Je me permets de publier ce texte...
N’avez-vous jamais senti l’intervention de la Providence dans votre vie ?
- Comment répondre qui ne soit pas à la fois oui et non ? Les hommes de ma génération, engagés comme je l’ai été, qui arrivent à mon âge avec deux bras, deux jambes et la tête encore pas trop fêlée, on peut croire en effet qu’ils ont bénéficié, à certains moments, d’une certaine protection. J’ai fait un bout de guerre ; j’ai subi des bombardements ; j’ai échappé à deux attentats, l’un au pistolet, l’autre à la bombe, sans parler des roustes ; je me suis sorti, sans de trop graves blessures, de plusieurs accidents, en automobile et à vélo ; j’ai connu, en mer, à la voile, des moments difficiles qui auraient pu avoir des conclusions dramatiques.
Au cinquième étage, après une nuit que je n’avais pas passée à déguster du tilleul-menthe, j’ai franchi l’angle droit qui séparait la dernière fenêtre du couloir de la première de l’appartement dont j’avais égaré les clefs. Quarante-cinq ans après, quand j’y pense, j’ai les jambes molles ... Après coup il m’arrive donc de remercier mon ange gardien. Puis le doute revient aussitôt. Pourquoi s’intéresserait-on à moi ? D’autant que je n’appartiens pas à ceux qui pourraient être sauvés, puisque je n’ai pas reçu le baptême ...
- En mai 1989, dans Choc, vous avez pourtant écrit une lettre au Bon Dieu pour le remercier de tout ce qu’il vous avait donné. Ne s’agissait-il que d’un artifice ? Une figure de style ?
- Non. Je ne crois pas ... Dans ce domaine, il y a une partie logique, une longue réflexion raisonnée, un dialogue avec soi-même où l’on s’oppose des arguments, une construction que l’on voudrait rationnelle et en béton ... et puis il y a des moments de sentiments et de pulsions, où viennent au cœur des mots qu’on ne vous avait pas appris. Mes parents, nés catholiques - mon père fut enfant de chœur - étaient devenus hostiles au catholicisme. Peu à peu cette hostilité s’était transformée en méfiance - la peur de la récupération - puis en indifférence. Je ne crois pas qu’ils fussent athées. Ma mère en tout cas ne l’était pas. Si laïque que ma famille se voulait être, elle baignait dans une Bretagne catholique ...
Quand j’allais me promener avec ma grand-mère, elle se signait en passant devant un calvaire. Les logements de mes oncles et tantes étaient tapissés d’images pieuses. Chez ma tante Emma, la sœur aînée de mon père, sous un, globe en verre de près d’un mètre de haut, il y avait une statue enluminée de sainte Anne tenant dans ses bras Marie ... N’oubliez pas les cloches qui rythmaient la vie de l’angélus à l’angélus ; disaient l’heure, la demie et le quart ; annonçaient la mort et chantaient l’amour le jour des épousailles ...
N’oubliez pas non plus les saints, si nombreux et si familiers en Bretagne. On avait cru ne pas devoir me baptiser, mais si je connaissais l’histoire de saint Corentin, qui avait donné son nom à Quimper et à sa cathédrale, et celle de saint Michel archange, le patron de Concarneau, celui qui avait affronté Lucifer, c’est que quelqu’un me les avait enseignées ... Il n’est donc pas surprenant que le nom de Dieu vienne sous ma plume et que je ne le biffe pas ... Il n’est pas surprenant non plus que je lui écrive, au soir de ma vie, même si ce n’est pas logique, pas rationnel, même si ça fait rire les gros malins, pour le remercier des bienfaits dont il m’a comblé et d’abord de m’avoir fait naître Français au beau pays de France, et, en France, au beau pays de Cornouaille.
(…)
- Puis-je vous présenter une requête ?
- Bien sûr.
- Je voudrais que vous me disiez le poème de Charles Maurras.
- Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine,
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.
Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vu sous le ciel,
La France des Bourbons, de Mesdames Marie,
Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel...
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