(épisode précédent)


_ Allô ?

_ Hmmmm ?

_ Je vous réveille, Wargrave ?

_ Il est vingt-deux heures trente, Maître...

_ Vous ne deviez pas me rappeler, Lawrence ?

_ Je ne crois pas, non. Vous m’aviez parlé d’un point que nous ferions demain, enfin aujourd’hui, sans me préciser si ce serait à votre initiative ou à la mienne. J’ai opté pour la version confortable, vous laissant la liberté de choisir.

_ Je comprends, cher ami. Alors, qu’en avez-vous pensé ?

_ De quoi, Maître ? De ces courriels stupides ?

_ Précisément, Lawrence, oui, de ces menaces.Pensez-vous qu’il faille les prendre au sérieux ?

_ De vous à moi ?

_ Oui, de vous à moi.

Je savais mon Maître rompu à ce type d’exercice. En presque dix-sept ans, il en avait croisé des énergumènes. Il en avait lu des e-mails aussi drôlatiques que menaçants. Et je ne comprenais pourquoi il accordait autant d’importance à ces deux-là, qui étaient parfaitement ridicules voire grotesques.

_ Tout ceci me semble insignifiant, Maître. Sans intérêt aucun, vraiment.


_ Vous avez étudié les en-têtes des courriels ?

_ Oui, comme vous m’y aviez invité par SMS (oui, parce qu’il faut que je vous précise que mon Maître m’adresse aussi des sms que je ne vous retranscris pas...). Mon avis est formel, les deux courriels émanent de la même personne.

_ Vous voulez dire que...

_ Oui, oui, vous m’avez parfaitement compris, celui qui se prétend à la tête d’une grande armée a bien procédé à une double inscription sur votre forum à quelques temps d’intervalle.

_ Vous êtes sûr ?

_ Sûr, on ne peut jamais l’être, Maître. Mais les adresses I.P. correspondent. Et puis la police de caractères aussi, pas si courante que cela. On se croirait presque, si vous me le permettez, sur la newsletter de La Porte Latine.

_ Pff, Wargrave, vous me décevez...

_ Meuh, je plaisante, Maître. C’était juste pour vous décontracter. Non, non, rien à voir avec la Porte Latine. Même si, entre nous soit dit, je me demande pourquoi on ne trouve pas le dernier communiqué de l’abbé Bouch...

_ Ce n’est pas le sujet, Wargrave. Vous me refaites le coup de Macron. Je croyais avoir été clair. Votre mission, c’est la technique, pas la réflexion. Alors, on fait quoi ?

_ C’est à vous de me dire, Maître...

_ Mais enfin, Lawrence ? Vous les avez lus ces courriels, oui ou non ?

Il me fallait alors mentir, à mon grand dam. Mais je n’avais pas eu l’envie ni le courage de lire cette prose dégoulinante, m’en tenant aux seules données techniques. Les lire ne m’aurait rien apporté de toute façon. J’en connaissais le contenu avant même de les ouvrir. C’est alors que je me suis ravisé, avouant ma faute. Après tout, l’ombre de Victor planait encore.

_ Pour tout vous avouer, non.

_ Pardon ?

_ Je n’en ai pas pris connaissance, Maître, pardonnez-moi.

_ Soit, Wargrave. Alors je veux vous entendre me les lire à haute voix.

_ Là, maintenaaaaaant ?, osai-je alors.

_ Oui. Maintenant. Ou alors je rappelle Vic...

_ C’est d’accord Maître.

_ Je vous écoute...

_ « A la lecture de vos forums, nous voyons toujours deux énergumènes, le Cardinal Bk et Sa Béatitude Candidus 1er, venir jeter le trouble dans les discussions avec leurs petits mignons. »

Je ne pus empêcher un petit raclement de gorge, que mon interlocuteur feignit de ne pas remarquer. Il interrompit quand même mon silence, qui se fit pesant.

_ Wargrave, vous êtes toujours là ?

_ « Ces deux excités n’ont rien à envier aux prédateurs qui sévissent sur Internet. » Vous pensez qu’il parle de qui, Maître ?

_ Je ne sais pas. Continuez, Lawrence.

_ "Nous avons analysé leurs méthodes totalitaires. On peut dire que ces deux débiles ne sont pas très inventifs et pas très intelligents. » Maître, je me demande : pourquoi emploie-t-il ce nous ? Vous le pensez schizophrène ?

N’obtenant pas de réponse, je poursuivis.

_ "Si vous ne les suspendez pas très vite, vous ne resterez pas longtemps leur(s) larbin(s) à obéir à leurs ordres en vous tenant les côtes à rire de vos jouets derrière votre ordinateur. Rira bien qui rira le dernier .... « 

_ huhu

_ Pardon, Maître ?

_ L’avoir lu m’avait fait rire, mais vous entendre lire sa prose, c’est... comment dire... ?... c’est vraiment drôle, oui. Oh ! Il faut que je vous laisse, j’en ai un autre sur le feu, là. Je vous en parlerai. Nous évoquerons demain le second courriel. Bonne nuit, <i>Wargrave</i>. Pardonnez-moi.

Tel était mon Maître. Impatient. Terriblement impatient. En raccrochant, je n’étais sûr que d’une chose. Je n’en saurai guère plus demain qu’aujourd’hui.

Mieux vaut en rire qu’en pleurer de Lawrence Wargrave. Chapitre 2

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