Un changement de ton dans l’Église de France
[Édito] La demande du Vatican de surseoir aux ordinations dans le diocèse de Fréjus-Toulon a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Mais le dossier, qui met en lumière la figure de l’évêque du Var, Mgr Dominique Rey, pourrait surtout être révélateur d’une mutation en cours dans l’Église catholique.
Aymeric Christensen, directeur de la rédaction
Publié le 07/06/2022
Que se passe-t-il dans le diocèse de Fréjus-Toulon ? Loué et cité en exemple par les uns pour son dynamisme missionnaire, honni et critiqué par les autres en raison des options pastorales de son évêque, Dominique Rey, le territoire détonne depuis des années dans l’Église de France. Et soudain, voici que Rome frappe du poing sur la table en exigeant le report sine die d’ordinations prévues à la fin du mois. Terrible épreuve pour les jeunes qui se préparaient à devenir prêtres et voient brusquement leur avenir suspendu. Surtout : ouverture d’une crise dont l’issue paraît incertaine, en l’absence (comme, hélas ! si souvent, au risque de susciter bien des spéculations) de la moindre communication ecclésiale sur ses enjeux profonds. De quoi le refus romain est-il le « non » ?
À ce stade, un point semble certain : la mise en demeure du Vatican ne se limite pas au séminaire de la Castille, réputé très accueillant pour de nombreuses communautés et profils atypiques. Pour preuve : ce dossier, qui aurait pu ne concerner que la Congrégation pour le clergé, implique manifestement plusieurs dicastères et semble porté par le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques. Son seul nom permet de mesurer la gravité de l’affaire et, en toute logique, la mise en cause directe de Dominique Rey et de la gestion de son diocèse. Simple recadrage, après la visite canonique – pardon : « fraternelle » – du désormais cardinal Jean-Marc Aveline, ou prémices d’un désaveu ? L’avenir le dira.
Des nominations qui dessinent un tableau d'ensemble
Ce qui apparaît, en revanche, d’une façon de plus en plus claire, c’est un net changement de ton ces derniers mois dans l’Église catholique française. La semaine dernière, nous saluions le choix du pape de nommer cardinal l’archevêque de Marseille. Quelques jours plus tôt, c’était Laurent Ulrich qui était installé archevêque de Paris, en remplacement de Michel Aupetit, dont la démission avait été « acceptée » fin 2021.
Ces décisions, avec quelques autres – remplacement de Jean-Pierre Cattenoz par François Fonlupt à Avignon, nomination de Guy de Kerimel (d'ailleurs issu, comme Dominique Rey, de la communauté de l’Emmanuel) à Toulouse… sans oublier les rôles de « pompiers » pour diocèses en difficulté confiés aux vétérans Michel Dubost et Georges Pontier –, finissent par dessiner un tableau d’ensemble. Comment ne pas y voir la marque du nouveau nonce apostolique, Celestino Migliore ?
Une nouvelle méthode voulue par le pape
Depuis son arrivée, début 2020, il paraît peser de plus en plus dans les nominations ou la promotion de profils dont l’ecclésiologie et la capacité à mettre en œuvre certaines réformes correspondent davantage à la vision du pape François. En parallèle de la présidence de la Conférence des évêques de France par Éric de Moulins-Beaufort, c’est peu à peu, sinon un changement sur le fond, du moins une nouvelle méthode qui s’impose.
Gare toutefois à la tentation de ne lire ces événements qu’en termes idéologiques ! Sympathies et antipathies, qu’elles soient pastorales ou politiques, sont mauvaises conseillères. Si elles peuvent compter, elles ne sont souvent que la partie émergée des problèmes. Ainsi, tout porte à croire que l’attention de Rome se concentre aujourd’hui d’abord sur les modes de gouvernance. Se pourrait-il qu’affleure, de ces années marquées par la crise des abus sexuels et spirituels, l’esquisse d’un contrepoids (à défaut de réel contre-pouvoir) face au modèle de l’évêque « seul maître à bord après Dieu » dans son diocèse ? Les suites de ce qui se passe à Fréjus-Toulon devraient être, sur ce plan, instructives.
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