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Veuillot avait vu clair dans le jeu de Thiers
par Vianney 2021-05-19 13:49:49
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Et cette clairvoyance n’a pas tout de suite été partagée par Pie IX :

Pie IX a condamné Veuillot parce que la politique vaticane, cette saison-là, fleuretait avec Adolphe Thiers, l’affreux petit bonhomme qui berçait et bernait les catholiques par de captieuses paroles. Veuillot avait vu clair dans ses manigances : son opposition gênait la diplomatie pontificale du moment. Pie IX, pour se concilier Thiers, lui apporta la tête de Veuillot. Et pour ce faire, il invoqua un motif religieux, il opéra au nom de la charité. Cette violente anomalie n’était pas la première de son espèce, elle ne fut pas la dernière dans l’histoire de l’Eglise.

En 1872, Adolphe Thiers est au sommet de sa carrière et de son prestige. Il a soixante-quinze ans. Presque seul il s’était prononcé contre la folle déclaration de guerre à la Prusse. Aux élections du 8 février 1871, il a été triomphalement élu dans vingt-six départements. L’Assemblée nationale l’a nommé chef du pouvoir exécutif, il restera à la tête de la France jusqu’en mai 1873. Il a signé la paix, il a écrasé la Commune de Paris. Il est en train de devenir le libérateur du territoire, il est déjà le sauveur de la bourgeoisie. Mais il a affaire à une Assemblée qui, sur 650 députés, compte 400 royalistes catholiques. Thiers n’est ni catholique ni royaliste. Il lui faut tromper et le royalisme et le catholicisme de cette majorité.

D’abord éviter une restauration monarchique. Ce serait la restauration d’une monarchie catholique issue du suffrage universel et opérée selon les formes légales de la démocratie parlementaire : quelle impasse pour la franc-maçonnerie ! Dès ce moment Thiers a choisi la République, encore qu’il n’en dise rien. Il convient avec la majorité de l’Assemblée que la question des institutions définitives de la France sera provisoirement laissée en suspens, c’est le pacte de Bordeaux de mars 1871. Au mois de juillet, le différend fondamental entre le comte de Chambord et les royalistes libéraux contribue à faire remettre sine die la restauration monarchique. Ainsi la majorité monarchiste se trouve politiquement neutralisée.

Il faut aussi que Thiers arrive à neutraliser les revendications catholiques suscitées par la question romaine. Le pape Pie IX est prisonnier dans Rome depuis que Victor-Emmanuel a occupé la ville et y a installé la capitale politique du royaume d’Italie. C’est la France qui garantissait militairement l’indépendance et la souveraineté temporelles du saint-siège. Mais quinze jours après la déclaration de guerre à la Prusse, les 5.000 soldats français stationnés à Civita-Vecchia ont été rapatriés. Le 20 septembre 1870, les Italiens ont pris Rome, et le lendemain Pie IX écrivait à son neveu Luigi Mastaï : « Tout est fini. Sans liberté on ne gouverne pas l’Eglise. » Il va pourtant régner et gouverner, mais sans accepter jamais le fait accompli. Des pétitions circulent en France, réclamant l’intervention du gouvernement pour rétablir le pouvoir temporel du souverain pontife. Mgr Dupanloup déclarera encore en 1874, en une formule qui résume le sentiment commun des catholiques français : « C’est le devoir comme l’intérêt de l’Italie de restituer ses Etats au pape. Si elle ne le fait pas, c’est à l’Europe de le faire. »

La pensée d’Adolphe Thiers est de se concilier le pape et les catholiques par des boniments, tout en se gardant de rien faire pour le rétablissement du pouvoir temporel. Ses instructions au comte d’Harcourt, ambassadeur au Vatican, sont d’être frappé d’une respectueuse surdité quand le pape en parle. Cependant il maintient la frégate Orénoque à Civita-Vecchia, c’est-à-dire dans des eaux que le royaume d’Italie considère maintenant comme ses eaux territoriales. Cette frégate avait été envoyée dès la fin septembre 1870 par le gouvernement pourtant fort peu clérical dit de la Défense nationale (Gambetta, Crémieux, Favre). Elle était destinée à accueillir et protéger le souverain pontife s’il décidait de s’échapper de Rome comme il l’avait fait en 1848. Elle y restera jusqu’en octobre 1874, date à laquelle elle sera rappelée par le gouvernement du duc de Broglie après de longues négociations avec le gouvernement italien. (Mais un autre vaisseau de guerre, le Kléber, sera placé en faction à Bastia, donc en dehors des eaux territoriales italiennes, avec la même mission.) Adolphe Thiers avait, le 14 juin 1871, adressé ses hommages et ses vœux au souverain pontife, à l’occasion du 25e anniversaire de son élection. Le 22 juillet, avec la complicité de Dupanloup, il détourne l’Assemblée nationale de prendre en considération les pétitions catholiques en faveur du saint-siège. Il déclare qu’il n’a pas voulu l’unité italienne, mais qu’il ne peut la défaire ; qu’il ne lui est pas possible de provoquer une intervention diplomatique des puissances européennes ; qu’il veillera en tout cas (promesse qui ne lui coûte rien) à protéger l’indépendance spirituelle de la papauté. Peu après cet escamotage, et comme on prête à nouveau à Pie IX l’intention de quitter Rome, il lui écrit pieusement à ce sujet (20 août 1871) :

« Dieu éclairera son Vicaire par la voie des événements... Qu’il sache seulement que, s’il demande asile à la France, il sera reçu avec le plus respectueux empressement... Je lui offre le château de Pau, le château du grand roi qui s’est fait catholique. Une fois qu’il sera à Civita-Vecchia, il y trouvera notre frégate « Orénoque » ; il y sera imprenable. »

Le fourbe esquive une nouvelle fois, en mars 1872, le débat parlementaire sur la question romaine. C’est le moment où le cardinal Antonelli, secrétaire d’Etat de Pie IX, publie dans la Correspondance de Genève, qui tenait lieu d’organe officieux du saint-siège, un article déclarant avoir pleine confiance en la personne d’Adolphe Thiers.

L’invitation était implicite mais claire : elle s’adressait aux catholiques français, pour qu’ils cessent de critiquer le gouvernement.

L’Univers de Louis Veuillot reproduisit ce document. Mais il ne mit aucune sourdine à ses critiques contre Thiers.

Alors le pape intervint lui-même.

Le 13 avril 1872, dans une allocution à des pèlerins venus de France, il déplora la division des catholiques français ; après avoir reproché aux catholiques libéraux de manquer d’ « humilité », il ajouta : « Il y a un parti opposé, lequel oublie totalement les lois de la charité ; or sans la charité on ne peut être vraiment catholique. »

Publiquement dénoncé ainsi par le pape comme n’étant point catholique, Louis Veuillot décida qu’en conséquence L’Univers cesserait de paraître.

Mais non point toutefois sans avoir écrit à Pie IX pour lui demander de confirmer sa condamnation.

Pie IX est grandement embarrassé. Il ne veut pas la suppression de L’Univers. Il sait bien que pour complaire à Thiers, les termes de son discours du 13 avril ont incroyablement dépassé les bornes de la justice. Le « pape du Syllabus » n’ignore pas qu’il est inique, et odieux, de mettre le «journaliste du Syllabus » au même niveau que les publicistes du catholicisme libéral, par une fausse fenêtre pour une symétrie factice. Et même, à prendre les paroles pontificales au pied de la lettre, seuls Veuillot et ses amis sont stigmatisés comme n’étant pas catholiques : cette imputation énorme est épargnée au parti adverse. Tout cela est manifestement indéfendable.

Alors Pie IX répond en substance à Veuillot qu’il doit continuer L’Univers, bien qu’il le fasse si mal.

C’est le bref pontifical du 16 mai 1872 :

« Nous n’avons pas voulu improuver les principes pour lesquels vous combattez... mais seulement la manière de combattre et les censures personnelles qui, bien que parfois inévitables, se rencontrent dans vos écrits plus fréquemment qu’il ne convient et sont imprégnées de ce sel qui exhale un zèle amer étranger à la charité d’un catholique. »

A moins de ne croire à rien, ni au pape, ni à la charité, ni même au sens des mots, il est impossible de n’être pas écrasé par la gravité définitive du reproche. Et par sa cruauté. Le zèle de Louis Veuillot, un zèle amer, étranger à la charité catholique ! Contrairement à son habitude respectueuse et obéissante, L’Univers ne publia point ce bref pontifical. Il eut bien raison : la dignité, l’honneur étaient de son côté.

Si Pie IX avait dit la vérité, il aurait dit à Veuillot :

— Vous gênez ma politique à l’égard de Thiers.

Ni plus, ni moins.

Le pape et son secrétaire d’Etat se trompaient sur Thiers. Ils étaient trompés par la duplicité de l’affreux petit bonhomme lui-même. Veuillot avait vu clair. Pie IX s’en aperçut l’année suivante ; d’autant plus aisément qu’il n’avait plus alors besoin de le courtiser, il n’était plus rien, l’Assemblée nationale l’avait renversé le 24 mai 1873.


Jean Madiran, « Veuillot condamné », Itinéraires n° 276, sept.-oct. 1983.
 

     

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