C'est un drame absolu. Sous prétexte que "l'assemblée doit pouvoir tout chanter", et l'offertoire étant souvent en France réservé à l'orgue - et c'est le seul moment où il peut se faire plaisir, je ne lui en tiendrai pas rigueur !, il est quasi impossible de chanter autre chose que du cantique de bas étage.
L'inculture musicale du catholique moyen est atterrante. Trois notes un peu sirupeuses et point trop désaccordées, des paroles qui ont un peu de sens, une chorale qui chante à peu près juste et en rythme suffisent à faire dire à l'immense majorité "que c'est beau !" Non, c'est juste émouvant et à peu près correctement exécuté. Dire qu'il y a une "grammaire" du beau, c'est déjà être hérétique.
Dans le NOM, les seuls chants antérieurs au concile qui sont tolérés sont les Noëls et les les tubes mariaux (Chez nous soyez Reine, les Ave Maria de Lourdes ou Fatima...), et quelques machins des années 50 du père Gélineau. Quand j'étais enfant, il n'y a pas si longtemps, beaucoup d'assemblées étaient encore à peu près capables de chanter plus ou moins mal le Kyrie de la messe des anges, le Gloria VIII ou le Credo III, éventuellement le Salve Regina et le Regina Coeli en quelques lieux où s'était établie la coutume de les chanter à l'issue de la messe dominicale. Il n'en reste rien, sauf dans quelques lieux particuliers.
Dans beaucoup de coins ruraux, il y avait un répertoire de cantiques locaux en rapport avec une dévotion locale particulière, souvent mariale, des chants de procession ou de pèlerinage notamment : dans les Landes, Estele de la Ma ou Ô Vierge de Buglose, par exemple, qui sentaient la dévotion populaire à plein nez. Aujourd'hui, il n'y a souvent plus de chantres, les prêtres ne les choisissent plus ces chants. Quand occasionnellement j'ai servi comme chantre dans la paroisse de mes parents dans les Landes, j'ai toujours choisi l'un de ces chants à la sortie de la messe (en plus ça tombe en général le 15août...), et je peux vous dire que les gens connaissent encore ces chants par cœur, et les chantent à pleine voix. Mais dans vingt ans, ce répertoire de piété populaire aura disparu aussi, car les prêtres ne l'entretiennent pas.
Un des noeuds du problème est le refus de "faire de la peine". J'ai pris une soufflante du vicaire le jour où j'ai expliqué à une autre membre de la chorale des jeunes que ses portements de voix (aka "dégueulandos") mettaient en difficulté tout le chœur et le faisaient sonner faux. "On n'est pas une chorale de concert, c'est pas grave si ça sonne faux". Dans ma paroisse actuelle, une femme chante objectivement faux, elle a visiblement besoin de cours de chants et n'est clairement pas au niveau pour être chantre. Les organistes refusent de jouer avec elle : elle chante donc à toutes les messes où les organistes sont absents ; on a même trouvé un saint homme de violoniste (plutôt bon par ailleurs) pour l'accompagner. Personne ne lui dira qu'elle chante faux. Une autre a une technique vocale dramatique, crie dans le micro au point que j'ai déjà dû me boucher les oreilles car j'avais mal. Même problème. J'envisage de proposer de payer de ma bourse des cours de chants collectifs pour tout le groupe des chantres, ça ferait peut-être passer la pilule.
Un autre nœud est l'idée que tout chant doit être chanté par l'assemblée, qu'elle ait envie de chanter ou pas, et ce du début à la fin de la messe. A la rigueur on peut chanter un chant de chorale pour l'offertoire - mais en ville c'est le moment où l'organiste profite d'un moment de liberté dans son pensum hebdomadaire, qui consiste à accompagner des mièvreries ou des horreurs chantées par des chantres médiocres à la voix mal employée.
Dans les milieux tradis... je ne connais guère l'état musical actuelde l'ensemble du monde tradi ! J'ai souvenir d'un choeur grégorien correct à Sainte-Odile à Paris, la Schola Sainte-Cécile est assez renommée et j'ai entendu le chœur de Saint-Nicolas en concert il y a quelques années, c'était plutôt correct (pas transcendant non plus, à cause du pupitre de ténors franchement médiocre, mais le problème existe dans tous les choeurs). Je ne suis pas sûre qu'il y ait les mêmes ressources vocales et musicales en province.
Le chœur du pèlerinage de chrétienté est plutôt de bonne qualité ; mais le fameux Chartres sonne contient une aberration, et je ne sais pas comment font les milliers de pèlerins annuels pour ne pas sentir le ridicule qu'il y a à chanter "Gloire, honneur au Christeuh-Roi" (j'imagine que la partition contient plutôt "Christ-Roi", mais c'est écrit d'une manière inadaptée pour un chant de marche).
Le répertoire tradi contient aussi quelques cantiques qui sont de vieux coucous poussiéreux, et qui gagneraient à rejoindre les poubelles de l'histoire. Néanmoins, sachant l'importance de la musique dans la mémoire spirituelle, je m'abstiendrai de citer des noms, car je ne veux pas blesser des gens qui aiment beaucoup X parce que "c'était le cantique de ma première communion, de ma confirmation, de l'enterrement de ma mère" ! ça n'en est pas moins nul, mais je m'incline devant un pareil attachement, qui fait partie de la "trame" de la foi des personnes.