On peut s'interroger sur la situation actuelle qui règne sur la scène romaine, jusque dans son sommet. Si certains voient ironiquement une comédie on peut penser que c'est plutôt dramatique.
Dans un article récent Sandro Magister cite le propos de l’historien Alberto Melloni qui a liquidé la volonté manifestée par le cardinal Müller de "structurer théologiquement" le pontificat de François en disant que c’était "un élan comique de paternalisme subversif".
La nécessité d'une clarification doctrinal des certains propos du pape François est pourtant évidente. Ainsi selon Magister:
"Tout le monde a pu constater que certaines affirmations – parmi les plus connues – du pape François souffrent effectivement d’un manque de clarté.
Deux d’entre elles sont récemment revenues au centre des polémiques.
- La première est la célèbre question "Qui suis-je pour juger ?" appliquée à l'homosexuel "qui cherche le Seigneur avec bonne volonté".
François a lancé cette question lors de la conférence de presse qu’il a donnée, le 28 juillet 2013, à bord de l’avion qui le ramenait de Rio de Janeiro à Rome.
Il l’a répétée au cours de la longue interview qu’il a accordée, quelques semaines plus tard, à la revue "La Civiltà Cattolica", ajoutant que "l'ingérence spirituelle dans la vie personnelle n’est pas possible".
Sans jamais préciser en quel sens cette question se rapporte d’une part à la formule évangélique "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés" mais également, d’autre part, au pouvoir de "lier et délier" donné par Jésus à Pierre.
Il est de fait que, par son ambiguïté, cette phrase a énormément contribué au succès médiatique du pape François.
Quitte à ce que, ultérieurement, elle soit retournée contre lui, comme cela est en train de se produire ces jours-ci en raison de l’absence d’agrément, de la part du Vatican, au nouvel ambassadeur qui a été désigné par le gouvernement français pour le représenter près le Saint-Siège {...}
Mais le fait de ne pas accepter ces lettres de créance paraît en contradiction flagrante non seulement avec le "Qui suis-je pour juger ?" qui est devenu la marque de fabrique du pontificat de Jorge Mario Bergoglio, mais aussi et surtout avec la quantité sans précédents d’ecclésiastiques homosexuels qui, au cours de ces deux dernières années, ont bénéficié, au sein de la curie, de promotions à des postes de haut niveau qui donnent lieu à des contacts fréquents avec le pape.
Aucun veto n’a jamais été formulé contre les ecclésiastiques en question, y compris contre ce Mgr Battista Ricca dont le passé est constellé de scandales et qui est aujourd’hui le directeur de la Maison Sainte-Marthe et le "prélat" de l’IOR. En fait, c’est tout le contraire qui s’est produit."
- La seconde affirmation du pape François qui fait de nouveau l’objet de discussions a plus de poids que la précédente. Elle n’est pas tirée, en effet, d’une interview improvisée, mais de l’exhortation apostolique "Evangelii gaudium", le document qui constitue le programme de ce pontificat.
La voici :
"Le concile Vatican II a affirmé que les conférences épiscopales peuvent 'contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement'. Cependant ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé, parce que l’on n’a pas encore suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme porteuses d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique".
C’est dans la dernière ligne que se trouve le point critique de cette phrase.
Parce que, en effet, dire qu’une "autorité doctrinale" est reconnue aux conférences épiscopales est une affirmation qui brille par son absence de clarté.
Ce point a été confirmé lors d’une conférence qui a été prononcée par le cardinal Müller en Hongrie, à Esztergom, le 13 janvier 2015, devant des représentants des épiscopats d'Europe, et qui a ensuite été mise en ligne parmi les documents de la congrégation pour la doctrine de la foi {...}
Dans la troisième et dernière partie de sa conférence, Müller déclare précisément qu’il souhaite "thématiser", "approfondir", "préciser", "expliciter" le passage du texte du pape François qui vient d’être cité, afin qu’il soit "compris correctement".
L’une des conséquences de la phrase obscure citée plus haut a été d’encourager les sentiments autonomistes et anti-romains de certaines conférences épiscopales, comme en témoigne une récente déclaration du cardinal allemand Reinhard Marx qui a eu beaucoup d’échos dans le monde :
"Nous ne sommes pas une filiale de Rome. Chaque conférence épiscopale est responsable de la pastorale à l’intérieur de son territoire de compétence. Nous ne pouvons pas attendre qu’un synode nous dise comment nous devons nous comporter dans notre pays en ce qui concerne le mariage et la pastorale de la famille".
Une autre conséquence, plus générale, est que le cardinal Müller se voit contraint d’intervenir sur les documents du pape François après leur publication, par des déclarations publiques qui ont pour but de faire la lumière sur les points restés obscurs et de leur conférer une "structuration théologique".(1)
Au vu de ces choses, on se dit qu'il flotte encore une atmosphère fellinienne à Rome... Et vogue le navire!
(1) Cotes d’impopularité. L'ambassadeur et le cardinal - par Sandro Magister