En réponse à Meneau, Cath…O et XA par pacem tuam da nobis, Domine 2018-04-23 15:53:39 |
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Le jeu des citations et des contre-citations peut se poursuivre sans fin – il y a en a à foison – et je ne vais pas l'alimenter. Il est d'ailleurs parfaitement vain: l'Écriture ne saurait contredire l'Écriture et vos citations ne réfutent pas les miennes, elles insistent simplement sur un ou des aspects qui leur sont <b>complémentaires</b>: la consolation[1] annoncée par Isaïe[2] est tout de même plus proche du cœur de l'annonce évangélique que la «consolation» – je vous laisse la responsabilité du terme, même mis entre guillemets – du Christ aux femmes de Jérusalem. Le message du Christ, celui qui lui a gagné tant et tant de cœurs au cours des siècles, celui qui continuera de lui en gagner tant que les siècles dureront, ce n'est pas «Malheur à vous…»[3], c'est la bonne nouvelle, celle du salut, du pardon des péchés, du visage de Père de Dieu, de l'adoption filiale. Bref, pour le dire diplomatiquement, vos citations n'effacent pas les miennes et, pour le dire polémiquement, elles sont moins au centre et au cœur du message de Jésus que les miennes.
[1] Faut-il rappeler que la prégnance du thème de la consolation dans les chapitres 40–66 leur ont valu d'être appelés “Le livre de la consolation”?
[2] La tradition, significativement, a parfois parlé du livre d'Isaïe comme du cinquième évangile.
[3] Je connais cependant les passages où le Christ emploie cette formule, inutile de me les ‘contre-citer’.
Cela dit, venons-en au problème de la vérité qui s'oppose au sentimentalisme
Le sentimentalisme, pour moi – mais peut-être en conviendrez-vous également, je ne sais –, c'est l'interprétation qui rabat au niveau relatif de l'ordre humain les vérités révélées qui doivent être interprétées au niveau absolu de l'ordre divin, avec comme conséquence obligée l'affaiblissement et la relativisation de leurs exigences absolues, l'affadissement, parfois jusqu'à la mièvrerie, de leur charge de mystère. Et les plus hautes vérités de la foi sont exposées au risque de cette interprétation. On sait trop ce que peut devenir «Dieu est amour» dans la bouche de certains ‘humanistes’, avec comme conséquence logique «Nous irons tous au paradis». Mais on sait aussi la lecture radicale qu'en a faite Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et toutes les exigences de vie qu'elle en a tirées. «Dieu est amour», ce peut être un principe “permissif” – voire même, à notre époque, “transgressif” – qui justifie tout. Mais, pris en sa vérité, c'est le principe ultime qui fonde sur des exigences absolues une vie exemplairement sainte comme celle de Thérèse.
Il en va de même de «Dieu est Père». Cette vérité révélée absolue peut faire l'objet d'une interprétation “sentimentale”, qui nivelle et aplatit tout: si Dieu est Père, Dieu, en bon papa cool, nous passe tout, nous passera tout. «Ne te fais pas de soucis, mon gars, le Grand Réparateur passera après toi, tu es sauvé, quoi que tu fasses. Athée ou pas, tu es sauvé, rien n'a d'importance ni d'incidence, tout revient au même. Alleluia!»[4]. Et certains, ici, lisent l'intervention du Pape comme s'il était, peu ou prou, tenant de cette ligne d'interprétation.
[4] Je force le trait, bien évidemment, mais comme à d'autres, j'imagine, il m'est arrivé de lire de la prose de clercs qui n'était pas très loin de ma caricature.
Je pense que c'est faire bien peu de crédit au pape. Je suis au contraire persuadé qu'il a proposé à cet enfant un <em>raisonnement théologique rigoureux et sans concession</em>. Et c'est le suivant.
«C’est Dieu qui décide qui va au paradis», voilà la première pierre du raisonnement, sa prémisse. Or qui est Dieu? «Dieu est Père» ou, dans les termes de François, «Dieu a un cœur de père»: voilà la vérité révélée et c'est elle, <b>prise ici dans son sens ultime, plénier, radical et absolu</b>, qui va servir de moyen terme au ‘syllogisme’. Qui pense donc ce principe <b>dans sa radicalité divine</b> (cf. la parabole du fils prodique, le Bon Larron, etc.), quelle conséquence doit-il en tirer? Nous sommes au point crucial du raisonnement, le moment où l'on doit en tirer la droite conclusion. Là est LA question et, fort adroitement, fort légitimement, le pape se tourne vers l'audience pour la lui poser et lui demander de faire son choix. C'est le moment de vérité, celui de l'interrogation du cœur. Et François renvoie alors ses auditeurs non pas à leur cœur humain, «sentimental», mais à leur cœur secret, celui que la foi et le Christ forment en nous</em> et <b>c'est lui qui va devoir répondre</b>, <em>et non l'autre, le cœur humain, trop humain</em>. Qu'allez-vous répondre, <em>vous, chrétiens</em>? Allez-vous répondre que, de la nature de Père de Dieu[5], il s'ensuit que Dieu pourrait laisser ce père loin de lui, qu'il pourrait abandonner ses enfants s'il sont bons? Ou allez-vous répondre que sa nature intime, mystérieuse et incompréhensible de Père incommensurable à tout père humain fera qu'il n'abandonnera pas ce père, fera qu'il se préoccupera de lui? La réponse dès lors est claire et limpide et la conclusion du raisonnement[6] coule de source – c'est vraiment le cas de le dire: “Emanuele, tu peux faire confiance à Dieu le Père qui est assez fort pour sauver celui qui n'a pas cru en Lui”. Les termes dont usent le pape ne valent pas sanctification du père d'Emanuele, ils disent simplement que notre foi en Dieu Père nous porte à penser qu'il est sauvé (pour rassurer certains, avant le paradis, il y a le purgatoire) et à agir en conséquence: le prier ou prier pour lui. Laisser dans l'ombre l'ensemble de la scène et braquer tous ses feux sur le <em>Prega tuo papà»</em> me paraît encore et toujours relever du chipotage sans intérêt.
[5] Attention: de sa nature divine comme révélée par les évangiles, comme élaborée par la théologie, et non pas de sa nature mesurée à l'aune de l'homme, j'insiste le plus lourdement que je peux.
[6] Elle rejoint d'ailleurs le sentiment profond du cœur, tant il est vrai que «la grâce ne supprime pas la nature, mais la parfait».
[7] Encore une fois, d'un raisonnment rigoureux, théologique – mais aussi, pour ainsi dire, existentiel lors de la question posée à l'assemblée.
[8] Quel nom merveilleusement significatif, en la circonstance!
J'aimerais ajouter qu'il y a au fond deux sentimentalismes, miroirs inversés l'un de l'autre, mais commenttant les deux la même erreur. S'il y a en effet une interprétation mièvre des vérités exigeantes et absolues de l'ordre divin, il y a également une interprétation ‘dure’ de ces mêmes vérités qui est tout autant “sentimentale” que la première, parce qu'elle aussi mesure humainement les vérités divines. En dépit des apparences, le rigorisme d'un Calvin[9], c'est aussi du sentimentalisme, parce que le mètre qui est sa mesure, c'est le cœur de l'homme, non la mesure sans mesure du cœur de Dieu.
[9] Que l'on songe à sa doctrine de la prédestination.
Pour XA enfin, qui cite un propos irréfutablement pertinent de Sainte Thérèse. Puis-je lui rappeler que Sainte Thérèse a été la sainte de la <b>confiance</b> en Dieu? C'est là le point de l'affaire qui nous occupe. Le pape a fait sentir à cet enfant, à cet orphelin, qu'il pouvait avoir confiance en Dieu. Ce n'est pas de la théologie “à la Polnareff”, c'est la prise en compte radicale de la paternité divine dans son ordre divin spécifique et de la confiance qu'elle permet. Après mon préambule, la contre-citation devrait m'être interdite, mais j'y vais quand même.
«Je le sens, si j’avais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui. Ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde, a préservé mon âme du péché mortel que je m’élève à Lui par la confiance et l’amour ».
«Ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde, a préservé mon âme du péché mortel que je m’élève à Lui par la confiance et l’amour»
Il [=le confesseur de Thérèse lors d'une retraite] me lança à pleine voiles sur les flots de la confiance et de l'amour qui m'attiraient si fort mais sur lesquels je n'osais avancer… il me dit que mes fautes ne faisaient pas de peine au Bon Dieu, que <em>tenant sa place</em>, il me disait <em>de sa part</em> qu'Il était très content de moi...
Oh ! que je fus heureuse en écoutant ces <em>consolantes</em> [les italiques sont miennes] paroles !… Jamais je n'avais entendu dire que les fautes pouvaient <em>ne pas faire de peine au bon Dieu</em>, cette assurance me combla de joie, elle me fit supporter patiemment l'exil de la vie…
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