Bonjour AVV-VVK,
1. A la notion de contre-Eglise, je préfère et propose la notion de néo-catholicisme, qui fait écho en direction de la notion de néo-protestantisme, ce qui me donne l'occasion de préciser qu'une inspiration originelle, avant tout philosophique (Kant, Hegel) mais aussi théologique (Schleiermacher) est à peu près commune à une assez grande partie de ce qu'a été le néo-protestantisme, au XIX° siècle, et à ce qu'a été le néo-catholicisme, à partir de la moitié du XX° siècle.
2. En effet, si l'on raisonne en termes de fondements de certaines tendances, il est certain
- que l'adogmatisme et l'anti-thomisme néo-catholiques contemporains, qui ont été tout à fait compatibles avec une inspiration kantienne,
- que l'herméneutisme néo-catholique contemporain, qui a été tout à fait compatible avec une inspiration schleiermachienne,
- que l'historicisme néo-catholique contemporain, qui a été tout à fait compatible avec une inspiration hégélienne,
- que deux autres facteurs de crise : la réduction de facto de l'eudémonisme chrétien à un courant moins résistant que suiviste, face à l'immanentisme, et la réduction de facto de l'oecuménisme catholique à un unanimisme,
ont été à l'origine de la pré-configuration des esprits qui, au sein de la théologie catholique européenne occidentale, a précédé et préparé le Concile Vatican II, dans les années 1950.
3. J'aborde à présent ce que vous évoquez vous-même dans votre message : j'ai la conviction que la prise d'appui de bien des clercs (néo)catholiques contemporains européens sur un "corpus" leur permettant de dire ce qu'ils disent, mais aussi de taire ce qu'ils taisent, est de moins en moins une prise d'appui prioritaire sur le Concile Vatican II et sur ses documents au sens strict du terme.
4. En tout cas, le moins que l'on puisse dire est que les textes de bien des théologiens et des évêques (néo)catholiques européens occidentaux d'aujourd'hui ne sont pas saturés par de nombreuses références explicites et spécifiques au Concile Vatican II et à l'un ou l'autre de ses documents.
5. Je ne serais pas surpris que les mêmes clercs (néo)catholiques aient d'ici peu, encore moins que depuis le début de cette décennie, le désir et le souci de "voir, juger, agir", en prenant en compte le Concile et en tenant compte de ses documents : chacun peut comprendre ou constater que les documents suivants : DH, NA, GS, UR, sont aujourd'hui considérés comme n'allant pas ou n'étant pas allés assez loin, et que les autres documents du Concile continuent à donner lieu à une sous-utilisation et à une sous-valorisation aussi disproportionnées qu'hétérodoxes, pour ainsi dire.
6. Mais alors, si ce n'est pas, ou plus, le Concile Vatican II, stricto sensu, ni le Magistère pontifical post-conciliaire des années 1960 aux années 2000, quelle est donc la source d'inspiration fondamentale caractéristique du positionnement de bien des clercs (néo)catholiques contemporains, notamment "sur le sacerdoce, la liturgie, la morale, la discipline, le magistère", pour reprendre votre liste ?
7. Je me trompe peut-être, mais enfin il me semble vraiment que nous sommes aujourd'hui en présence de clercs qui, pour bon nombre d'entre eux, sont bien sûr chronologiquement post-conciliaires, mais sont aussi philosophiquement, théologiquement et axiologiquement post-modernes, c'est-à-dire post-modernes dans leur conception des dogmes, du Magistère, de la liturgie, des sacrements, de la vie morale, de la vie sociale, des valeurs et dans leur relation aux dogmes, au Magistère, à la liturgie, aux sacrements, à la vie morale, à la vie sociale, aux valeurs.
8. Ce qui est typiquement "catholique post-moderne", c'est le changement de statut de l'Eglise catholique, dans l'ordre du croire en Dieu et dans celui de l'agir en ce monde : il crève littéralement les yeux que bien des clercs (néo)catholiques contemporains
- ne veulent plus que l'Eglise catholique soit Mater et Magistra, en mesure de rappeler ce qui est bon et vrai mais aussi ce qui est faux et mauvais, en matière religieuse et en matière morale (sauf en morale sociale...),
- veulent que l'Eglise catholique soit Soror et Ancilla, en mesure de prescrire une éthique liquide, ad intra et ad extra, et de proscrire toute morale un tant soit peu rigide ou solide.
9. Il me semble vraiment que le premier Pape qui a joué à ce jeu-là, c'est-à-dire au jeu de la conciliation entre la mentalité catholique et la mentalité postmoderne, pour ainsi dire, a été le Pape Jean-Paul II, non dans le domaine du Magistère et de la pastorale en matière morale ou en matière sociale, mais dans le domaine du dialogue interconfessionnel, et plus encore dans celui du dialogue interreligieux.
10. Et il me semble aussi que les prêtres et les fidèles catholiques n'ont pas fini de subir les conséquences du fait que bien des docteurs et des pasteurs (néo)catholiques se sont aujourd'hui ralliés à ce (néo)catholicisme post-moderne, dans le cadre duquel rien n'est totalement illégitime, ou tout est au moins partiellement légitime, dans l'ordre de la foi ou dans celui des moeurs, sauf, bien sûr, le positionnement catholique conservateur ou traditionnel, en tant que positionnement se voulant bien mieux et bien plus que l'expression d'une sensibilité liturgique et pastorale particulière.
Ce qui précède est en tout cas ce que je crois sur cette question.
Je vous remercie pour votre compréhension, et vous souhaite un bon après-midi.
Scrutator.