Ce n'est pas moi qui ai acheté ni le steak ni le caviar : ce n'est donc pas une question d'argent. Je ne suis pas chez moi et je n'ai pas à ma disposition de boîtes de sardines ou de n'importe quoi d'autre. De plus je n'ai pas de voisin qui pourrait me dépanner ni de commerce alimentaire à proximité. Mais il faut absolument que je mange pour pouvoir satisfaire à mon devoir d'état, et je n'ai le choix qu'entre un steak ou du caviar. J'ajoute que j'adore le caviar et beaucoup moins la viande de boeuf. Faut-il que je mange un produit de luxe que j'aime pour ne pas manger de la viande à bas prix que je n'aime pas?
La réponse est oui, sans équivoque.
Ce n'est jamais une question de prix ni de produit de luxe.
Ce n'est pas non plus une question d'aimer ou de ne pas aimer un aliment.
Tout cela n'est pas pertinent.
C'est toujours une question d'obéissance au précepte général que nous propose l'Église, abstraction faite de toute considération individuelle.
La mortification primaire consiste donc
d'abord en alignant notre propre volonté à celle de l'autorité que nous reconnaissons comme celle de Jésus-Christ.
Le reste est secondaire.
Aenigma vous a donné une référence excellente.
Si vous êtes un nécessiteux absolu et vous n'avez qu'à manger que ce qu'on vous donne en mendiant sur la rue, vous mangerez bien entendu tout ce qu'on vous donne, que ce soit viande ou pas viande, que ce soit sain ou pourri.
Si en revanche vous avez un choix réel, même si vous êtes dans une nécessité telle que vous nous la décrivez, vous n'aurez qu'à suivre le précepte en mortifiant votre propre penser.
L'Église vous enjoint de ne pas manger de viande certains jours, vous ne mangerez donc pas de viande ces jours-là. Point barre.
Sans vous soucier si l'alternative est plus coûteuse, plus jouissive ou plus luxueuse.
En outre, lorsque vous aurez mangé du caviar, même deux louches, vous aurez faim après une heure (en tout cas, chez moi il en est ainsi), tout en l'adorant, mais si vous avez mangé un pavé de boeuf de 500 grammes, bleu bien sûr, même si cela ne vous plaît pas, vous n'aurez plus faim avant le lendemain.
Or, l'objectif du Carême
consiste à avoir faim, un sentiment de carence alimentaire, d'estomac vide. Voilà la mortification qui "comprime les vices, élève l'esprit, augmente la vertu et les mérites", même si en l'occurrence ce que vous avez mangé vous a plu mieux que l'aliment proscrit. (Et davantage si vous l'avez fait par obéissance).