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François Brigneau, la fin d'un monde sur Présent.
par Henry 2012-04-12 11:48:36
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J’ai rencontré pour la première fois François Brigneau à la fin des années 1970, lors d’une interview qu’il m’avait accordée pour Aspects de la France. Bien sûr je le lisais déjà depuis longtemps, et avec quelle admiration. En fait depuis mon adolescence, qui coïncidait avec ses premiers papiers dans Minute. Au moment de la création de Présent, quand celui-ci était encore en gestation, il m’offrit au cours d’un déjeuner avec l’ami Pierre Durand de rejoindre la rédaction naissante, encore embryonnaire. J’acceptai évidemment avec beaucoup de joie cette opportunité inespérée.

Trente ans après je lui en suis toujours reconnaissant. Comme j’éprouve à son égard la même gratitude pour m’avoir permis de travailler au côté d’un journaliste de son tempérament, de son caractère et de son envergure. Un journaliste au talent exceptionnel et multiforme, et qui représentait déjà en 1982 l’un des derniers corsaires de l’aventure journalistique dans ce qu’elle avait, pour moi, de plus emballant et de plus existant : le combat des idées. Ce polémiste né poussa ses dons d’escrimeur du verbe contre les puissants, – sociétés d’influence, mastodontes médiatiques, détenteurs de l’autorité régalienne ou chiens de garde des idéologies dominantes, – jusqu’à l’extrême témérité. Des luttes qui exposent le cas échéant leur auteur à la répression judiciaire et le mettent, encore plus sournoisement, le conformisme intellectuel aidant, au banc de la profession alors qu’il en était l’une des étoiles les plus brillantes…

Né en 1919 François Brigneau eut la malchance d’avoir vingt ans au moment où l’Europe, déjà exténuée par une Première Guerre mondiale, s’embrasait de nouveau sous le soufflet infernal de deux idéologies extrêmes : le communisme d’un côté et l’hitlérisme de l’autre. Une tragédie occidentale dans laquelle, comme d’autres jeunes gens de sa génération, François Brigneau se trouva emporté, noyé dans des flots de passions, vite teintés de sang. Celui dont Michel Debré nous disait qu’il séchait vite en entrant dans l’Histoire.

Projeté parmi les décombres de l’effondrement militaire de la France et des sombres conséquences qui en découlèrent : la Collaboration et ses ambiguïtés, l’Epuration et sa terreur révolutionnaire, il connaîtra l’arbitraire des règlements de compte du résistantialisme et les duretés de la prison. Il sortira de ces années tumultueuses avec beaucoup de cicatrices et quelques blessures inguérissables à l’âme.

Le reporter, le portraitiste, le styliste, le militant, le pamphlétaire

Ses engagements de jeunesse, François Brigneau les évoqua notamment, avec beaucoup d’acuité et une sensibilité toujours à vif, dans un de ses Cahiers, « A Fresnes au temps de Robert Brasillach ». Le temps m’étant compté – je reviendrai bien sûr plus longuement sur François Brigneau et ses écrits dans un prochain numéro du Supplément littéraire – je me permets, en attendant, et en m’en excusant auprès des lecteurs, de reprendre le passage d’un article que j’écrivis au moment de cette parution. Ces lignes contiennent à peu près, à gros traits, les grandes caractéristiques de l’auteur de Mon après-Guerre.

« Dans ces pages crépitantes d’émotion, toutes résonnantes du grand chambardement de la Seconde Guerre mondiale et des convulsions de notre guerre civile franco-française, nous retrouvons toutes les facettes de l’immense talent de François Brigneau. Le reporter qui raconte les choses vues, telles qu’elles sont (la messe à Fresnes constitue un morceau d’anthologie). Le portraitiste qui croque ses compagnons d’infortune sur le vif, d’un trait agile et précis, avec une sympathie qui n’exclut ni l’impertinence ni la drôlerie. Le polémiste à la verve incandescente… Le styliste dont les mots épousent tour à tour toutes les nuances de la parlure française, passant de la trivialité rabelaisienne à une clarté et une pureté toutes classiques. Le militant passionné et incorruptible de la cause nationale. Le révolté, en insurrection permanente contre les impostures de l’idéologie contemporaine et ses légendes dorées. Un rebelle dont la jeunesse a été gravement brûlée et peut-être défigurée par les terribles incendies de l’histoire contemporaine. »

Sa vivacité de polémiste accompagnera et soutiendra fidèlement ses engagements de jeunesse auxquels, durant toute son existence, il restera fidèle. Une jeunesse marquée à jamais par ses idéaux perdus dans le volcan en irruption de la Seconde Guerre mondiale, et plus encore par son amitié avec Robert Brasillach, dont la mort tragique et injuste demeurera comme le symbole brûlant du drame de cette guerre civile absurde qui, à la sortie du conflit mondial, ensanglanta la France et pervertit durablement ses institutions.

Les combats sans merci que menait le militant nationaliste et anticommuniste, ceux aussi du contempteur sarcastique de notre époque frivole et marxolâtre où triomphent tant d’imbéciles et d’escrocs, se confondaient évidemment avec la virulence du pamphlétaire. Ce dernier conduisit contre les gouvernements des quatrième et cinquième Républiques, notamment les gaullistes et tous les bradeurs de notre empire colonial, puis plus tard contre la subversion soixante-huitarde des années giscardo-mitterrandiennes, de violentes charges, où, au grand ravissement de ses lecteurs, le stylo remplaçait le sabre. A moins que ce ne soit la torche et le glaive. Ses phrases, remplies de toutes les indignations qui alimentaient sa fureur, devenaient alors autant de brûlots bourrés de combustibles inflammables qu’il lançait contre les flancs des grands navires du mensonge et du conformisme.

Le journaliste le plus poursuivi et le plus condamné de sa génération

Il fut, dans sa génération, sans doute le journaliste qui déchaîna le plus souvent contre lui l’ire de nos maîtres censeurs et la rage accusatrice des Fouquier-Tinville miniaturisés du politiquement correct. Avec toujours à la clé les mêmes chefs d’accusation : racisme, antisémitisme, xénophobie, discrimination… Outrages répétés aux flics de la pensée !

Dans ses pamphlets – mais aussi dans ses romans noirs dont il fut en France l’un des précurseurs brillants et désinvoltes, comme nous l’a récemment rappelé la réédition de Faut toutes les butter – François Brigneau maniait la langue verte avec une truculente virtuosité. Langue imagée du petit peuple parisien, avant que celui-ci ne soit lobotomisé par la télévision et dont il exploitait toutes les nuances pittoresques et colorées. Langue juteuse, riche, rugueuse, rebelle et gouailleuse, qui appelait un chat un chat et les politiciens des gougnafiers. Tout le contraire du langage robotisé et formaté qui a cours aujourd’hui. « Il est sain d’écrire dans sa langue maternelle et complice. » Hélas ! A l’heure uniforme et univoque de la globalisation, la langue française, qu’elle soit verte ou académique, se délite en même temps que l’identité nationale. François Brigneau, jusqu’au bout, aura été l’un des mainteneurs les plus têtus de l’une et de l’autre. Le défenseur cerné dans son camp retranché d’une civilisation française en voie d’extinction et dont il fustigera jusqu’à son dernier souffle les fossoyeurs.

François Brigneau excellait, à l’instar d’un Léon Daudet, dans l’art du portrait vitriolique et réjouissant, trouvant toujours, avec une imagination inépuisable, les qualificatifs originaux et les images saugrenues susceptibles de ridiculiser ses victimes. Ses deux Cahiers sur les vedettes boursouflées de la télévision en contiennent d’excellents exemples. Cruelle ironie du destin : ce passionné de politique nous aura quittés à dix jours d’une élection présidentielle dont il aurait sans doute aimé connaître le dénouement. Sans aucune illusion sur les protagonistes, mais par simple curiosité professionnelle.

Ami, je sens venir la fin…

Dans une de ses chroniques de jeunesse, parue en 1947 dans La Dernière Lanterne, donc largement prémonitoire, subodorant la disparition de la France programmée par les maîtres des temps nouveaux, François Brigneau écrivait : « Ami, je sens venir la fin. La fin du pays gaulois. » Ce pays englouti dans les eaux froides et électriques de la mondialisation, dont il était, dans le monde des lettres et des médias, l’un des rares spécimens survivants. Un pays disparu qu’il conservait vivant dans son cœur et dont jusqu’à son dernier souffle il en aura maintenu la fiction, au milieu de ce nulle part que devient de plus en plus notre Bel Aujourd’hui. Un pays gaulois dont il faisait vivre, dans ses écrits et ses colères, l’évanescente tradition… Avant sans doute que celle-ci ne disparaisse avec lui.

François Brigneau est mort. En écrivant ces mots toute une bouffée de souvenirs liés aux débuts de Présent m’assaillent, me submergent et me font frissonner. « Oh ! le souvenir, le souvenir ! miroir douloureux, miroir brûlant, miroir vivant, miroir horrible qui fait souffrir toutes les tortures », écrivait Maupassant. Un miroir que je préfère, ce matin, garder secret, mais qui se rallumera, je le sais, chaque fois que j’arriverai devant l’escalier de Présent, en croyant y découvrir un vélo dans le hall… Le vélo sur lequel François Brigneau, au temps des belles années de Présent, venait de Saint-Cloud à la rue d’Amboise.

Comme on disait jadis au royaume de France : « Adieu François, jusqu’au revoir… »
Jean COchet
Présent de jeudi 12 avil

     

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