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L'abbé René Laurentin
par pacem tuam da nobis, Domine 2020-12-23 15:00:47
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dans son gros pavé de ~600 pages «Les évangiles de l'Enfance du ChristVérité de Noël au-delà des mythes», avec tout l'attirail de la critique littéraire et sémiotique dans ses première et deuxième parties, réserve sa troisième partie intitulée «Quelle historicité?» (p. 367-527) à un examen fouillé de l'historicité des événements rapportés par saint Matthieu et saint Luc dans les deux premiers chapitres de leur évangile respectif: il conclut à l'historicité de ces événements, y compris pour le massacre des Saints Innocents. Vous trouverez ci-dessous les pages 432-437 qui traitent de l'historicité du massacre des Saints Innocents.
Vous y retrouverez les éléments repris dans la page Wikipédia, mais plus développés ici ainsi que des éléments neufs.
Je n'ai pas le temps de nettoyer le texte, ni de le remettre en forme: les groupes de termes entourés de deux astérisques devraient être en gras, ceux qui sont entourés d'un seul astérisque en italiques. Les notes sont listées en fin de texte.
Cordialement.
Pacem tuam da nobis, Domine



**Massacre des Innocents**

De tous les épisodes de l’Évangile de l’enfance, le massacre des Innocents est celui qui rencontre le plus d’objections.

— Sur le plan littéraire, il paraît rapporté, avons-nous vu page 305. Mais cet indice dévaluant n’exclut pas qu’il puisse être de bonne source.

— Il est surprenant qu’Hérode, roi habile et policier, n’ait point fait filer les mages en ce lieu proche qu’était Bethléem (7 km) et qu’il n’ait pas su trouver la «maison» visitée par les mages, assez voyants, s’agissant d’étrangers chargés de «coffrets» (Mt 2, 11), donc de bagages avec montures.

Sur ce point, suspect entre tous, l’étude rigoureusement historico-critique de Soares Prabhu détecte les probabilités d’un noyau historique : le récit ne relevant ni du style propre de Matthieu, ni de la mise en œuvre de sources bibliques ou autres [1](#bookmark0) et R.T. France a consacré à l’historicité de cet épisode une monographie exemplaire [2](#bookmark1) dont voici l’essentiel :

- I. AU PLAN DE L’ANALYSE LITTÉRAIRE, le récit de Mt 2 peut-il être expliqué comme mise en scène des textes bibliques allégués pour chaque séquence? La citation de Jr 31, 15 n’a pas une telle valeur explicative: Rama n’est pas Bethléem, le sépulcre de Rachel en cette ville constitue un lien bien mince, et les enfants perdus qu’elle pleure : les *exilés* selon Jr 31, 15, ne donnent point à penser au massacre d’Hérode, etc. La citation n’a visiblement été saisie que pour apporter un éclairage à un récit préexistant, émanant, comme les autres, d’un fond populaire qui se référait à l’histoire de Jésus.

Les tentatives pour expliquer le récit par le placage de légendes païennes, ou de traditions juives sur Moïse, Abraham, Jacob (p. 105-108) ne donnent aucunement une explication du texte.

Le rapprochement, qui aurait pu intervenir, entre Moïse enfant, menacé de mort par le pharaon, et les enfants massacrés à Bethléem, n’est point actualisé par le récit de Mt 2, 16-18. Le seul contact littéraire avec l’histoire biblique de Moïse : Ex 4, 19 et Mt 2, 19, n’a pas valeur explicative: (ci-dessus, p. 381).

R.T. France qui accorde une importance aux influences formelles des traditions juives sur ce point, conclut :


Etablir que l’histoire de Moïse a servi *de modèle* pour la rédaction du récit, ce n’est pas expliquer l’origine de la tradition. La question se pose de nouveau. Qu’est-ce qui est venu le premier ?

— La tradition dérive-t-elle simplement d’un désir chrétien d’habiller Jésus de la livrée de Moïse ?

— Ou bien une *tradition narrative,* déjà existante, a-t-elle suggéré le rapprochement avec l’histoire de *l’Exode,* de telle sorte que le récit se soit référé à cette dernière à la lumière de cette donnée ? (p. 108).

S’il n’existait pas de tradition du massacre d’enfants par Hérode, pourquoi aurait-on mis le massacre du Pharaon en connexion avec Jésus ? (...). L’idée de Jésus comme nouveau Moïse n’est pas si importante dans la tradition chrétienne qu’on le présuppose. Ce n’est qu’un élément mineur en Matthieu (contrairement aux vues de W.D. Davies, *The Setting,* 1963, p. 25). En Matthieu 1-2, le thème du nouveau Moïse est seulement «un élément dans une mosaïque de motifs» (...), pour présenter le Christ comme une nouvelle création: le roi messianique qui représente Israël, et qui est l’Emmanuel (p. 109-110).


Ainsi la citation explicite d’Os 11, 1 en Mt 2, 15 est-elle référence à *Israël* et non à *Moïse.* Et cela répond à «la typologie fondamentale du chapitre». Ce n’est pas la texture du récit qui s’inspire des récits relatifs à Moïse, mais *«la rédaction et l’expression en surface».* Ces traditions ne sont pas le principe structurel du récit, mais un élément d’interprétation.


W. L. Knox juge correctement que «la correspondance typologique (...) a été surimposée au récit de l’enfance dans une phase rédactionnelle qui n’était point primitive (The *Sources,* Cambridge 1957, p. 123). Le chapitre n’est pas structuré comme un midrash sur les histoires de *l'Exode* (Stendhal l’a montré) mais, comme une apologie de l’origine géographique inattendue du Messie (p. 110-111).



Bref, Matthieu 1-2 a usé du midrash, au sens large où ce mot signifie une exégèse actualisante rapprochant les événements de l’Écriture, non au sens systématique où l’Écriture est principe d’affabulations théologouménales.

Expliquer le massacre des Innocents, avec J. de Kingsbury *(Matthew,* 1975, p. 89-92), comme une construction apologétique est encore moins convaincant. Que l’épisode ait été forgé comme signe de jugement à l’encontre d’Israël, pour avoir rejeté le Messie paraît bien factice, et l’on voit mal comment une apologétique chrétienne aurait inventé un récit rendant Jésus responsable (fût-ce indirectement) des injustes souffrances des enfants juifs de Bethléem (ib. p. 113).

Le récit ne présente pas les caractères du style de Matthieu lui-même et présente nombre de mots qui ne se trouvent que là *(hapax) [3](#bookmark2).*

Enfin, la précision relative à l’âge des enfants : « depuis 2 ans et en dessous » n’est « ni essentielle au récit ni explicable » par aucun modèle littéraire connu : ce qui « suggère qu’il s’agit de la réminiscence d’un événement réel», concluait Soares Prabhu lui-même [4](#bookmark3).

- II. LA CRITIQUE HISTORIQUE apporte des indices dans le même sens.

Le fond de tableau est parfaitement conforme aux données historiques connues. Hérode fut grand massacreur. Il avait sur les mains le sang de ses prédécesseurs : Antigone et Hircan, avec nombre de leurs partisans, avec les membres de la famille asmonéenne, leur parenté et leurs partisans. Il avait éliminé ses propres enfants : Alexandre et Aristobule, fils de Marianne, en l’an 7 (Josèphe, *Antiquités* 16, § 392-394), et Antipater, en l’an 4 avant J.C., peu avant sa propre mort *(Antiquités 17,* 182-196), à l’époque où Matthieu inviterait à situer le massacre des Innocents : ce qui avait provoqué le célèbre mot d’Auguste : « Il vaut mieux être le *cochon* d’Hérode que son fils ». Ce jeu de mot sur *hus :* cochon, et *huios :* fils, est rapporté par Macrobe *(Saturnalia* 4, 4, 11, ed. Garnier, I, 273). A quoi s’ajoute l’exécution de nombreux groupes de conspirateurs avec la totalité de leurs familles *(Antiquités* 15, § 366-369, R.T. France, p. 114-115).

Les tueries les plus caractéristiques datent précisément des *dernières années d’Hérode : celles de la naissance de Jésus,* en réaction anxieuse contre la prédiction que sa dynastie, allait perdre le trône *(Antiquités* 17, 2, § 43; R.T. France, p. 115).

Son alacrité policière (15, §366 ; 16, § 236), son projet de meurtre, sa réaction violente, lorsque son plan échoue, répondent bien à son caractère. Ainsi fit-il tuer un dévoué soldat, Tiron, qui le dissuadait d’occire ses propres enfants, et 300 officiers sympathisants *(Antiquités* 16, § 379-394, R.T. France, p. 116).

L’obsession de menaces pour son trône, qui caractérise la fin de son règne, donne crédibilité au récit de Matthieu; de même, ce que Flavius Josèphe nous apprend du règne d’Archélaüs. Les inquiétudes de Joseph, le père adoptif, retour d’Egypte, sont parfaitement justifiées par le caractère sinistre de ce règne et de cette période *(Antiquités* 17, 13, § 339-355; *Guerre des Juifs,* 2, c. 6, § 111, etc.).

Que le massacre de Bethléem soit ignoré de Flavius Josèphe, cela ne constitue pas une objection [5](#bookmark4). Sa chronique était débordée par des massacres de plus grande ampleur, opérés par Hérode dans sa propre famille, parmi ses officiers, et parmi les juifs. La veille de sa mort, il avait été jusqu’à rassembler tous les notables, dans l’hippodrome de Jéricho, avec ordre de les tuer lors de son décès, afin que ses obsèques ne soient pas marquées par une explosion de joie, mais bien par les larmes qui convenaient à sa mémoire. Il gouvernait au-delà de sa mort (Flavius Josèphe, *Antiquités Yl,* 5-6, § 178-181).

En comparaison, le massacre de Bethléem pouvait passer inaperçu.

Le village et ses alentours comptaient environ 1 000 personnes, donc au maximum une vingtaine de garçons de moins de 2 ans : chiffre mineur au tableau de chasse d’Hérode. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Flavius Josèphe, surchargé d’épisodes sanguinaires, ne dise rien de celui-là. Son silence n’est point significatif.

Avons-nous, sur ce massacre d’enfants, des recoupements ?

E. Stauffer *(Jésus,* Londres, 1960, p. 38 s) cite à *ce* titre *L'Assomption de Moïse* (6, 4 et 6), écrite peu après la mort d’Hérode (entre 4 et 30). On y lit cette prédiction (après coup) : un roi impudent et impie, non seulement «supprimera les notables», mais


tuera les vieux et les jeunes sans pitié (...), et exécutera sur eux, pendant 34 ans (durée du règne d’Hérode) les jugements que les Égyptiens avaient exécutés sur leurs pères.



Ce massacre « des jeunes » pourrait être une allusion à la tuerie de Bethléem. Si ce recoupement est justifié, il serait indépendant de la tradition chrétienne.

De même, Macrobe (cité plus haut), situe le mot d’Auguste sur « les cochons d’Hérode», plus heureux que «ses fils».


lorsqu’il apprit que, parmi les *enfants de moins de* 2 *ans,* tués sur ordre d’Hérode roi des juifs, en Syrie, le propre fils d’Hérode avait été tué *(Saturnalia 2,* 4, 11).


Il y a là un étrange mélange entre des traditions relatives à deux meurtres d’Hérode

— Celui de ses propres enfants, qui furent tués étant *adultes, — celui d’enfants «au-dessous de 2 ans»* qui répond à la précision, apparemment factuelle de Mt 2, 5.

Macrobe étant un païen qui ne révèle, par ailleurs : « aucun signe d’influence chrétienne» (R.T. France, p. 118, note 87), l’hypothèse qu’il soit l’écho de Matthieu paraît peu probable, d’autant que Macrobe situe ce massacre en Syrie.

Ces textes pourraient être une confirmation historique. Mais ce n’est pas prouvé. Ils ne fournissent ni une évidence directe, ni des recoupements certains, seulement des probabilités. R.T. France a donc raison de conclure avec réserve :


Du point de vue littéraire, il est plus simple d’expliquer l’origine de la tradition sur les enfants de Bethléem massacrés par Hérode comme souvenir d’un événement actuel, et notre étude historique a montré qu’un tel événement n’est pas improbable durant les dernières années d’Hérode (...). Cet épisode ne doit pas être évoqué trop facilement comme évidence que les histoires de la Nativité auraient été simplement fabriquées dans l’intérêt de l’hagiographie chrétienne ou de l’apologétique, ou développées sans base historique à partir d’une réflexion sur l’Écriture et la tradition juive.



Une analyse objective invite donc à considérer le récit de Matthieu, non comme une création, mais comme une donnée, qui a suggéré à Matthieu ses rapprochements bibliques. A défaut, sa démarche n’aurait pas de sens, dans sa perspective et selon son propos.


Matthieu ne fait pas une *simple méditation* sur les textes de l’Ancien Testament, mais prétend qu’ils ont trouvé leur accomplissement dans ce qui est arrivé. Si l’événement était légendaire, l’argument serait futile. Certes, Matthieu peut s’être trompé et avoir accepté un fait qui était en réalité une pieuse légende. Nous avons vu les raisons de douter que tel soit le cas (p. 120).



[1](#footnote1)

LA DESCRIPTION DU MASSACRE EST PRÉ-RÉDACTIONNELLE». «La curieuse précision depuis 2 ans et au-dessous» suggère «la réminiscence d’un événement actuel» (...), elle est « difficile à expliquer d’autre manière», constate avec raison Soares-Prabhu, p. 261, 298-29. Mais le silence de Flavius Josèphe lui paraît «décisif contre l’historicité». Un argument *a silentio* peut-il être « décisif » ? Avec R.T. France, nous penserions le contraire (ci-dessous, p. 435, note 11)

Enfin, il tente d’expliquer ce récit comme une dérive des traditions rabbiniques sur la naissance de Moïse (p. 298-299). Cette hypothèse majore les rapprochements ténus entre les traditions foisonnantes sur la naissance de Moïse et le récit sobre et si différent de Matthieu. Ces traditions ne sauraient être considérées comme explicatives de Matthieu, sinon au titre de présupposés systématiques. Soares Prabhu ne propose pas de rapprochements qui fondent cette hypothétique dérivation.

[2](#footnote2)

R.T. France, *Herod and the Children ofBethleem, tensNovum Testamentum* 21 (1979), p. 98-120.

[3](#footnote3)

MOTS RARES ET HAPAX EN Mt 2, 16

Deux mots ne se trouvent que là dans Mt : anaireô *(aneilen)* et *EM.PAIZEIN au sens de jouer,* qu’il prend ici.

Quatre autres mots ne se trouvent pas ailleurs dans le Nouveau Testament : *akriboun* (dont le seul autre exemple est le contexte antécédent de Mt 2, 7), *dietês, katôterô* et *thymousthai.* (soares-Prabhu, p. 257-259).

[4](#footnote4)

Soares-Prabhu, *The Formula,* 1978 p. 298; cf. R.T. France, *Herod p. 113.*

[5](#footnote5)

« L’ARGUMENTUM A SILENTIO contre l’historicité. Le manque de recoupements avec l’histoire profane n’est-il pas un argument sérieux contre l’historicité de l’histoire se demande R.T. France ? Il répond : Même la crucifixion de Jésus n’a pas laissé de souvenirs non-chrétiens contemporains. Les quelques références plus tardives qui peuvent être considérées comme indépendantes (Tacite, *Annales* 15, 44 et F. Josèphe, *Antiquités* 18, 3, 53-64) ne résultent pas de l’événement lui-même, mais du mouvement religieux qui a grandi par ailleurs. Pourquoi donc devons-nous attendre une confirmation indépendante d’un événement mineur (...) parmi les atrocités d’Hérode?

     

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 Massacr des Innocents par Tibère  (2020-12-22 17:21:19)
      Vous pouvez par Jean-Paul PARFU  (2020-12-22 17:36:50)
          Merci par Tibère  (2020-12-22 17:44:33)
      L'abbé René Laurentin par pacem tuam da nobis, Domine  (2020-12-23 15:00:47)
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