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Coutume et traditions
par Abbé Néri 2014-01-13 23:29:54
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Dans le compte rendu d'un ouvrage de René Wehrlé apparu dans le bulletin critique on peut glaner avec profit des éléments importants pour mieux comprendre la valeur de la coutume dans le cadre du droit canonique et sa proximité avec la tradition (mieux les traditions)

René Wehrlé. — De la Coutume dans le droit canonique. Essai historique s'étendant des origines de l'Eglise au pontificat de Pie XI. — Paris - librairie du Recueil Sirey, 1928. In-8°, xviii-450 pages.

La Coutume a tenu et tient encore urne grande place dans le droit canonique.

C'est donc un grand et beau sujet qu'a abordé ,M. Wehrlé, dans une thèse de doctorat en droit qui dépasse de beaucoup par les dimensions, par l'étendue des recherches, par l'importance des résultats, ce à quoi se tiennent d'ordinaire pour obligés les candidats docteurs.

Dans une brève introduction, l'auteur traite d'abord des rapports de la coutume et de la loi en général.

Il explique ensuite pour quelles raisons, tirées de la nature même et des principes sur lesquels elle repose, l'Eglise catholique aurait dû montrer une défiance très marquée envers la coutume.

Celle-ci « vient d'en bas; elle sort du peuple », tandis que dans l'Eglise l'autorité descend d'en haut; et à ses débuts tout au moins le christianisme dut réagir vigoureusement :

- soit contre les coutumes juives, qu'il devait transformer,

- soit contre les coutumes païennes, dont il ne fallait pas qu'il se laissât contaminer.

Ajoutons que coutume, c'est diversité; or l'unité est une des notes de l'Eglise, qu'elle est toujours portée à maintenir, non seulement dans les choses essentielles, mais dans les autres : plus encore que les institutions, l'esprit centralisateur a toujours tendu, dans la mesure où il a triomphé, à réduire la place de la coutume.

Si cependant le droit coutumier a réussi à se maintenir, c'est qu'il y a, non sans doute identité, mais rapport étroit :

- entre l'idée de coutume, d'une part,

- et de l'autre l'idée de tradition dogmatique

Or l'Eglise fait de la tradition « la principale source de ses dogmes, l'inspiratrice de ses rites, la gardienne de sa discipline ».

Cela tient aussi, ajouterons-nous, à quelques-unes des influences qu'a subies l'Eglise, et aux conditions dans lesquelles elle a longtemps vécu.

Elle s'est trouvée en présence du droit romain; elle n'a pu ni voulu l'ignorer.

M. Wehrlé en a très sagement conclu qu'il était indispensable de consacrer avant tout un chapitre à la coutume dans la codification Jusfinienne.

Une remarque sur cette question de l'influence romaine : dans son livre, il traduit ordinairement legitimus par légitime.

Nous croyons qu'il conviendrait très souvent de traduire par : conforme aux leges (opposées aux canones), c'est-à-dire aux lois romaines.

Bon nombre des textes cités par lui prendraient ainsi une précision nouvelle et témoigneraient avec bien plus de netteté en faveur de l'influence du droit romain.

Faudrait-il aussi parler de celle qu'ont pu exercer les lois barbares, en donnant, non pas sans doute des théories de la coutume, mais des exemples et des habitudes.

Il nous semble en tous cas qu'il y a lieu de tenir grand compte de la carence à peu près complète, durant le haut Moyen Age, au moins en Occident, du pouvoir législatif, civil ou ecclésiastique, et particulièrement du Saint-Siège.

Pendant des siècles, c'est avant tout par la coutume que le droit a évolué.

D'où cette tendance, si forte au Moyen Age, à confondre les idées d'ancienneté et de tradition, d'une part, de justice et de légitimité, de l'autre.

Ce sont questions sur lesquelles n'avait pas à insister M. Wehrlé, de son point de vue, qui est celui d'un historien des théories juridiques plutôt que des faits. Mais elles ont leur importance pour qui veut comprendre avec quelle ampleur et quelle force s'est posé, lors de la renaissance des études juridiques, le problème de la coutume et de ses rapports avec le droit écrit.

Il a fallu attendre pour cela la fin du XIIe et plutôt encore le XIIIe siècle.

Jusqu'alors on peut dire que canonistes et théologiens exaltaient ou dépréciaient la valeur de la coutume, selon qu'ils défendaient une coutume qu'ils jugeaient bonne, ou en combattaient une qu'ils jugeaient mauvaise.

Seul peut-être saint Augustin a émis quelques idées générales, esquisse encore bien vague d'une théorie d'ailleurs très favorable à la coutume.

En ce domaine comme en beaucoup d'autres, la publication des Décrétâtes de Grégoire IX a marqué une date décisive.

Les textes accueillis et canonisés dans cette collection font des allusions très fréquentes à la coutume, à laquelle ils reconnaissent un domaine d'application très large, et une valeur juridique égale à celle de la loi; et surtout le chap. 11, Cum tanto, X, n, 12, énonce deux règles essentielles, encore en vigueur aujourd'hui, et qui, quelque peu complétées et précisées, ont passé dans le Code de droit canonique.

- Pour être valable, la coutume ne doit pas déroger au droit naturel

- et pour pouvoir déroger au droit positif, il faut qu'elle soit rationabilis et légitime praescripta

(c'est-à-dire, à notre avis, qu'il faut lui appliquer les règles de prescription établies par le droit romain. Le Sexte, plus tard, dira : canonice praescripta; la comparaison est instructive).

Ces formules, d'ailleurs, demandaient à être interprétées.

Elles ont été le point de départ de tout un développement juridique, que M. Wehrlé retrace, en laissant de côté les comparses, ceux qui ne font que répéter les autres, pour s'attacher longuement aux esprits originaux, à ceux qui ont apporté des vues nouvelles et fait avancer la science.

Parmi ceux auxquels il reconnaît ce mérite, il faut signaler Bernard de Parme et Henri de Suse (Hostiensis), Jean André, le Panormitain, Suarez, Reiffenstuel, et dans des temps plus rapprochés de nous, Phillips, Bouix et le cardinal Gousset.

Les analyses qu'il fait de leurs théories sont des modèles de soin, de précision et de clarté.

Quelle était la durée de la prescription à laquelle faisait allusion Grégoire IX, et surtout que fallait-il entendre par une coutume raisonnable ?

Nous nous demandons s'il n'est pas arrivé çà et là à M. Wehrlé de forcer quelque peu la pensée de Grégoire.

Nous admettons naturellement fort bien que celui-ci regardait le pape comme juge qualifié de la « rationabilité, » d'une coutume.

Les Décrétâtes témoignent à chaque instant du droit que le Saint- Siège revendiquait, et qu'on lui reconnaissait, de condamner une coutume.

Il n'en est pas moins vrai et digne de remarque que Grégoire IX n'a pas fait mention formelle de la nécessité, pour l'établissement d'une coutume, du consentement du souverain pontife.

Et dans les deux décrétâtes d'Alexandre III et d'Innocent III que M. Wehrlé cite, p. 191, pour interpréter la décrétale Cum tanto, les mots : rationabilis, rationabiliter , veulent évidemment dire :

- conformes à la raison dont le bon sens est juge;

- et c'est bien là aussi le sens que suggère le rapprochement avec la loi de Constantin visée par Grégoire IX; le sens encore attaché au mot par V Hostiensis dans un passage reproduit par M. Wehrlé, p. 186.

Il ne nous paraît pas douteux, d'autre part, que l'expression consuetudo approbata, en usage fréquent depuis la fin du XIe et le XIIe siècle, signifie non pas approuvée au sens moderne du mot, mais ancienne, consacrée par le temps; et cela d'après les exemples même que rapporte M. Wehrlé. Nous serions, sur ce point, bien plus catégoriques que lui. (1)

(1) On se demande pourquoi M. Wehrlé classe par siècles les auteurs qu'il étudie, comme si la division par périodes de cent ans n'était pas tout à fait artificielle et comme si l'histoire des idées avait la complaisance de s'y encadrer. Plus singulière encore est l'habitude de placer dans un siècle les gens qui y ont vécu juste assez pour y mourir : ainsi Suarez, mort en 1617, au XVIIe siècle, Reiffenstuel (l<641-17K)3i) au XVIIIe, Durand de IMaillane (VT2Q-1&14!) au XIXe.

Mais il était bien impossible, à une époque où l'exercice du pouvoir pontifical atteignait à son apogée, et où son activité législative et judiciaire était plus grande que jamais — deux circonstances peu favorables en elles-mêmes au libre épanouissement du droit coutumier — que la doctrine ne fût pas préoccupée d'assurer au droit écrit, en cas de conflit, le dernier mot contre la coutume.

C'est ce que font un peu diversement Bernard de Parme et V. Hostiensis; pour le premier,

- est raisonnable la coutume qui ne s'oppose pas aux institutions canoniques,

- n'est pas réprouvée par le droit, et contraire à la vigueur et à la liberté de la discipline ecclésiastique.

Pour le second, entre autres critères, celle « qui est approuvée par le droit, et que l'Eglise romaine observe et prescrit d'observer » ; — exagération évidente qui aurait réduit à peu près à rien le terrain de la coutume, et aurait enlevé à celle-ci sa raison d'être, laquelle est précisément de modifier le droit et d'introduire la diversité.

On peut en dire autant de l'affirmation que toute coutume spéciale de l'Eglise romaine doit être observée partout.

Ces idées « ultramontaines », dirions-nous, ne triomphent pas tout de suite, et la théorie très développée qu'a donnée de la coutume Jean André, le grand canoniste de la première moitié du XIVe siècle, est tout entière, peut-on dire, ordonnée autour d'une idée essentielle :

- ce qui fait la valeur de la coutume, c'est le consentement du peuple;

- tout le point est de savoir comment constater ce consentement et à quelle condition il est valable;

Or d'un bout à l'autre Jean André admet que le droit d'établir une coutume et le droit de légiférer vont ensemble — ce ne sont que deux manières différentes d'arriver au même résultat — ; et pour lui, en romaniste qu'il est, le pouvoir législatif repose dans le peuple; en sorte que « le consentement du souverain » — en l'espèce le pape — « n'est mentionné ni comme nécessaire, ni même comme utile; le peuple reste le seul maître de la coutume » (p. 247).

Un siècle plus tard, au contraire — et c'est une preuve, entre beaucoup d'autres, d'un fait bien connu : au moment même où le gallicanisme et les mouvements analogues prétendaient opposer les coutumes nationales à la centralisation romaine, les jurisconsultes du parti « curialiste » s'appliquaient à tirer toutes les conséquences des principes de la monarchie pontificale — le Panormitain déclarait le premier, d'après M. Wehrlé, que la permission du pape était une des conditions essentielles de l'introduction de la coutume contraire aux canons.

Cette thèse s'accordait encore assez mal avec le principe du consentement populaire, où le Panormitain continuait par tradition à voir « la cause efficiente » de la coutume.

Suarez réussit à élever une construction juridique où tout s'harmonisait.

Il « fait du consentement du souverain la principale cause efficiente de la coutume, au point que les autres éléments qui constituent cette même cause efficiente deviennent, sinon accessoires, du moins secondaires ».

La volonté des hommes qui introduisent la coutume n'est qu'une cause efficiente prochaine, d'ailleurs indispensable, qui crée un fait; seul le consentement du souverain crée un droit.

Mais alors les usages qui s'établissent à l'insu du pape pourront-ils jamais acquérir la force de coutumes ?

Suarez échappe à cette objection en distinguant le premier trois formes de consentement :

- outre le consentement exprès et le consentement tacite, déjà admis par les juristes,

- le consentement légal, « donné par le souverain au moyen du droit lui-même », en déclarant d'avance valable toute coutume qui remplit des conditions déterminées — exactement ce qu'avait fait Grégoire IX, pour le droit ecclésiastique par le décrétale Cum tanto.

Ingénieuse théorie qui conciliait la coutume avec le principe que dans l'Eglise la loi vient d'en haut.

La réaction contre le gallicanisme, qui est un des grands faits de l'histoire de l'Eglise au XIXe siècle, explique le reste ; 1e peu de faveur que montrent à la coutume des canonistes comme Bouix et le cardinal Gousset, et l'énergie avec laquelle ils insistent sur la nécessité du consentement du pape (le cardinal Gousset va jusqu'à rejeter la théorie du consentement légal).

Et les circonstances politiques conduisirent à préciser par quelques distinctions :

- d'une part la théorie du consentement de la communauté

- d'autre part celle du consentement tacite du pape.

Dans divers pays, et notamment en France, les événements ont introduit des habitudes et des pratiques qui ont été bien plutôt imposées par les gouvernements, ou acceptées par ignorance du droit, qu'adoptées librement et en connaissance de cause par la communauté (Bouix cite en exemple, pour la France, la révocabilité ad nutum des desservants par les évêques).

Il ne faut pas laisser croire que ces prétendues coutumes, irrégulièrement introduites, puissent devenir valides.

D'autre part, il arrive beaucoup plus souvent qu'autrefois que le pape doive garder, en présence de pratiques fâcheuses, une attitude qui n'est pas une approbation tacite, mais un silence à demi forcé, observé par prudence; en sorte qu'il ne suffît pas dans chaque cas de se demander si le pape a ou non protesté, mais s'il pouvait protester.

Nous avons parlé surtout du plus grave, en somme, des problèmes qui se posent au sujet de la coutume :

- quelles sont les conditions pour qu'elle acquière force de loi ?

Beaucoup d'autres naturellement ont dû être examinés par M. Wehrlé. Nous nous bornerons à quelques remarques.

Il est assez frappant de voir que plus on tend à mettre au premier plan le consentement pontifical, et moins on est exigeant en fait de prescription; du moment que la volonté du souverain est réputée nécessaire, on tend d'instinct à admettre qu'elle est suffisante.

En ce qui concerne la manière d'introduire la coutume, la tendance des canonistes est d'exiger de la part de la communauté, ou au moins de sa majorité, une volonté consciente de s'obliger.

Se rencontre-t-elle toujours et facilement en fait ?

Surtout lorsqu'il s'agit de coutume négative, de désuétude, la coutume ne s'établit-elle pas par de très nombreux actes individuels, précédents auxquels tout le monde peu à peu croit pouvoir se conformer, sans que chacun, au début, ait eu la pleine intention de ce qu'il contribuait à créer ?

— S'agit-il de la preuve de la coutume, l'importance attachée à la preuve testimoniale nous paraît un peu une survivance médiévale; il semble qu'il y ait aujourd'hui des modes de preuve bien plus sûrs.

Le récent Code de droit canonique a laissé à la coutume une place plus grande que ne sont ordinairement portées à le faire les codifications.

Il nous paraît inutile d'en résumer les dispositions; M. Wehrlé l'a fait à merveille.

Comme il l'a fait remarquer, le Code ne tranche pas, et laisse donc toute liberté pour discuter, des questions théoriquement et pratiquement très intéressantes, par exemple :

- dans quels cas une coutume non expressément réprouvée par le droit peut-elle être dite raisonnable ?

- Quelles sont les diverses communautés qui, susceptibles de recevoir une loi ecclésiastique, peuvent introduire des coutumes ?

- De quelle nature doit être le consentement donné à la coutume par le souverain ?

- Le consentement légal suffit-il ?

- Quels sont les moyens de preuve propres à la coutume ?

- Quelles sont les coutumes expressément réprouvées ou au contraire expressément maintenues par le nouveau Code ?

II y a encore, on le voit, de la besogne pour les canonistes. Nous voudrions que cette analyse eût fait sentir à tous nos lecteurs à quel point le beau livre de M. Wehrlé mérite d'attirer l'attention, non seulement des juristes, mais des historiens.

Ceux-ci regretteront peut-être un peu que l'auteur n'ait pas rapproché davantage les théories qu'il analysait des circonstances historiques au milieu desquelles elles sont nées, et qui contribuent à les expliquer. Il leur appartiendra de faire ce travail. Ils y trouveront intérêt et profit.

E. Jordan.



     

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 Coutume et traditions par Abbé Néri  (2014-01-13 23:29:54)
      A mon avis par Jean Ferrand  (2014-01-14 08:50:59)
          Vous prenez trop le mot de "coutume" Jean par Jean-Paul PARFU  (2014-01-15 09:26:03)


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