J'ai connu des prêtres qui avaient été retirés de leur ministère pour la maison de retraite diocésaine à un âge précoce (il m'a suffit de lire l'ordo des années passées). Cela ne m'a pas empêché d'aller dans leur chambre et de les voir célébrer. On n'en parlait même pas à demi-mot, tout au plus suggérait-on des marques de prudence. On se disait qu'ils payaient suffisamment en étant mis dans cette maison, sans trop se demander ce que les enfants victimes pouvaient sentir. Ce fut aussi le cas de laïcs ou de personnes de nos villages ! L'évêque autorisait, ou non, le prêtre à célébrer dans l'arrière-pays le dimanche pour aider ses confrères. Ces prêtres avaient aussi du courage, quelque part, car ils savaient tous l'étiquette qu'ils portaient sur la tête. Il est certain qu'on n'était plus à l'époque où on envoyait un prêtre séculier macérer chez les convers d'un monastère… Tel autre put être envoyé fidei donum, ce qui n'est pas très reluisant et n'empêcha pas que les crimes fussent perpétués là-bas.
On oublie que la justice des hommes a aussi une histoire. Il fut longtemps légitime de cogner sa femme et ses enfants, et nous connaissons tous des femmes battues autrefois et sans doute encore maintenant. On pourra dire dans dix ans qu'on savait et qu'on n'a rien fait. Rien n'est simple, y compris pour les violences faites à des enfants, et même des crimes. Pour certaines personnes, d'une certaine religion ou même de bons catholiques, le mâle a la propriété de sa femme et de ses enfants, la société n'a pas à s'en mêler.
Une copine d'école était victime de ses parents, au sens le plus glauque du terme. Tous les adultes du village le savaient. L'enfant, de ma classe, était toujours d'une tristesse insondable, jusqu'aux photos de classe où elle baissait la tête, à l'écart du groupe. Nous, nous ne comprenions pas. Puis nous sommes partis au collège. La fille est entrée en maison psychiatrique, et à 19 ans, après son suicide, j'ai porté son cercueil dans l'église. La famille qui avait déménagé, était là. La tombe, une croix bricolée en bois avec quatre carreaux de carrelage, n'a pas même de nom. La maîtresse avait fait un signalement comme on dit. So what ?
Il n'y a pas de micro-climat dans la région de laquelle je viens, mais je connais des histoires d'inceste dans plus d'un village et la justice alors ne s'en mêlait pas. La déviance du curé put apparaître qu'un dérèglement de plus. Si vous avez lu "Court serpent", de P. du Boucheron, le roman montre bien ce que donnent des villages (et des villes !) à l'instinct le plus bestial, clergé compris.
On a bien un chef d'Etat qui nous a vendu une belle histoire d'amour avec sa professeure (sic) qui enseigna dans des écoles catholiques…
La part très sombre de l'Humanité et le clergé déviant ne remonte pas à Vatican II.
Quand Pompidou cite Eluard à la fin d'une conférence de presse, on en vient à avoir honte du suicide de l'enseignante, et pourtant, comme disait le père de Camus (dixit Finkielkraut), "un homme, ça s'empêche". Je sais que le P. Viot connaît bien ce dossier et qu'il est très mesuré et partagé.
Si j'ai pu connaître des curés qui couchaient avec une dame, je me suis interdit de le faire savoir à qui de droit. Ma tante habitait en face d'un ancien curé qui dormait dans le même lit que sa gouvernante. J'ai connu ce petit couple. Tout le village savait et tout le village alla aux funérailles du prêtre qui passait pour un brave homme. Comme il était en civil et qu'il ne vivait pas dans un presbytère, j'ai mis du temps, enfant, à comprendre que c'était un "Monsieur le curé". C'est même le village où je serai enterré...
Pour des enfants, je n'aurais pas hésité à dénoncer, mais j'ai l'âge que j'ai. Avant les années 2000, tout le monde se taisait, que cela concerne le curé, l'enseignant ou le ministre.
Les procureurs n'en demeurent pas moins embêtés quand ils reçoivent des lettres anonymes ou des dénonciations motivées (même quand l'évêque leur renvoie la patate chaude au moindre indice).
Un prêtre ne peut plus se défendre face à la machine qui va le broyer, même quand il est totalement innocent. J'aimerais savoir que les évêques vont visiter les prêtres en prison, même quand ceux-ci ont avoué leurs crimes. Certains doivent le faire ou donner des signes, mais d'autres…