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La vènerie, un lieu de vérité par S. Ex. Mgr Maurice de Germigny
par Francis Dallais 2021-11-19 21:46:32
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Vénerie, carrefour des arts, actes du colloque du 23 avril 2013, qui s’est tenu à la Maison de la chasse et de la nature (Paris)
Membres du comité scientifique :
Andrée CORVOL, Directrice de recherches au CNRS et présidente du Groupe d’histoire des forêts françaises, Andrée Corvol est l’auteur de nombreux ouvrages.
Jean-Michel LENIAUD, Directeur de l’ENC (Ecole Nationale des Chartes) depuis septembre 2011. De 1998 à 2011, il a été membre de la Commission nationale des monuments historiques.
Claude d’ANTHENAISE, Conservateur en Chef du Musée de la Chasse et de la Nature à Paris.

CHAPITRE 6 : La vènerie, un lieu de vérité par S. Ex. Mgr Maurice de Germigny
L’acte de chasse est-t-il moral ? Rude question posée à un ecclésiastique doublé d’un veneur !
« Savoir ne pas tirer, ou gracier un animal, pour sa beauté et sa grâce, parce qu’il s’est défendu jusqu’au bout, procure parfois au chasseur plus de joie que la conquête d’un trophée. Et cela c’est aussi chasser. »
M’étant référé au catéchisme de l’Eglise catholique, l’article 1802 m’a paru éclairant. Je le cite : «La Parole de Dieu est une lumière sur nos pas. Il nous faut l’assimiler dans la foi et dans la prière, et la mettre en pratique. Ainsi se forme la conscience morale1 ». Cette phrase n’est pas réservée aux seuls croyants, si nous admettons la transcendance de mots à portée universelle
Ainsi, au livre de la Genèse, chapitre 1, versets 27 – 28, nous lisons : «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : emplissez la terre et soumettez-la».
Si j’ai retenu ce passage de l’Ancien Testament, c’est à cause du verbe «soumettre». S’agit-il d’asservissement ou d’une maîtrise qui met en valeur ? C’est bien la seconde acception qu’il faut retenir. Pour citer encore l’Ecriture, rappelons-nous de ces paroles de Jésus «Moi, le maître, je suis au milieu de vous comme celui qui sert» (Jn 13, 13 et Lc 22, 27).
En vènerie, «servir» est un maître mot. Avant de l’utiliser pour accompagner dans la mort, l’animal sur ses fins, on sert, on aide les chiens au cours de leur action.
Saint-Hubert est le patron des chasseurs assurément. Avec bonheur, Patricia de Fougerolles a étudié le personnage de Saint-Hubert2 . Mais souvenons-nous, une fois converti, le futur évêque de Liège ne chassa plus. Toutefois on confia à sa protection les chiens qu’il guérissait de la rage et auxquels on donnait du pain béni, avant que les messes dites de Saint-Hubert ne se développent au cours du XIXème siècle. De nos jours, les messes de Saint-Hubert se multiplient. Les équipages les réclament, les fêtes de la chasse aussi. Je sais qu’il n’est pas toujours facile de trouver un prêtre qui veuille se prêter à une telle liturgie. Deux raisons à cette réserve : la chasse qui, de nécessité vitale est devenue un sport ; La chasse qui aboutit à la mort. Comme il conviendrait que ceux qui critiquent la chasse lisent les Méditations sur la chasse de José Ortega y Gasset et retiennent ces paroles de sagesse : «En somme, on ne chasse pas pour tuer, mais au contraire, on tue pour avoir chassé3 »
Il y a quelques années, j’avais composé cette oraison pour la messe de Saint-Hubert :
«Dieu, créateur de tout bien, tu as donné les animaux à l’homme pour subvenir à son bonheur et à ses besoins. Par l’intercession de saint Hubert apprends-nous à faire servir pour ta gloire et notre bien, ces êtres vivants. Dans la vérité de leur nature, donne-nous de respecter leur dignité afin de contribuer à l’harmonie de la création. Dieu trois fois saint, bénis la forêt, les animaux qui la peuplent et l’Equipage qui te prie et se confie à ta protection. Amen.»
Dans cette œlogie, c’est-à-dire cette bénédiction, deux mots méritent de retenir notre attention, celui de vérité et celui d’harmonie ou de communion.
La chasse obéit à des règles. Celles-ci doivent être respectées. La charte de la vènerie française comporte un préambule éloquent : «La vènerie est inspirée de la loi naturelle qui régit la prédation sauvage et les rapports entre espèces au sein de la nature. Elle consiste à chasser à courre des animaux sauvages (cerf, sanglier, chevreuil, daim, renard, lièvre, lapin) dans leur milieu. Leur défense qui réside dans la fuite et les ruses doit pouvoir s’exprimer naturellement. Ce mode de chasse typiquement écologique, repose sur l’action de chiens courants chassant en meute. Ce sont les chiens qui chassent l’animal couru jusqu’à sa prise. Le veneur sert ses chiens avec l’objectif de leur permettre d’exprimer toutes leurs capacités naturelles4 ».
En vènerie, l’application des «règles de l’art» est une exigence de vérité qui n’admet aucune exception, c’est là où se situe l’agir moral. Je me souviens d’une chasse où, au rapport, il avait été décidé d’attaquer dans une enceinte où se tenait une petite harde. Très rapidement les chiens lancent un animal. Tout allait gaiement lorsque brutalement les fouets claquèrent, accompagnés d’impératifs «arrête ! arrête!» M’étant porté en avant pour savoir ce qui se passait, il me fut dit que les chiens avaient lancé un daguet et qu’on voulait mieux… C’est en vain que l’on voulut remettre sur une autre voie. Les chiens qui avaient trié leur animal étaient dégoûtés. Aux veneurs d’en tirer la leçon !
A l’occasion de l’an 2000 Jean-Paul II écrivit une lettre apostolique où il déclara que «le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence est de promouvoir une spiritualité de la communion» c’est-à-dire «contribuer à l’harmonie de la création5». A mon sens, la vènerie est une bonne école pour développer l’esprit de communion, d’équipe, et acquérir la compréhension d’un environnement que l’animal chassé et les chiens affrontent tout comme le cavalier et sa monture. Etre à bon vent et éviter les mouilles... Récrit, trompes et piboles favorisent la communion par les messages qu’ils communiquent. L’usage du portable est une tentation qui contrecarre la déontologie cynégétique, exception étant faite pour les accidents corporels.
«Voix dans voies» est un ouvrage remarquable où Hervé d’Andigné a recueilli les témoignages de veneurs patentés. Chacun d’entre eux a rédigé un paragraphe intitulé «conseils à un jeune veneur». J’en ai retenu un, le plus court mais qui en dit long : «Pour être simple, je lui conseillerais de bien réfléchir avant de se jeter dans l’aventure : créer et gérer un équipage de nos jours est vraiment un exercice très prenant6 ».Ce conseil donné à un futur maître d’équipage vaut aussi pour les boutons et les suiveurs. Un équipage est effectivement un exercice très prenant en temps, en argent, en énergies de toutes sortes. La question morale se pose alors.
Assurément la chasse est un lieu de communion mais quel équilibre tenir à l’égard de sa famille (conjoint, enfants…) et de son métier.
Chasser coûte cher en temps et en argent. L’investissement en cet art occulte-t-il les autres solidarités ou les favorise-t-elle ?
«La vènerie carrefour des arts» doit profiter à la vérité que l’homme cherche dans la nature et que celle-ci enseigne à l’homme.
J’aime ces maisons où sur les murs s’alignent à côté des massacres, les pieds d’honneurs. Sur le listel, une date, une forêt, une sommaire description de la chasse et de l’animal pris par tel équipage après tant d’heures... Il faut que la vènerie perdure, se raconte pour être source de vie et donc de morale.
En 1980 était édité le «Livre des honneurs» de Karl Reille. Une aquarelle illustre quelque soixante chasses et une des circonstances particulièrement marquante du laisser courre.
Ainsi, le 25 janvier 1923, Karl Reille était en Ecouves et notait : «Rendez-vous à la Gastine, quatrième tête attaquée à la Gastine, prise dans l’étang de Radon avec un chien7».Paul Vialar donnait une préface à ce recueil, je le cite : «Honneur donc à Karl Reille qui fait que certains instants que nous avons vécus et que nous revivons grâce à lui, ne mourront pas tout à fait. La chasse à courre est semblable à cette longue chasse qu’a été notre existence, à travers les guerres, les bouleversements, les accidents et toutes les péripéties qui l’ont jalonnée. Nous avons comme le cerf, le chevreuil, le sanglier, été mis au monde pour être gibier ou chasseur dans ce jeu, qui, toujours, est celui de la vie et de la mort, mais qu’importe la vie d’un homme ou d’une bête si cet homme ou cette bête parviennent au bout de leurs jours ayant accompli la véritable tâche pour laquelle ceux qui les ont précédés les ont mis au monde, s’ils ont été, dans le conglomérat des vivants, la cellule qui a joué son rôle constructif et qui peut, qu’elle qu’en soit la raison, à présent disparaître puisque, même pour ceux qui ne croient pas en une vie future, la mort se trouve toujours, dans la chaîne des espèces, être un commencement8 »
Cette longue citation me fait penser à cette brève déclaration de Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, dans une lettre à l’abbé Bellière datée du 9 juin 1897 : «Je ne meurs pas, j’entre dans la vie9 ».
Dans « Le Petit roman de la chasse», Bruno de Cessole aborde souvent l’éthique de la chasse qui doit favoriser une «manière d’égalité entre le chasseur et le gibier10». Cependant je préfère suggérer que chasser c’est un art de vivre qui, pour le chasseur, est une prise de conscience de l’instinct des bêtes affrontées comme lui aux éléments de la nature. Sous le terme général de «bêtes» j’évoque les chiens et le gibier.
Oui, l’acte de chasse est moral s’il se manifeste dans un infini respect de l’animal chassé lequel a droit à un code d’honneur.
Cette opinion, je l’appuie sur ces considérations de Bruno de Cessole et ce sera ma conclusion : « L’éthique de la chasse est une des plus exigeantes qui soit, d’autant plus que les circonstances où elle est amenée à se manifester n’ont souvent pas, d’autres témoins que la nature elle-même. Saluons donc les chasseurs qui, selon la belle formule, ‘‘chassent en Saint-Hubert’’ avec la retenue éthique qu’inspira au futur évêque la vision du cerf porteur de la Croix entre ses bois. Donner la mort est l’épilogue logique, mais nullement certain de l’acte de chasse. Savoir ne pas tirer, ou gracier un animal, pour sa beauté et sa grâce, parce qu’il s’est défendu jusqu’au bout, procure parfois au chasseur plus de joie que la conquête d’un trophée. Et cela c’est aussi chasser11.»
1 Catéchisme de l’Eglise catholique. Cerf, 1998. p. 383.
2. Maurice Denis : La Légende de saint Hubert, 1896-1897. Somagy. Editions d’art, 1999. pp. 39-43.
3. Ortega y Gasset (José). Méditations sur la chasse. Editions Septentrion, 2006. p. 114.
4. Charte de la vènerie française. Les principes et valeurs de la vènerie. Le droit de la vènerie. Société de vènerie. Paris, s.d.
5 Jean-Paul II. Lettre apostolique Novo millenio ineunte. Typographie Vaticane, 2000. n° 42.
6. Andigné (Hervé d’). Voix dans voies. Témoignages de veneurs. Les éditions de la Croix du loup. 2012. p. 273.
7. Reille (Baron Karl). Livre des honneurs. Préface de Paul Vialar. Avant-propos de Hubert de Chaudenay. 1980. p. 44.
8 Reille. op. cit.
9 Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la SainteFace. Oeuvres complètes. Cerf. 1992. p.601.
10 Cessole (Bruno de). Le Petit roman de la chasse. Editions du Rocher. 2010. p. 59 11 Cessole. op. cit. p. 64

     

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