Bien cher cousin,
Quelle vie trépidante, ici ! Le synode ressemble à une fourmilière ; chacun va et vient avec de nouvelles idées et de nouvelles découvertes et l’on se prend à penser que ces vieilles pierres et statues vaticanes vont d’un coup s’écrouler pour laisser place à une jungle verdoyante et foisonnante...Pourtant, les nouvelles de cette lettre commenceront cette fois-ci à Sainte Marthe, où j’ai pu assister à la messe du Saint-Père l’autre matin.
Vous avez sans doute entendu parler, mon cousin, de ces quelques prélats conservateurs et bornés, qui critiquent sans cesse le bon pape François et veulent que l’Église s’arc-boute sur la prédication de l’Evangile, l’annonce de Jésus-Christ et le salut des âmes...C’est vraiment un nuage noir dans notre beau ciel amazonien. Il faut voir ce que le pape leur a mis dans la figure lors de cette messe ! C’était un régal ! Je ne dis pas que l’homélie du pape fut très claire car personnellement, je n’y ai compris goutte ! Il a parlé des défis du Seigneur(?) qui s’opposent à l’idéologie de la Foi(!) et qu’il ne fallait pas condamner mais au contraire être un chrétien sans condition….bref, c’était un peu fumeux mais il y avait au premier rang une vingtaine de prêtres octogénaires, tous vêtus de sacs blancs, qui opinaient doctement du chef et cela m’a rassuré. Il faut toujours faire confiance à notre bon pape François !
Peu après, je me suis rendu à la séance du synode qui promettait beaucoup ce jour-ci : on devait y entendre des témoignages de première main des indigènes eux-mêmes. Comment ne pas être passionné par ces êtres qui nous sont tellement supérieurs, vivant dans une sorte d’Eden et dansant la vie au rythme du chant des rivières ! Le premier à témoigner fut pourtant acteur d’un grave tapage. Le Chef Janos Marcilono Muxaci prit la parole sous les regards favorables et encourageants des Pères. Mais son discours était très étrange !
Voilà ce qu’il déclara en résumé : qu’il était fier d’avoir été baptisé et enseigné par des missionnaires, que la culture primitive amérindienne était loin de l’idéal que certains tiers-mondistes décrivaient, que la théologie de la Libération, pourtant populaire au synode, maintenait les populations dans un primitivisme de supermarché, que la réforme agraire était une absurdité et que partout où elle avait été mise en œuvre, elle ne produisit que famine et pauvreté, qu’il ne voulait pas finir comme les Vénézuéliens ou les Cubains, et qu’à tout considérer, ce synode était une sinécure de vieux européens qui se servaient des Amazoniens pour assouvir leurs fantasmes modernistes et écolo-marxistes. L’effroi s’empara d’un coup des Pères synodaux. Le visage du pape avait viré au rouge, puis au cramoisi. On ne pouvait pas arrêter l’Indien dans sa diatribe et du bon pape François se dégageait l’aspect d’une terrifiante colère...Le cardinal Baldisseri, qui jetait régulièrement des regards inquiets vers le pape, prit l’initiative de couper net le micro à Janos en disant d’une voix forte : « Merci, cher frère en Mère la Terre, nous avons entendu ton propos ! » Il se pencha ensuite vers François mais avait oublié de couper son micro, si bien que tout le monde put entendre : « je ne sais pas comment il a fait pour passer les sélections, mais je peux vous assurer que dès demain, les responsables seront limogés », ce qui a paru apaiser le Pontife…
Pendant ce temps, le Chef Janos, humilié et vexé, quittait bruyamment la salle en se répandant en anglais « I don’t care with this fucking synod ! » puis « everything here is fake ! » et pour finir « you fucking assholes ! »
Chacun ayant repris ses esprits et retrouvé l’esprit du synode, on accueillit avec beaucoup de bienveillance un Chef Yonanomo, d’une tribu pratiquant la polygamie. L’homme était clairvoyant et commença par dénoncer le colonialisme des chrétiens qui continue sous des formes plus pernicieuses ; ainsi il expliqua que le fleuve au côté duquel il vivait, s’appelait originellement « la rivière des serpents » mais que les missionnaires espagnols l’avaient rebaptisé « Madre de Dios ». Aussitôt, les Pères synodaux firent un vote à main levée où l’on décida qu’avant 2035, toutes les cartes du monde devaient revenir au nom originel de « rivière des serpents ». De longs applaudissements vinrent saluer la réparation de cette blessure infligée aux Indigènes.
Continuant sur la même ligne, il s’en prit vertement au pape et aux Pères synodaux qui avaient envoyé des émissaires dans son village pour jauger si l’on pourrait y trouver des « viri probati » dignes de ce nom...Or, c’est son voisin Anoki qui fut retenu. L’homme, furieux, commença par faire remarquer que la traduction d’Anoki était « comédien » et que d’ailleurs, cet Anoki n’avait que trois femmes alors que lui en avait cinq. Anoki n’avait que 10 enfants alors que lui en avait 17. C’était donc à lui d’être ordonné pour le village et non son voisin, qu’il traita au passage peu aimablement de « petite bite ». Pour finir, il indiqua que sa case donnait directement sur le fleuve alors que celle d’Anoki en était éloignée d’au moins cinquante mètres ; donc Anoki ne pouvait communiquer avec les esprits du fleuve ni se régénérer au contact de l’eau. Il fallait donc le déclarer impropre au ministère. Inutile de vous dire, cher cousin, que pendant tout ce temps, les greffiers, les Père synodaux et le pape lui-même prenaient frénétiquement des notes afin de résoudre cette avalanche de problèmes très graves car en effet, que vaut donc la présence de l’Église si elle ne tient pas compte de la communauté de vie des peuples en route vers la colline sacrée ??? On le remercia chaleureusement pour son témoignage si plein de vérités et avant d’être congédié, il s’enquit tout de même du salaire mensuel de prêtre en Amazonie….On lui répondit que c’était encore à l’étude.
Nous déjeunâmes d’un piracucu aux crachats, accompagné de mojojoy et croyez-moi, il nous fallait bien ça pour nous remettre de cette matinée et aborder l’après-midi !! Ces Indigènes, grâce à leur mode de vie et à leur sagesse, ont une santé de fer !
Nous ne fûmes pas déçus ! On vit entrer une très vieille femme, avec ses plumes mais la poitrine nue – ce qui mit tout le monde mal à l’aise, mais pas comme si elle avait 25 ans, comme vous l’imaginez -, une sorte de pagne pour vêtement, la peau burinée et le visage coloré de différents traits de peinture...Le cardinal Baldisseri la présenta comme une éminente représentante de la tribu des Zo’é, adepte de la polyandrie. Dans l’assistance se tenaient ses quatre maris, assis paisiblement et prêts à écouter leur épouse.
La vieille femme qui répondait au nom délicieusement exotique d’Inavice Natoné, était très en forme. Sans doute encore un effet de cet environnement intégral de nature et de communion qui nous est, pour nous pauvres hommes blancs soit-disant « civilisés », un exemple si précieux. Le moins qu’on puisse dire est que son expression fut directe ; chacun put suivre ses paroles grâce aux oreillettes. Elle se planta devant le pape François et commença à l’apostropher d’une voix rauque : « C’est toi le grand Pacha Pappa, ici ? Tu sais que ça commence à bien faire, tes histoires de « viri probati » ? Au village, les bonshommes ne parlent plus que de ça et je suis obligé de me taper, à mon âge, la cuisine et la vaisselle !!! Tu trouves ça normal, Pacha Pappa ? Faudrait peut-être voir à leur dire que prêtre, c’est pas un échappatoire au mariage ! » Les Pères synodaux étaient interloqués mais comment reprocher sa franchise à cette indigène ? Le bon pape François, rouge de confusion, bafouilla qu’il fallait s’ouvrir au Dieu des surprises et se laisser caresser par l’Esprit et que...« Ah ! Parce que tu crois que je vais finir mes jours entre quatre curés ? » s’exclama la vieille, furieuse. La gêne était visible sur tous les visages et le cardinal Baldisseri suspendit la séance, afin que chacun puisse réfléchir à genoux.
Vingt minutes plus tard, tout le monde était revenu à sa place. Le pape François, visiblement soulagé, annonça triomphalement qu’on avait trouvé une solution qui allait satisfaire la dame et lui dit tout de go que pour résoudre le problème, non seulement ses maris ne seraient jamais ordonnés mais qu’en plus, elle-même serait élevée au rang de diaconesse. Inavice lui fit savoir qu’elle était déjà cheffe du village, de sa famille et en plus, sorcière et médecin, et qu’elle n’avait que faire d’un nouveau titre. Un évêque hollandais se leva alors et souligna à quel point la société amazonienne était en avance sur la nôtre, vu que les femmes y exerçaient moultes responsabilités tandis que les femmes occidentales ployaient encore sous le joug du patriarcat le plus abject, lui-même inspiré par le catholicisme triomphant. Les applaudissements furent nourris.
C’est à ce moment qu’un des quatre maris demanda la parole : « Grand Pacha Pappa ! Elle dit qu’elle est médecin, mais en fait elle parle seulement aux arbres de la forêt...il y a un mois, un de nos fils s’est foulé la cheville. Pour le soigner, elle lui a fait une cardiectomie puis l’a éviscéré et a jeté son corps dans la rivière ! » Tous furent horrifiés par ce récit mais la vieille prétendit que ses remèdes auraient pu fonctionner et que si le garçon était mort, c’était à cause des missionnaires espagnols du XVIème siècle qui apportèrent plein de maladies avec eux…
Le cardinal Baldisseri, en sueur, annonça que cela suffisait pour aujourd’hui et leva la séance. Mon cher cousin, nous étions tous bien éprouvés et je sortis dans le flot des prélats qui étaient silencieux. Je pense que beaucoup se disaient que l’inculturation ne serait pas si facile à mettre en œuvre. Avant d’aller me coucher, je fis une halte dans un restaurant. Je ne sais pas pourquoi. Je commandai un steak-frites et une bouteille de Bordeaux .
Si je trouve un peu de temps, cher cousin, je vous dirai la suite ; pour l’instant, je me sens fatigué.
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