... le jour même des élections européennes.

"Monsieur,

Le hasard a fait que nous avons été voter au même moment, ce matin, à S...

Étant juste derrière vous, j'ai entendu même sans tendre l'oreille votre discussion avec un assesseur, à qui vous rapportiez avoir assuré à vos ouailles que ceux qui parmi elles ne voteraient pas "auraient du soucis à se faire" (ou "auraient des problèmes", je ne sais plus votre formulation exacte).

Ceci a soulevé quelques questions dans mon esprit :

- Un catholique a-t-il le devoir d'être républicain ? Un catholique monarchiste va-t-il en Enfer du seul fait d'être opposé au système des partis et au droit de vote ? Simone Weil, qui réclamait dans un texte l'abolition des partis politiques, a-t-elle commis un péché mortel, ce faisant ? Le général de Gaulle a-t-il augmenté son temps de Purgatoire de par son euroscepticisme ? Ou sinon, quels sont exactement ces "problèmes" auxquels vous faisiez référence ?

- Si un catholique a le devoir d'être républicain, a-t-il donc en prime le devoir de voter ? La doctrine sociale de l'Église veut qu'un catholique participe pleinement à la société dans laquelle il vit. Très bien. Mais en quoi l'abstention serait-elle une non-participation ? Le vote blanc n'ayant (scandaleusement) aucune valeur, il me semble qu'un catholique qui ne se reconnaît dans aucun des partis en lice manifeste, par son silence, sa désapprobation, et cela constitue une forme tout-à-fait réelle de participation. Il y a des silences qui veulent dire beaucoup.

- Mais si un catholique a le devoir de soutenir obligatoirement l'un des partis qui se présentent, qui doit-il alors choisir ? Voter communiste est hors de question. Voter nazi aussi, évidemment, mais aucun parti n'utilisant plus ce terme ou cette idéologie au sens fort du terme (contrairement au communisme) la question ne se pose pas. Voter pour des partis de centre gauche comme de centre droit, qui soutiennent le mariage gay, l'IVG et l'euthanasie est également hors de question... du moins en théorie. Il reste donc la droite conservatrice, qui seule revendique, sinon la royauté sociale du Christ, au moins une certaine coloration chrétienne de la société française et européenne... mais avec parfois certains excès identitaires qui confinent à l'idolâtrie nationaliste, il est vrai. Qui choisir, donc ?

- L'Église catholique de son côté fait ouvertement de la réclame pour les partis au pouvoir, au motif qu'ils sont la meilleur garantie de survie pour l'Union Européenne. Un catholique a-t-il donc le devoir, sans aucune autre possibilité, d'apporter son suffrage aux partis qui ont voté la constitutionnalisation de l'IVG ? Qui sont en train de rendre l'euthanasie possible ? Qui rendront la GPA possible aussi, tôt ou tard ? L'Union Européenne, sa survie, et sa continuation telle quelle, passent-elles donc avant ces considérations bio-éthiques ? L'Église est-elle là pour être le gendarme moral, la police spirituelle du système en place ? La protectrice du statu quo ?

Quand l'Église demande à ses fidèles de combattre l'IVG, l'euthanasie, la GPA, tout en leur mettant, en même temps, la pression, avec tout son autorité, pour qu'ils votent pour ceux qui mettent ces abominations en place, cela relève au mieux d'une double-contrainte qui confine à la torture spirituelle, et au pire, de l'hypocrisie, car cela voudrait dire que les intérêts de l'Union Européenne passent avant le Magistère. Dans tous les cas c'est pour une source supplémentaire de désespoir, d'incompréhension et de méfiance, sinon de rejet, envers l'Église. Et je ne crois pas être le seul.

Aussi, si vous trouvez le temps et l'envie de me répondre, je vous en serai reconnaissant.

Cordialement"

Je m'interroge depuis... ai-je été vraiment trop désagréable avec ce curé pour mériter un silence radio ?

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