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Le vote pour les nuls (2) : retour sur une stratégie désastreuse !
par baudelairec2000 2017-04-25 23:12:56
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Retour en arrière : je décidais de réagir à un « article » de M. Daoudal sur son blog, article dans lequel il nous fait informait de sa décision de voter pour F. Fillon au premier tour. Why not ? Sauf que les raisons invoquées étaient tout de même un peu minces.

Ma réaction portait sur deux points :

1/ sur la question du vote utile, car il s’agissait, avant tout, de cela dans les propos du sage de la Bretagne. Fillon, affirme M. Daoudal, a plus de chance de l’emporter au second tour face à Macron ou Mélenchon que Marine le Pen. Et il est vrai que la défaite est en effet depuis un certain temps dans la tête de beaucoup. Certains, une fois encore, faisaient vibrer la corde sensible de la survie des écoles libres. L’élection de Macron pourrait comporter des menaces pour leur existence. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres entendus ces derniers jours. La conclusion était simple à tirer : par réalisme, serait-on tenté de dire, il faut voter Fillon.

L’un de mes contradicteurs, Justin Petipeu, revient, dès samedi, sur sa décision de voter Fillon au premier tour. Je n’ose imaginer la tête des partisans du vote utile, du moindre mal et autres fariboles, quand ils ont pris connaissance des premiers résultats dimanche soir : Fillon, le rempart contre Macron, voire contre Mélenchon, avait fait illusion, à leurs yeux seuls évidemment, le temps d’une campagne. M. Daoudal, après la terrible déconvenue de Fillon, celui qui devait triompher de Macron au second tour - le seul capable de le faire -, nous apprenait la mort dans l’âme :
« Il reste donc maintenant à voter pour Marine Le Pen afin de limiter autant que faire se peut le triomphe du néant. »

Histoire de confirmer une fois de plus ce qu’on nous serine à chaque élection présidentielle : qu’il faut voter utile, se prononcer prudemment et courageusement en faveur du moindre mal. Là où la prudence politique réclamerait plutôt des convictions et un minimum de testostérone, pour rester correct. Il aurait été tout de même plus simple de voter Marine dès le premier tour. Tous ces détours et méandres pour arriver là où on ne voulait pas aller. Vous ne vouliez pas aller à Marine, c’est elle qui vient à vous. Vous vouliez éviter Macron en propulsant Fillon vers le second tour, c’est Fillon qui appelle dès le soir du premier tour à voter Macron. Si cela ne s’appelle pas être cocufié dès le soir même des noces – je le sais, il s’agissait d’un mariage de raison - je veux bien qu’on m’explique.


2/ Deuxième point de mon intervention : la question du vote et du suffrage universel, autrement dit je n’hésitais pas à remettre en cause la légitimité du suffrage universel, voulu par le système établi.

Les réponses à mon post ont été, je suis désolé de le dire – c’est le prof qui réagit – affligeantes, consternantes. La plupart - pas tous : bravo à Diafoirus ou bien encore à Ritter - me contredisent en se contentant de 2, 3 lignes ; c’est bien peu. C’est ce qu’on appelle débattre à une époque où l’on parviendra difficilement à construire une phrase composée au minimum d’une principale et d’une subordonnée. Ne vous étonnez pas si, après ce piteux plaidoyer en faveur du vote utile (c’est bien peu pour défendre vos valeurs), ceux dont vous craigniez la victoire paradent… Vous avez rendu les armes avant de combattre. Leur victoire était annoncée.

J’espère qu’on voudra bien me pardonner cette nouvelle attaque en règle contre le conformisme du milieu qui n’a que trop tendance à répéter, à chaque scrutin important, les mêmes mots d’ordre : Freud appelait ce processus la « compulsion de répétition », processus ambivalent, à la fois engendrant du plaisir, parce que nous donnant l’illusion de progresser, et nous ramenant pourtant sans cesse vers nos origines, la vie minérale ; une sorte donc de régression cachée, une course vers la mort qui se dissimulerait derrière un développement apparent de la vie. Nous tenons là les fondements de l’Eros et du Thanatos, principes fondamentaux du freudisme. Ce n’est pas autre chose que du masochisme. Dans le cas qui nous occupe les masochistes ne savent pas qu’ils le sont ; ils ignorent qu’ils souffrent d’un mal, lié certainement à la mélancolie du contre-révolutionnaire et qui les pousse à répéter inlassablement les mêmes actes, fussent-ils destructeurs pour eux-mêmes et pour les leurs et leur milieu, et à éprouver paradoxalement une certaine satisfaction.

C’est que le contre-révolutionnaire ou le réactionnaire, en digne fils des romantiques, ces victimes du « mal du siècle », est incapable de se comporter de manière positive : il est victime du monde, de l’époque dans laquelle il est né, un monde qui n’est pas fait pour lui. L’Héroïsme, il en est incapable. La preuve : depuis la Révolution française jusqu’à mai 68, en passant par l’affaire Dreyfus, les années sombres de 39-45 et la décolonisation, son expérience c’est celle des vaincus. Son seul héroïsme a été de prendre des risques et de se faire casser « la gueule » pour défendre des gens et un système dont la cause était indéfendable. Les guerres de décolonisation en sont une excellente illustration. Nos « nationalistes » sont les grands vaincus des deux derniers siècles. Les défaites constituent leur horizon ; il les racontent et ils les revivent en soutenant qu’ils auraient dû gagner ces combats. La victoire par procuration. La génération des causes perdues et des héros méconnus. Et je crains que les revanches qu’ils cherchent à prendre sur le terrain électoral ne se présentent pas sous un meilleur jour.



A/ Les résignés

A quoi on reconnaît les victimes du système ? A leurs tête de résignés.

J’ai pu en effet dégager un premier type de réaction, tout à fait dans la lignée de M. Daoudal : celui du parti de la résignation et de la défaite. Je ne sais pas comment le dire, mais j’ai comme l’impression désagréable que les arguments avancés par Daoudal, un proche de Jean-Marie le Pen, son compatriote, manquaient de sincérité. Le premier nommé ne chercherait-il pas à faire payer à Marine le Pen l’éviction de son père du FN ? Une tactique qui s’expliquerait par la rancœur ? Que le FN ait, depuis l’arrivée aux affaires de Marine, évolué dans un sens plus que contestable, je ne me risquerai pas à nier l’évidence de ce fait. Peut-être certains regrettent-ils les références à La deuxième guerre mondiale, à Vichy ou à Pétain, dont usait et abusait JMLP. Moi pas…

Ce qui me navre surtout dans la plupart des réactions c’est la simplicité du propos : un propos de comptoir à chaud, juste après une énième publication de sondage qui donnait Marine le Pen qualifiée pour le second tour, mais battue à l’issue de celui-ci, dans tous les cas de figure. Allez savoir pourquoi on fait ici confiance aux sondages ? L’intox fonctionne bien. D’où la réaction du vote utile : face à Macron, face à Mélenchon, seul Fillon - dans l’esprit d’un catho tradi et « nationaliste » – pourrait sortir vainqueur. Ce que les mêmes sondages démentaient. Allez comprendre…

C’est que, voyez-vous, avec Fillon, la mort serait plus longue à venir, ‘on pourrait ralentir la machine qui nous tue’ ; Fillon filait vers la catastrophe mais en retardant la machine qui nous y conduit ; il freinait en quelque sorte des deux pieds. Que l’on meure dans les cinq ans à venir, que l’issue fatale se produise dans un délai plus court, peut-on me dire où est la différence ? Je vais vous dire une chose : depuis que je suis la politique dans ce pays (printemps 1974 : élection de Giscard), on nous refait toujours le coup de vote utile, avec le même argument, celui du moindre mal. Pour ne pas avoir Mitterrand, votons Giscard ; celui-ci a eu comme ministre de la Santé une certaine madame Veil. Résultat : nous avons eu droit à l’IVG. Giscard, tout comme Chirac en 1997, Sarko en 2007 ont préparé la place aux socialistes : rappelons que, sous le ministère Jospin (1997-2002), nous avons eu droit au PACS et aux 35 h. Sous Hollande, encore président pour quelques jours, nous avons pu célébrer dans la même ardeur le Mariage pour tous… La déferlante migratoire s’est accélérée.

Et dire qu’on invoque encore pour cette élection une différence entre la droite et la gauche, comme si la gauche, se résumant à une bande de crypto-communistes et de libertaires, agissait comme un repoussoir pour mieux précipiter les électeurs de sensibilité catholique et nationale vers ce qu’on appelle la droite. Car cette droite, même si on s’en défie, parce que trop molle, le jour fatal, celui d’une élection, on finit bien par s’y rallier. Un vote de raison, un vote utile.

A-t-on réfléchi sur la différence entre la droite et la gauche ? Jusqu’aux années Mitterrand, la « droite » se caractérisait, semble-t-il, par son réalisme, sa pondération, son sens de la gestion avec une bonne dose de libéralisme ; libéralisme économique certes, mais libéralisme qui, sur le plan moral, flirtait avec le libertinage. Rappelons la loi Neuwirth (19 décembre 1967) sur la pilule, la loi Veil, la première grande mesure du septennat de Giscard. Un homme politique de « droite » pouvait déjà aisément être confondu avec un homme de « gauche » ; d’ailleurs ne les retrouve-t-on pas ces politiciens, quelle que soit leur étiquette, dans les mêmes loges, temples où se préparent les grandes décisions de demain ? La Grande Loge de France n’est pas moins dangereuse que le Grand Orient. Les Dîners du Siècle rassemblent tout ce que notre pays compte de gens influents pour faire apparaître clairement la collusion entre les puissances de l’argent d’une part et les médias et les politiques d’autre part. Avec Mitterrand la frontière entre droite et gauche finit par s’estomper : Fabius, Rocard donnent dans le réalisme économique, ils adoptent une démarche libérale. Fini le rêve qu’on nous vantait encore ce soir du 10 mai 1981, place de la Bastille, finis les lendemains qui chantent ; exit Mauroy et ses quatre ministres communistes, place à la gestion libérale. Depuis la frontière entre « droite « et « gauche » n’est pas plus épaisse qu’un papier à cigarette. Et le cas Macron en est la meilleure illustration : les deux blocs, en apparence antagonistes, éclatent. A la faveur de cette élection, on assiste à des mouvements venus de « droite » et de « gauche » en direction d’un Macron centriste ; recomposition de la vie politique française ? L’avenir nous le dira, mais une chose est sûre, la posture qu’on prête à la « droite » volait en éclats, grâce à Juppé, NKM ou bien encore Baroin. Fillon, ce dimanche soir, nous a complétement rassurés sur sa détermination d’homme de « droite » ! Wauquier et Sens Commun, ne sont pas moins inquiétants dans leur prise de position respective : «Faire barrage contre Marine Le Pen, déclare le premier. Et d’ajouter : "C'est suicidaire de se rallier à Macron et ensuite, aux législatives, d'appeler à se battre contre lui".
« Comment, se désespèrent les responsables de Sens Commun, choisir entre le chaos porté par Marine Le Pen et le pourrissement politique d’Emmanuel Macron ? (…) Nous laisserons à chacun sa liberté de conscience. Nous ne voulons pas embrigader, c’est dans notre ADN à Sens commun. (…) Les deux options qui sont devant nous m’apparaissent délétères. D’un côté le régime étatiste de Marine Le Pen, de l’autre la déconstruction irréaliste d‘Emmanuel Macron. »

A défendre ainsi Marine le Pen contre les frileux de droite, vous allez peut-être croire que je suis devenu partisan du système. Pas du tout : j’entends dénoncer chez les tenants du vote un choix constant qui se révèle, sur la longueur - parce qu’il n’a cessé d’être répété - suicidaire, irresponsable et absurde.

Pourtant, la plupart des intervenants dans ce post nous faisaient part de leur intention, dimanche, de voter la mort dans l’âme pour celui qui, dans une sorte d’inconscient catho-réactionnaire aurait été le moins mauvais mais qui aurait bien fini un jour par les conduire dans le mur. Quel optimisme ! C’est donc cela votre vision de la politique ? « Eliminer les candidats, ne plus pouvoir les choisir », « parce qu’on n’a plus d’autre choix », c’est ce qu’affirmait l’un de mes contradicteurs. Vous êtes en réalité prisonniers du système, un système qui vous impose les règles d’un jeu auquel vous vous croyez contraints de participer. Un combat auquel on vous permet tout juste de prendre part, par un repli derrière les lignes, alors que la défaite est annoncée, et alors que le combat n’a pas encore été engagé. C’est ce qu’on appelle de la fine stratégie… Aussi donnez-vous l’image lamentable de joueurs, de petits joueurs qui, sentant la fin de la partie qui sonnera leur défaite, s’empressent par de petits calculs mesquins de la retarder ou font mine de croire qu’ils pourront inverser le cours du jeu. Vous pensez sérieusement que vous allez avec quelques dizaines milliers de voix influer sur le scrutin ? Il ne tient qu’à vous de ne pas vous engager dans un jeu où vous finirez immanquablement dupés, pour ne pas dire cocus…


Politique sans envergure, tactique politicienne, absence de conviction, un choix par défaut, telles sont les caractéristiques de ces citoyens plus éclairés que les autres et qui tentent de ralentir un véhicule qu’ils ne peuvent pas contrôler, mais un véhicule qu’ils contribuent à ravitailler en carburant et dans lequel, c’est ça le plus fou, ils ont librement pris place. Le système les broie et ils fournissent des armes à leurs bourreaux…



B/ Les petits joueurs

En voilà assez pour le parti des résignés, intéressons-nous à présent au parti des petits joueurs, celui qui limite son programme aux PNN (points non négociables), un programme cher à Cyril Brun qui écrit sur infocatho :

« Depuis des années les choix électoraux qui se présentent aux catholiques relèvent davantage du mieux possible que de l’adhésion franche et massive. Exceptés quelques partis ou candidats marginaux, le plus souvent, il faut se perdre dans un labyrinthe parfois savamment conçu pour nous conduire en eaux de plus en plus troubles.
Le chevalier blanc n’existe pas sur notre échiquier de présidentiables. Nous pouvons donc être dans l’objection de conscience et refuser de voter, nous pouvons aussi être dans le moindre mal ou le mieux possible. Une nuance de taille plus qu’il n’y parait. Le moindre mal vise à limiter la casse, là où le mieux possible envisage le choix comme une étape en vue du Bien à atteindre. »

M. Brun a peut-être raison : la solution du « meilleur possible » qu’il défend est nettement préférable à la stratégie du « moindre mal » étudiée précédemment, car celle- ci ne repose sur aucune conviction ou adhésion et ne constitue même pas l’ébauche d’un commencement de programme. Je laisse à nouveau la parole à M. Brun, le messager de ces fameux PNN :

« La formulation des principes non-négociables était en fait déjà présente dans la Note doctrinale sur certaines questions regardant l’engagement des catholiques dans la vie politique, que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (présidée alors par le Cardinal Joseph Ratzinger) a publiée le 24 novembre 2002 dans le but de rappeler et de préciser certains points de la doctrine sociale de l’Eglise pour ceux qui oeuvrent et vivent dans les sociétés démocratiques.

En particulier, le document fait la distinction entre les décisions politiques contingentes dans lesquelles sont souvent « moralement possibles des stratégies différentes pour réaliser ou garantir en substance une même valeur de fond » (n° 3) et « les principes moraux qui n’admettent aucune dérogation, exception ou compromis » ( n° 4), où « alors, l’engagement des catholiques devient plus évident et chargé de la responsabilité ».

La note parle dans ce cas d’ « exigences éthiques fondamentales inaliénables », devant lesquelles « les chrétiens doivent en effet savoir qu’est en jeu l’essence de l’ordre moral, qui concerne le bien intégral de la personne. Tel est le cas des lois civiles en matière d’avortement et d’euthanasie (à ne pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique qui, même du point de vue moral, est légitime), qui doivent protéger le droit primordial à la vie, depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. De la même manière, il faut rappeler le devoir de respecter et de protéger les droits de l’embryon humain. De même, il faut préserver la protection et la promotion de la famille, fondée sur le mariage monogame entre personnes de sexe différent, et protégée dans son unité et sa stabilité, face aux lois modernes sur le divorce : aucune autre forme de vie commune ne peut en aucune manière lui être juridiquement assimilable, ni ne peut recevoir, en tant que telle, une reconnaissance légale. De même, la garantie de liberté d’éducation des enfants est un droit inaliénable des parents, reconnu entre autre par les Déclarations internationales des droits humains » (n° 4).

Fin de citation



Ce socle est certes fort intéressant, mais il n’en demeure pas moins insuffisant, car il s’agit d’un programme minimum qui se cantonne, inconvénient de l’exercice, aux questions qui concernent la famille et aux problèmes bioéthiques. Pourquoi se limiter à ces principes et faire ainsi l’impasse sur des domaines tout aussi importants ? On notera que les principes sur lesquels insiste la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sont des principes moraux présentés comme non négociables, qui se trouveraient comme inclus dans un ensemble de vérités infaillibles, infaillibilité à laquelle échapperaient l’économie, des pans entiers de la vie en société et le domaine politique proprement dit. L’Eglise dans son Magistère aurait-elle renoncé à se prononcer sur les questions économiques ou les problèmes d’organisation de la société, comme elle l’avait fait pendant des décennies à travers son enseignement économique et social ? Je l’avoue, les réponses données étaient loin de me satisfaire, mais, au moins, les questions étaient posées.

Evidemment ce n’est pas à l’Eglise de se substituer aux penseurs politiques pour dire quel est le meilleur régime politique, la réflexion politique classique opérant une distinction entre les bons et les mauvais régimes et justifiant cette distinction par la finalité poursuivie par chacun de ces régimes. Elle devait au moins prendre en compte cette réflexion, car d’un type de gouvernement donné, scandaient les philosophes grecs, dépend l’agir des citoyens. L’inverse se vérifie également : on peut affirmer que les peuples ont les chefs qu’ils méritent. On a en effet oublié ce que ne cessaient de répéter les clercs aux rois du haut Moyen Age, ainsi Jonas d’Orléans et ses collègues réunis en concile à la fin du printemps 829 à la demande de l’empereur Louis le Pieux (chap. 3 du De institutione regia, texte latin –français dans Le Métier de roi aux Sources chrétiennes, Le Cerf):

« « Quand les rois sont bons, c’est un don de Dieu, mais quand ils sont mauvais, c’est la faute du peuple (reges, quando boni sunt, muneris esse Dei ; quando vero mali, sceleris esse populi). La vie des dirigeants dépend du mérite des peuples, témoin Job (34, 30): ‘Il fait régner l’hypocrite à cause des péchés du peuple.’ Car, quand Dieu est en colère, les peuples reçoivent un chef à la mesure de leur péché. Il arrive même que les rois soient transformés de par la malignité du peuple (pro malitia plebis) ; et ceux qui, auparavant, semblaient bons deviennent injustes dès lors qu’ils sont à la tête du royaume. »


Détour par Léon XIII : la stratégie du Ralliement ou le prototype de la politique du moindre mal


Morale et politique sont donc liées. Or, depuis Léon XIII, dans les encycliques sur le pouvoir, l’Eglise admet, sans faire de distinction précise, la légitimité d’un régime comme la démocratie, considérée pourtant pendant longtemps comme un régime injuste. Pour être précis, la démocratie est un mot que Léon XIII prend la précaution de ne pas employer, car il a bien mauvaise réputation. La preuve dans l’encyclique « Au milieu de sollicitudes », document adressé aux catholiques français et qui préconise le ralliement à la République :

« Divers gouvernements politiques se sont succédé en France dans le cours de ce siècle, et chacun avec sa forme distinctive : empires, monarchies, républiques. En se renfermant dans les abstractions, on arriverait à définir quelle est la meilleure de ces formes, considérées en elles-mêmes; on peut affirmer également en toute vérité que chacune d'elles est bonne, pourvu qu'elle sache marcher droit à sa fin, c'est-à-dire le bien commun, pour lequel l'autorité sociale est constituée; il convient d'ajouter finalement, qu'à un point de vue relatif, telle ou telle forme de gouvernement peut être préférable, comme s'adaptant mieux au caractère et aux moeurs de telle ou telle nation. Dans cet ordre d'idées spéculatif, les catholiques, comme tout citoyen, ont pleine liberté de préférer une forme de gouvernement à un autre, précisément en vertu de ce qu'aucune de ces formes sociales ne s'oppose, par elle-même, aux données de la saine raison, ni aux maximes de la doctrine chrétienne. Et c'en est assez pour justifier pleinement la sagesse de l'Eglise alors que, dans ses relations avec les pouvoirs politiques, elle fait abstraction des formes qui les différencient, pour traiter avec eux les grands intérêts religieux des peuples, sachant qu'elle a le devoir d'en prendre la tutelle, au-dessus de tout autre intérêt. Nos précédentes Encycliques ont exposé déjà ces principes; il était toutefois nécessaire de les rappeler, pour le développement du sujet qui nous occupe aujourd'hui (p. 116). »

La typologie classique distinguait 6 formes de gouvernement, trois justes et trois injustes : royauté, aristocratie, politeia ou politia (gouvernement du peuple, de l’ensemble des citoyens) d’une part, tyrannie, oligarchie et démocratie ( ce dernier étant le gouvernement de la populace) ; Léon XIII distingue trois formes de gouvernement pour la France en substituant de nouveaux critères aux anciens pour établir une « typologie » assez peu rigoureuse d’un point de vue historique. Il se garde bien de les qualifier. La suite du document nous montre d’ailleurs qu’il manipule à sa guise l’histoire de notre pays pour imposer l’obéissance des fidèles à ses directives géniales et qu’il sait leur imposer le silence pour qu’ils reconnaissent la République comme un régime juste, puisqu’elle est le régime de fait. Autre manipulation pour faire passer la pilule du ralliement : la distinction étrange entre le pouvoir et la législation.

« Mais une difficulté se présente: ‘Cette république, fait-on remarquer, est animée de sentiments si antichrétiens que les hommes honnêtes, et beaucoup plus les catholiques, ne pourraient consciencieusement l'accepter.’ Voilà surtout ce qui a donné naissance aux dissentiments et les a aggravés.

On eut évité ces regrettables divergences, si l'on avait su tenir soigneusement compte de la distinction considérable qu'il y a entre Pouvoirs constitués et Législation. La législation diffère à tel point des pouvoirs politiques et de leur forme, que, sous le régime dont la forme est la plus excellente, la législation peut être détestable ; tandis qu'à l'opposé, sous le régime dont la forme est la plus imparfaite, peut se rencontrer une excellente législation. Prouver, l'histoire à la main, cette vérité, serait chose facile ; mais à quoi bon ? Tous en sont convaincus. Et qui mieux que l'Eglise est en mesure de le savoir, elle qui s'est efforcée d'entretenir des rapports habituels avec tous les régimes politiques? Certes, plus que toute autre, puissance, elle saurait dire ce que lui ont souvent apporté de consolations ou de douleurs les lois des divers gouvernements qui ont successivement régi les peuples, de l'Empire romain jusqu'à nous.
Si la distinction, tout à l'heure établie, a son importance majeure, elle a aussi sa raison manifeste; la législation est l'oeuvre des hommes investis du pouvoir et qui, de fait, gouvernent la nation. D'où il résulte qu'en pratique la qualité des lois dépend plus de la qualité de ces hommes que de la forme du pouvoir. Ces lois seront donc bonnes ou mauvaises, selon que les législateurs auront l'esprit imbu de bons ou de mauvais principes et se laisseront diriger, ou par la prudence politique, ou par la passion. »

Ces lignes ne peuvent que susciter de l’incompréhension chez l’historien et le juriste surpris de ce qu’on opère une dissociation entre le pouvoir et la législation, de ce qu’on refuse au pouvoir exécutif le pouvoir de légiférer. Jamais, on n’était allé aussi loin dans la séparation de l’exécutif et du législatif. Il faut donc considérer à part le régime et la législation. Et Léon XIII a sur cette question une certitude qui s’apparente à un certain toupet ; n’aurait-il jamais lu les Proverbes :
« Per me reges regnant, et conditores legum justa decernunt (Prov. 8, 15)
(Par moi les rois règnent et les législateurs prononcent de justes décrets) ?

Méconnaîtrait-il à ce point saint Augustin qui recommande aux hommes d’obéir aux lois justes des princes quand ceux-ci les ont sanctionnées ? Car légiférer est bien une prérogative du prince et les rois sont au service du Roi des rois quand ils légifèrent en faveur du Christ ( Augustin, Lettre à Boniface) :

« Que les rois de la terre servent le Christ, en légiférant même pour le Christ. Comment donc les rois servent-ils Dieu avec crainte, sinon qu’ils doivent avec une religieuse sévérité empêcher et punir ce qui se fait contre les commandements de Dieu? En effet, chacun sert à sa manière, celui-ci comme homme, celui-là comme roi. Comme homme, on le sert en vivant fidèlement, mais comme roi, on le sert en sanctionnant avec la force qui convient les lois qui prescrivent ce qui est juste et interdisent ce qui est contraire. Ezéchias le servit ainsi, lui qui détruisit les bois sacrés, les temples des idoles et les hauts lieux qui furent élevés contre les préceptes divins. C’est ainsi que Josias fit de même. De même le servit le roi de Ninive en forçant toute une ville à apaiser la colère de Dieu. Il en fut de même pour Darius qui donna à Daniel le pouvoir de briser l’idole et jeta aux lions ses ennemis. Nabuchodonosor le servit ainsi en interdisant, par une loi terrible, à tous ceux qui étaient établis dans son royaume de blasphémer Dieu. Voilà pourquoi les rois servent Dieu, en qualité de rois, quand ils font pour le servir les choses que seuls peuvent faire les rois. »

A leur tour, les spécialistes s’inscrivent en faux contre cette prétention. Contentons-nous de citer quelques historiens et spécialistes.

« Le pouvoir législatif est le couronnement même de l’Etat » Gérard Giordanengo dans « Le pouvoir législatif du roi de France (Xe-XIIIe s.) : travaux récents et hypothèses de recherche », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 147, 1989, p. 283-310.

Cf. Georges Burdeau, Traité de science politique, t. II, L’Etat, Paris, 1979, p. 220 :

« C’est dans l’organisation du pouvoir législatif que l’Etat trouve son achèvement. »

« Toute définition de l’Etat en droit moderne conduit inévitablement à faire de la loi une de ses composantes parmi tant d’autres. L’Etat ne peut que revendiquer l’usage exclusif du pouvoir normatif parce qu’il y voit le moyen de créer un ordre juridique unitaire propre à fonder sa puissance et à favoriser le contrôle qu’il entend imposer aux territoires et aux hommes. Ainsi défini, le pouvoir normatif ne peut que faire partie intégrante des éléments constitutifs de l’Etat. »

"La perception du pouvoir politique, incarné à l’origine par le prince qui a pu être qualifié de « lex animata », puis par l’Etat moderne, est conditionnée par la référence à la loi comme valeur suprême de légitimation."

Ajoutez à cela des perspectives nouvelles sur le droit et la liberté, des apports étrangers à la doctrine classique et venus notamment de Taparelli, la naissance d’une réflexion sur la dignité de la personne humaine. Il ne faut donc pas s’étonner de voir l’Eglise adopter à son tour un point de vue critique sur l’Etat, un discrédit porté sur la sphère politique coupable a priori de contraindre, pour ne pas dire contrarier, les personnes. Le procès de l’Etat et de la politique pourrait bien être la conséquence de l’importance qu’elle accorde aux droits de la personne. Des droits qui se transforment peu à peu - influence de la philosophie moderne, de Hobbes notamment - en droits primordiaux et inaliénables. Il y aurait beaucoup à dire sur l’émergence du droit naturel et son exclusivisme dans la Doctrine sociale de l’Eglise.

Les PNN présentent donc l’inconvénient de donner une vision partielle de l’homme limité à la seule sphère individuelle et familiale ; l’Etat n’est plus envisagé comme la sphère dans laquelle doit s’épanouir l’homme, non, l’Etat doit se mettre au service de la personne. Triste renversement des fins qui ne peut laisser envisager aucun renversement positif de la situation actuelle. Ceux qui revendiquent ces PNN comme programme ne réalisent pas à quel point ils contribuent à réduire le champ du politique et à stériliser toute action politique.

ma conclusion sera courte (vous me permettrez de pouvoir bénéficier d'un repos bien mérité):

Qui sème peu, récoltera peu.



Merci à tous d'avoir bien voulu suivre les "propos" intraitables et intolérants d'un homme irréconciliable avec le système démocratique.








     

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                              Là aussi déjà répondu : désir, élan, volonté, idée... par Glycéra  (2017-04-28 14:10:28)
      Bravo, Baudelairec2000, et votons la Marine donc ! par Aétilius  (2017-04-28 09:54:16)
      [réponse] par baudelairec2000  (2017-04-28 21:59:30)
      intéressante analyse par Luc Perrin  (2017-04-29 23:21:24)
      Excellente analyse par Romanus  (2017-04-30 00:23:04)
      Mais quelle est votre solution ? par Meneau  (2017-04-30 02:34:34)
          Esquisse de réponse par Romanus  (2017-04-30 11:28:40)
              Juste une petite question par Jipé  (2017-05-01 09:27:02)
                  JLM par XA  (2017-05-01 09:35:51)
                      Ah oui, mais c'est bien sûr...! par Jipé  (2017-05-01 13:34:37)
              Questions subsidiaires par Meneau  (2017-05-01 17:20:01)
                  Réponses très partielles par Romanus  (2017-05-01 23:21:59)
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