Dans une lettre tombée entre mes mains invitant à une session de formation d’une organisation que par souci d’éviter toute polémique inutile et blessante je ne nommerai pas, on peut lire les phrases suivantes, que je ne cite que parce qu’elles me semblent symptomatiques d’un état d’esprit qui à mon sens a fait beaucoup de tort à l’Eglise et lui en fait toujours, y compris dans les milieux traditionnels qui ne sont hélas pas épargnés :

Face à ce chaos de notre société, il y a deux catégories d’hommes. Ceux qui tentent de s’accommoder de cet état de fait, de mener une petite vie assez tranquille, en évitant au maximum le combat. Et ceux qui conscients de leur vocation de chrétiens et de chefs, et prenant les armes de la prière, de la formation et de l’action, font tout ce qu’ils peuvent pour combattre cette infection qui ronge notre société. C’est bien évidemment à cette deuxième catégorie d’hommes que s’adresse [cette session de formation]. Il ne s’adresse pas aux catholiques du dimanche, installés bien confortablement dans le monde, et dont l’unique souci est de parvenir à concilier la réussite mondaine et les exigences revues à la baisse de la vie chrétienne. Il ne s’adresse pas non plus à une troisième voie intermédiaire qui n’existe pas…

Un tel texte en effet me semble caractéristique de ce que j’appellerais la pastorale du mépris. Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier qu’ici ou là il puisse se rencontrer de la tiédeur chez les « catholiques du dimanche » ; que les uns ou les autres pourraient parfois sans grand effort être plus réguliers et plus fervents. Mais c’est une chose de rappeler avec l’Apôtre que la volonté de Dieu, c’est notre sanctification, et c’en est une autre de prendre pour point de départ le mépris de toute une catégorie de chrétiens dont on ne veut même pas voir ce qu’ils accomplissent de bien et de méritoire, ce qu’ils ont de vertus et de générosité, ce qu’ils font ou souffrent patiemment, dans le silence et l’humilité, pour le Nom de Jésus. Pour ces « catholiques du dimanche », pas une parole d’encouragement, pas une parole d’exhortation à la persévérance et à la fidélité ; mais seulement des jugements et des condamnations dont la témérité n’est que trop manifeste.
Alors qu’au point de départ de tout apostolat, il devrait y avoir un mouvement d’amour, on ne trouve ici qu’une pensée de mépris. Au lieu d’apprendre à aimer, l’on ne veut apprendre qu’à brutaliser et à rejeter dédaigneusement hors de la voie du salut des catholiques pourtant parfois si admirables dans leur dévouement discret, qui souvent ne fait pas de bruit tout simplement parce que le bien n’en fait pas.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire de ce texte, sur l’héritage à mon avis vicié qu’il charrie, sur le goût déréglé du combat, sur la politisation larvée de l’apostolat, sur une conception étrangement volontariste de la vie chrétienne sous couvert d’esprit soi-disant surnaturel, et bien sûr sur l’autosatisfaction béate de militants convaincus qu’en dehors de leur groupuscule il ne se trouve pas de salut ni de sainteté. Mais comment n’être pas frappé et consterné tout d’abord par la continuation par de bons catholiques traditionalistes de cette pastorale du mépris qui si l’on en croit Jean Madiran dans L’hérésie du XXe siècle ou l’abbé Bryan Houghton dans la belle préface de son roman Le mariage de Judith n’a pas été pour rien dans les réformes lamentables qui ont fait tant de mal depuis le dernier Concile ?

Peregrinus

     

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