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Regards sur l'actualité récente (II): considérations sur le pouvoir chrétien
par baudelairec2000 2018-12-21 16:29:47
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Les devoirs du gouvernant chrétien

Pour un chrétien, l’homme est un animal social ; en d’autres termes, il ne peut atteindre sa fin qu’au sein de la société, celle-ci l’incitant à devenir vertueux, notamment par l’exercice des vertus de justice et de tempérance, et le dissuadant au contraire de poser des actes mauvais. La mission des gouvernants est ainsi toute tracée : régir, c’est en même temps diriger, vers le bien, et corriger, c’est-à-dire ramener ceux qui agissent mal dans la voie de la vertu. Tout gouvernant qui contreviendrait à sa fonction verrait par avance sa légitimité remise en question ; les Anciens, que ce soit les Grecs ou les « Médiévaux » qualifiaient de tyrans les rois qui régnaient de manière injuste. Or, on règne injustement quand on ne poursuit pas le bien commun dans ses actes de gouvernement.

La justice, la vertu politique par excellence. Jonas d’Orléans, figure éminente de l’épiscopat franc des années 825-830, l’avait bien compris quand il adressait un traité intitulé De l’Institution royale à Pépin d’Aquitaine, un remarquable miroir des princes destiné à rappeler aux gouvernants quels sont leurs devoirs.

Trois vertus doivent les habiter : la justice, la piété et la miséricorde : « Le roi tire son nom du fait d’agir droitement. » Le roi (rex, du verbe regere, diriger) est donc un recteur ou un dirigeant (rector, un homme qui gouverne avec rectitude). « Si en effet, il règne avec piété, justice et miséricorde, c’est à juste titre qu’on l’appelle roi ; s’il manque à ces vertus, il perd ce nom de roi », il devient un tyran. « Le nom de tyran est adapté à ceux qui gouvernent dans l’impiété, l’injustice et la cruauté. » On ne peut pas être plus clair. Ces remarques peuvent s’appliquer à n’importe quel gouvernant, même si beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis 12 siècles. Il n’en reste pas moins que des chrétiens dignes de ce nom peuvent comprendre les propos de Jonas d’Orléans, même en ce XXIe siècle, car l’essence et la finalité du pouvoir dans une perspective chrétienne n’ont pas fondamentalement changé. Il est un point sur lequel je voudrais insister, c’est celui de l’exemplarité des gouvernants, exemplarité qui a été mise en évidence par Jonas :

« Puisque le fait de régner donne son nom au roi [ Jonas, rappelons-le, insiste sur le rapprochement étymologique de regere, régir et de rex, le roi, à la manière du proverbe : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron »], il lui faut d’abord s’appliquer, avec l’aide de la grâce du Christ, à se purifier et à purifier sa maison des oeuvres mauvaises, et à la faire abonder en bonnes œuvres, afin que tous les autres sujets en reçoivent toujours le bon exemple. De plus, que lui-même se conforme avec fidélité et obéissance aux préceptes salutaires du Christ et, en agissant avec rectitude, qu’il fasse demeurer ceux sur lesquels il exerce le pouvoir temporel dans la paix et la concorde, dans la charité et la manifestation de toutes les bonnes œuvres, pour autant que la volonté divine le lui accorde. Et que, par la parole et l’exemple, il incite avec habileté aux œuvres de piété, de justice et de miséricorde, en prenant garde au fait qu’il aura à en rendre compte à Dieu, afin, en agissant ainsi, de devenir après cette pérégrination le compagnon des saints rois qui ont plu à Dieu en le servant avec sincérité. (Jonas d’Orléans, De insitutione regia, chapitre 3, éd. Alain Dubreucq, le cerf, 1995).

Pour prolonger le propos de Jonas je reviens à saint Thomas et au De Regno. Plus de quatre siècles séparent ces deux auteurs, mais la préoccupation est la même. :

« Instruit donc par la loi divine, le roi doit porter son principal effort à la manière dont la multitude qui lui est soumise mènera une vie bonne. Cet effort se divise en trois points : d’abord instituer une vie bonne dans la multitude qui lui est soumise ; deuxièmement, l’ayant établie, la conserver ; troisièmement, l’ayant conservée, la faire progresser.

Or pour qu’un homme mène une vie bonne, deux conditions sont requises : l’une, la principale, est d’agir selon la vertu, car la vertu est ce par quoi on vit bien. L’autre, secondaire, et comme instrumentale, consiste dans la suffisance des biens corporels dont l’usage est nécessaire à l’acte de vertu… L’unité de la multitude, que ‘on appelle la paix, doit être procurée par les soins du gouvernant. »

Pour que les choses soient bien claires, saint Thomas récapitule de la manière suivante :

« Ainsi donc, pour instituer la vie bonne de la multitude, trois conditions sont requises.
1/ Que la multitude soit établie dans l’unité de la paix.
2/ Que la multitude unie par le lien de la paix soit dirigée au bien agir. Car, de même qu’un homme ne peut bien agir en rien si l’on ne suppose d’abord l’unité de ses membres, ainsi la multitude des hommes à qui manque l’unité de la paix est empêchée de bien agir, étant en lutte contre elle-même.
3/ Il est requis que, par l’activité du gouvernant, il y ait une quantité suffisante de choses nécessaires au bien-vivre. »

« Un minimum de richesses est nécessaire à l’exercice de la vertu » vient de nous rappeler saint Thomas ; on sait bien que celui-ci qui possède trop ne peut être vertueux : « Malheur aux riches ». Les spéculateurs, les financiers qui dirigent et écrasent le monde constituent un cercle bien fermé - on ne le sait que trop – formant ainsi une galerie de portraits dégoulinant de vice et de crasse immonde ; je me garderai bien de citer des noms. A l’opposé, les pauvres, du moins dans nos sociétés occidentales, sont toujours plus nombreux et ils voient leurs conditions de vie, déjà si fragiles, s’aggraver sous les coups que leur porte l’oligarchie mondialiste. Discours d’un militant de la France insoumise, me direz-vous. Et pourquoi la France Insoumise ne pourrait pas avoir raison dans ce domaine ? Les Gilets jaunes n’auraient pas le droit d’exprimer leur mécontentement ! Non, des sociétés qui tolèrent de telles disparités en leur sein ne sont pas tolérables.

Pas plus, d’ailleurs, qu’un pouvoir qui s’éloignerait du bien commun. Saint Thomas a par avance évoqué cette perspective :
« Un autre empêchement à la conservation du bien public, qui provient de l’intérieur, consiste dans la perversité des volontés, soit qu’elles soient négligentes à accomplir les devoirs que requiert la chose publique, soient même qu’elles soient nuisibles à la paix de la multitude quand, transgressant la justice, elles bouleversent la paix des autres. » Car, poursuit saint Thomas, le roi (le gouvernant) doit, par ses lois et ses préceptes, par ses châtiments et ses récompenses (justice distributive, justice correctrice), détourner de l’iniquité les hommes qui lui sont soumis, et les amener à des œuvres vertueuses, recevant son exemple de Dieu, qui a donné la loi aux hommes, récompensant ceux qui l’observent, châtiant ceux qui la transgressent (De Regno, II, 4). »

La justice au pouvoir

La fonction royale et, par là-même, la fonction de tout gouvernant est une fonction de correction. Le roi doit constituer un exemple pour ses sujets. Les auteurs ne font qu’adopter le leit-motiv de la "Regula pastoralis" du pape Grégoire le Grand. "Pastor" et "rector" sont associés dans le titre même d’un des ouvrages les plus lus au haut Moyen Age, l’un des plus commentés, par Jonas d’Orléans, par Smaragde dans la "Via Regis" (La voie royale), par Sedulius Scottus dans le "De Rectoribus christianis" (Traité des gouvernants chrétiens), tous auteurs au IXe siècle d’un Miroir des princes. De même que l’évêque doit être un exemple pour les fidèles de son église, le gouvernant se doit d’être exemplaire pour ceux qui lui ont été confiés : il doit se corriger lui-même, éviter l’injustice et corriger les abus dont il a connaissance. Ce qui est conforme aux canons des nombreux conciles qui se tinrent au sein de l’Empire carolingien, conciles au cours desquels, il faut le remarquer, les évêques et les grands abbés ne cessèrent de réclamer que les laïcs leur restituassent les biens dont ils estimaient avoir été privés depuis un certain Charles Martel, à leurs yeux, le plus grand des spoliateurs. Une revendication fréquemment reprise en chœur sous les règnes de Louis le Pieux (814-840) et de son fils Charles le Chauve (840-877). Les évêques et les titulaires des grandes abbayes contre le fisc ! Des ancêtres des Gilets jaunes ? Je ne répondrai pas à la provocation… Une chose est certaine : le roi est tenu de rendre des jugements en faveur des ecclésiastiques en faisant en sorte que les biens des églises ou des monastères leur soient restitués par des laïcs trop habitués à les flouer : « Le roi doit en premier lieu être le défenseur des églises et des serviteurs de Dieu. »

C’est pourquoi le gouvernant, dans sa fonction correctrice, doit mener des enquêtes aussi exactes que possible et rendre des jugements justes, c’est-à-dire impartiaux, sans acception de personne. L’impartialité de la justice ! « La même obligation, écrit A. Dubreucq, éditeur du texte de Jonas, s’impose à ses subordonnés, qui sont responsables devant lui. Elle s’applique particulièrement, quand elle concerne les plus démunis, les pauvres (= les déshérités de la vie dont la veuve et l’orphelin) et les indigents. » Les chapitres 3, 4 et 5 du traité de Jonas consacré à l’Institution royale mériteraient d’être cités intégralement tant ils résument parfaitement, à eux seuls, la mission du gouvernant chrétien. Mais le temps, la place nous manquent.

Une citation pour finir ; elle concerne les subordonnés du roi. Elle peut s’appliquer aux fonctionnaires, aux juges :

« C’est un péché, de la part du roi, de confier à des juges et à des subordonnés iniques l’exercice de son propre ministère, car il ne doit pas faire administrer celui-ci par les soins ses autres au point que lui-même en soit coupé. Nous ne disons pas qu’il doive entendre, examiner et trancher seul les litiges et les doléances du peuple, car en aucun cas il ne peut y suffire seul, mais plutôt qu’il doit constituer sous son autorité des hommes craignant Dieu et haïssant la cupidité, et par les actes desquels il n’offense pas le Roi des rois. »



Joyeux Noël à tous et n’oubliez pas que cette fête célèbre la royauté du Christ, le Roi de Gloire et Prince de la paix ; « Dominus regnavit » (Ps. 92).

« Demain sera détruit le péché de la terre et sur nous régnera le Sauveur du monde » Vigile de la Nativité).

Antiennes des premières Vêpres de la Nativité :

1 « Le Roi pacificateur, dont l’univers désirait voir le visage, est apparu dans sa majesté. »

2 « Le Roi pacificateur règne avec majesté sur tous les rois de l’univers ».

Antienne à Magnificat :

« Quand le soleil sera levé dans le ciel, le Roi des Rois, le Fils qui procède du Père, apparaîtra devant vous comme l’époux qui sort de sa demeure. »

Chant d’Offertoire de la messe du jour :

« A toi sont les cieux, à toi aussi la terre. C’est toi qui as fondé le monde et tout ce qu’il contient. Sur la justice et le droit ton trône est établi. »

Arrivés à la fête de l’Epiphanie, nous chanterons encore sa majesté :

Ecce advenit dominator Dominus : et regnum in manu ejus, et potestas et imperium
« Voici que vient le Seigneur souverain ; il tient dans sa main la royauté, le pouvoir et l’empire ».

     

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