… est évoquée comme venant en effet de quelques Anciens (Origène, saint Basile) et critiquée dans le commentaire tiré des Pères de la Bible de Sacy, en s'appuyant principalement sur saint Jean Chrysostome (Homélies sur l'Évangile selon saint Matthieu). J'ai mis en gras le passage en question, mais le reste du commentaire est éclairant.
V. 19. Or Joseph son mari étant juste , & ne voulant pas la déshonorer , résolut de la renvoyer secrètement.
Le mot de juste en cet endroit, marque un homme qui avait toutes les vertus, & qui était juste devant Dieu de cette justice qui rend le cœur droit, bon & parfait en sa présence. Saint Joseph était donc juste en cette manière si parfaite. Il était bon & charitable, dit saint Chrysostome. C’est pourquoi ne croyant pas d’un côté qu’il lui fût permis de garder chez lui son épouse lorsque sa grossesse paraissait, sans qu’il en connût la cause ; & ne voulant pas de l’autre la déshonorer ni l’exposer à la mort, il fait paraître en cette rencontre une vertu beaucoup élevée au-dessus de la loi. Aussi il fallait, ajoute le même Saint, qu’aux approches de la grâce du Sauveur, il parût déjà des signes d’une plus grande perfection que toute celle qu’on avait vue jusqu’alors. C’était un soleil qui répandait quelque lumière sur l’horizon avant que de naître. Il éclaira donc le cœur de Joseph, en lui inspirant d’abord la tendresse d’une charité si extraordinaire au temps de la loi , & si opposée à la passion de la jalousie dont l’Écriture dit¹, qu'elle est pleine de fureur, & qu’elle est² dure comme l’enfer. Mais il était nécessaire d’arrêter la juste inquiétude qui le réduisait à une si grande extrémité, & il fallait un miracle pour l’éclaircir de ce mystère incroyable à tous les hommes. C’est pourquoi Dieu envoie un Ange pour lui révéler ce qu’il devait seul connaître pour mettre à couvert l’honneur de la mère & du fils , & ce qu’il cachait en même-temps à tous les hommes.
V. 20. Lorsqu’il était dans cette pensée , un Ange du Seigneur lui apparut en songe , & lui dit : Joseph fils de David , ne craignez point, etc.”
Le silence de Joseph et celui de la saint Vierge dans une telle conjoncture, ont quelque chose d'étonnant. Joseph ne découvre rien de sa peine à son épouse ; et cette épouse si chaste ne s'inquiète point non plus pour lui faire connaître son innocence. Persuadée que tout ce qui se passait était l'ouvrage de la sagesse de Dieu, elle s'abandonne absolument à sa providence. Elle fait que celui qui a commencé en elle de si grandes choses est tout-puissant pour les accomplir. Et elle ne doutait point non plus, comme dit saint Chrysostome, que ce qu'elle aurait déclaré touchant ce mystère à son époux ne dût lui paraître plus surprenant que véritable.
L’Ange parlant à Joseph l’appelle d’abord fils de David, comme pour le préparer à recevoir la grande nouvelle qu’il doit lui dire, en le faisant souvenir de David ce Prince si chéri de Dieu, à qui les promesses touchant le Messie avaient été faites, & de la race duquel les Prophéties l’assuraient qu’il devait naître. Ne craignez point, de prendre avec vous Marie votre épouse ; c’est-à-dire, de la retenir & de la garder chez vous, comme l’explique saint Chrysostome. Et l’Ange en cela lui fait bien connaître , selon la remarque du même Saint, qu’il lui parlait de la part de Dieu, puisqu’il lui découvrait ce qui jusqu’alors était demeuré caché au fond de son cœur : de même³ qu’on vit depuis cette femme si célèbre de Samarie, juger que celui à qui elle avait parlé pouvait être le Messie , à cause qu’il lui avait découvert toute sa vie. Saint Jean Chrysostome dit admirablement, que comme J. C. donna avant qu’il mourût sa sainte mère à son disciple bien-aimé ; il la donne aussi de même à Joseph avant sa naissance, lorsqu’il lui fait dire par cet Ange, Qu’il ne craignit point de la prendre avec lui, pour être comme le gardien de son inviolable pureté. Et la raison que l’Ange en donne lorsqu’il ajoute, que ce qui est né dans elle , est l’ouvrage du Saint-Esprit, fait bien voir que Joseph n’était pas dans la disposition que quelques Anciens lui ont attribuée. Car s’il était vrai, comme ils le disent, que ce fut par le sentiment même de sa propre indignité qu’il ne voulait pas demeurer avec la Vierge, qu’il savait avoir conçu du Saint-Esprit, il eût été tout inutile que l’Ange lui fût venu découvrir ce grand mystère ; & il ne lui aurait pas dit pour l’affermir contre sa crainte, ce qui eût été le sujet même de sa crainte ; c’est-à-dire, cette conception si miraculeuse.
¹ Prov VI 34
² Cant VIII 6
³ Jn IV 29