... cet article écrit par le P. Yves-Marie Blanchard me semble assez vite "expédié" et, en fin de compte, très peu orthodoxe.
Malgré le poids des affrontements passés, il apparaît qu'aujourd'hui la plupart des grandes Eglises accordent à l'Eucharistie ou Sainte Cène ou Divine Liturgie (à l'origine : le Repas du Seigneur) beaucoup plus qu'une valeur de simple commémoration.
Qu'est-ce que les "grandes Eglises" ? Le catholicisme romain et l'orthodoxie confessent la même foi dans la Présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Le luthéranisme y croit, à l'origine, mais aujourd'hui, c'est moins sûr, avec les dérives théologiques en son sein et sa proximité de plus en plus grande avec les réformés. Une partie de l'anglicanisme y est revenu, lui aussi (avec le Mouvement d'Oxford), mais la majorité des anglicans sont issus de la mouvance évangélique. Or,
les évangéliques, tout comme les réformés d'après Calvin (qui croyait dans la Présence "spirituelle", mais réelle),
ne veulent pas entendre parler de ce qu'ils assimilent à une idôlatrie. Pour eux, le pain est le pain, et ils vont jusqu'à remplacer les aliments de la Cène par des biscuits et du jus de raisin pour bien souligner que pour eux, il s'agit d'un repas symbolique entre amis, en mémoire du Seigneur, sans aucune autre valeur. Or, les Eglises évangéliques sont aujourd'hui plus importantes en nombre et en influence que les Eglises protestantes historiques (luthérienne et réformées).
Il est donc faux de conclure que les chrétiens partagent accordent la même valeur à l'Eucharistie.
...la théologie catholique traditionnelle a voulu penser l'eucharistie en proposant une sorte d'explication conforme aux catégories de la philosophie médiévale (théorie dite de la transsubstantiation). Outre le fait que cette théorie n'est plus acceptable, dans l'état actuel des connaissances philosophiques et scientifiques, il lui a été reproché, tant chez les Protestants que chez les Orthodoxes, de constituer une sorte de prise de pouvoir exercée sur le mystère, c'est-à-dire le don de Dieu, sans commune mesure avec les capacités de la raison humaine.
D'une part,
l'auteur s'arroge la liberté de dire que ce qui est écrit dans le Catéchisme de l'Eglise est dépassé, et d'autre part, de présumer des sentiments des autres chrétiens.
A l'origine, l'intuition de Luther était d'éviter le "
show" médiéval autour de l'adoration eucharistique: il estimait que les gens allaient à l'église pour voir Jésus sur l'autel, mais ne communiaient pas, et donc ne se confessaient pas. Comme il croyait fermement en la Présence réelle dans l'Eucharistie, il s'attacha à
l'idée de la consubstantiation (coexistent la substance du pain et du Corps du Christ), qui
est plus médiévale que la transsubstantiation, puisqu'elle émane du théologien du XIIIe s. Duns Scotus (
alors que l'autre se base sur la philosophie d'Aristote, reprise par St Thomas d'Aquin). En outre, la position de Luther pour la Cons. et contre la Trans. s'inscrit dans sa révolte contre la scolastique, le raisonnement théologique de St Thomas d'Aquin selon le "style" d'Aristote, qu'il accusait d'avoir transformé la foi en science froide et schlérosée.
Luther était tout aussi strict et ferme sur le dogme de la Présence réelle dans l'Eucharistie que les catholiques romains. C'est Ulrich Zwingli, le Réformateur suisse, qui contesta ce dogme, en affirmant qu'il s'agit d'une simple commémoration (arguant le "don" évoqué par notre auteur), et qui a donné naissance à la négation de la Présence réelle au sein du protestantisme.
Dans les Eglises orthodoxes, enfin, bien que la théologie grecque médiévale se soit développée sans l'apport latin, à cause du schisme entre l'Orient et l'Occident, et que les disputes Cons./Trans. se soient faites sans elles, le dogme de la Présence réelle y est confessé depuis toujours.
Last but not least,
le Synode de Jérusalem, en 1672, reconnu par toutes les Eglises orthodoxes, a officiellement adopté la doctrine de la transsustantiation, et rejeté les idées calvinistes de présence "seulement" spirituelle.
Déclarer que la transsubstantiation est une violence faite par l'Eglise catholique romaine envers les orthodoxes est donc un mensonge. Quant aux luthériens originels, il était clair pour eux que le mystère de la Présence réelle devait être affirmé et défendu par l'Eglise.
Si aujourd'hui encore les Eglises ne parviennent pas à célébrer ensemble l'eucharistie, c'est donc moins en raison de compréhensions différentes de la présence réelle, que parce que de graves désaccords subsistent sur la question des ministères, le problème de la succession apostolique, et plus largement, la nature et la fonction de l'Eglise.
Encore une fois, le P. Blanchard péche par excès d'optimisme.
La foi en Présence réelle n'est pas acquise dans l'extrême majorité des Eglises issues de la Réforme. Quant aux "compréhensions différentes", il est à craindre que, même dans le luthéranisme où l'on célèbre officiellement le Saint-Sacrifice, il n'y ait que peu, voire aucune compréhension de la Présence réelle. Faites le test: demandez à un honnête luthérien scandinave si Jésus Se fait pain et vin lors de la Sainte-Cène, il y a de fortes chances pour qu'il admette qu'il n'en sache rien. Et ce n'est pas un défaut pastoral (comme on le trouve dans l'Eglise catholique, où des fidèles sont laissées dans l'ignorance par leurs pasteurs), mais un véritable flou théologique laissé par ces Eglises sur ce sujet précis, qui sonne trop "catholique romain" pour certaines oreilles.
La position catholique, entre autres, considère que la communion au même corps eucharistique suppose une communion déjà établie entre les Eglises, quel que soit le modèle envisagé - ce qui est encore loin d'être réalisé. Toutefois, à titre exceptionnel, certains groupes peuvent recevoir l'autorisation de pratiquer l'intercommunion, dans la mesure où leur engagement commun les place déjà, à titre prophétique, dans une situation de réelle unité.
L'auteur dit vrai sur ce point. Mon sentiment personnel est que l'intercommunion "prophétique" est très satisfaisante pour la sensibilité des fidèles, mais absolument pas pour l'unité chrétienne: si nos Eglises ne sont pas en communion, pourquoi faire comme si elles l'étaient ?
Au titre des difficultés renaissantes, figure l'ensemble des pratiques catholiques relatives à la dévotion eucharistique en dehors de la messe. Non seulement celles-ci ne sauraient être imposées aux autres Eglises, mais à l'intérieur même du catholicisme une certaine modération est requise.
Notre ami tombe le masque. Il n'aime pas ce qu'il voit certainement comme des simagrées, mais c'est son point de vue, et non celui de l'Eglise qui n'a pas mis de limites à ces pratiques.
Pour ce qui est des autres Eglises, qui ne reconnaissent effectivement pas la dévotion eucharistique en-dehors de la messe, un des points du dialogue oecuménique devrait valoriser la position catholique, qui découle du dogme de la Présence réelle: si Jésus S'est fait pain, c'est toujours à Lui que revient l'adoration. Après, si on ne croit pas en la Présence réelle, c'est un autre problème...
Vu la date de parution de l'article, je ne suis certainement pas le premier à émettre une critique (que je souhaite constructive), mais je m'étonne qu'il soit toujours en ligne sur le site d'un diocèse, car son propos est très ambivalent, voire hérétique, si on est scrupuleux.
J'en profite pour faire preuve d'obéissance filiale à l'abbé Pierre Amar en laissant tomber l'anonymat: je m'appelle Pierre JOVANOVIC, je suis étudiant à Sciences Po Paris.