a pas reçu d'application : tout prêtre réfractaire doit être condamné à mort dans les 24 heures. Ce décret n'a presque jamais été appliqué, ce qui n'empêche pas l'intensification de la persécution à partir des débuts de la déchristianisation active de l'automne 1793, qui marque l'effondrement de l'Église constitutionnelle, frappée de plein fouet. En 1794, des prêtres réfractaires sont acheminés vers Rochefort et Bordeaux, où ils sont détenus dans des pontons, le blocus anglais rendant impossible tout départ pour la Guyane. La mortalité est particulièrement, d'autant plus que la chute de Robespierre n'a eu aucun effet immédiat pour les prisonniers.
À partir de février 1795, la persécution faiblit et commence une période de tolérance relative jusqu'au coup d'État de septembre 1797. Un convoi de prêtres est alors effectivement envoyé en Guyane, là encore avec une forte mortalité.
Il faut garder à l'esprit, dans cette affaire, que l'intensité de la persécution varie très fortement selon le contexte local. Les zones de guerre civile (l'Ouest, Lyon) et les départements frontaliers proches des hostilités (le Nord et le Pas-de-Calais, par exemple) sont particulièrement touchés. La violence de la persécution dépend aussi, sans surprise, du persécuteur, donc de la personnalité des différents représentants en mission, les Fouché, les Javogues ou les Le Bon étant particulièrement brutaux, ou de l'itinéraire des sinistres armées révolutionnaires, qui ont été d'importants vecteurs de la déchristianisation. Elle dépend encore de l'attitude de la population locale : à Toulouse, la population, massivement catholique, protégeait le clergé clandestin mené par l'abbé du Bourg, futur évêque de Limoges, qui allait d'une maison à l'autre.
Enfin, il faut garder à l'esprit que les liens de parenté avec des notables locaux ou des personnalités révolutionnaires ont pu permettre à un certain nombre d'ecclésiastiques même réfractaires de traverser sans encombre la Révolution.
Si l'expression de Terreur nuancée est assez malheureuse, on peut donc admettre qu'il y a eu des nuances dans l'application d'une persécution qui, pour être incontestable, n'est pas antérieure (du moins sous la forme de la violence d'État) à l'été 1792, et n'a pas été uniforme ni vraiment systématique. L'État n'avait d'ailleurs pas les moyens à l'époque d'un système de terreur comparable à ceux qu'on a vus au XXe siècle, que ce soit contre le clergé ou contre quelque groupe que ce soit.
Au total, le clergé français a perdu environ 2 à 3% de ses effectifs par mort violente, pontons compris. Contrairement à ce que disent les professionnels de la minimisation (et il y en a beaucoup dans ce domaine), c'est considérable ; mais on reste, quoi qu'il arrive, très loin du bilan macabre de la persécution par les rouges en Espagne en 1936, par exemple.
Peregrinus