Empêché de nous rejoindre le dimanche 13 décembre 1998, Eugenio Corti, auteur du célèbre roman le Cheval rouge nous a adressé le 12 décembre le message suivant, qui a été lu aux participants de la Journée de vente de livres à Versailles.


« Empêché par la maladie de venir vous rencontrer à Paris, je tenais à vous remercier de votre ferveur et à vous dire combien important est le rôle du public dans le succès que connaît le Cheval rouge depuis sa parution.

Je reçois de nombreuses lettres de lecteurs. De quelque milieu social ou spirituel qu'ils proviennent, ces lecteurs me parlent quasi- unanimement de la vérité qu'ils ont découverte dans le Cheval rouge, du bouleversement que leur a causé cette découverte Certains, qui avaient de l'appréhension en entrant dans ce roman-fleuve, se disent presque déçus d'en voir arriver la fin !

Je reçois souvent des jeunes gens qui viennent me rendre visite. Plutôt instruits et cultivés, ils apprécient surtout la vision de l’histoire moderne qu'ils ont trouvée dans le Cheval rouge, une vision libre, chrétienne, à mille lieues des "demi-vérités" de la culture dominante.

Je vois ainsi, avec plaisir, mes lecteurs devenir les meilleurs promoteurs du Cheval rouge. Ils en parlent autour d'eux, l'offrent, le font lire à leur entourage. Grâce à eux, le Cheval rouge n'a pas eu besoin du soutien des médias de masse et des critiques en vogue pour être connu et lu en Italie. Et c'est grâce à cette rumeur favorable, encore qu'il a pu être traduit à l'étranger, notamment en France.

Comment expliquer la vague de sympathie qui accompagne ce roman ? D'abord, me semble-t-il, par le fait qu'il ne doit rien aux théories littéraires modernes qui ont entraîné la littérature sur une fausse voie, une voie de l’ expérimentation élitaire, et l'ont ainsi détournée du public et de la vie. Ce n'est pas pour rien si, depuis que ces théories règnent en Occident, nos pays n'ont plus produit aucune œuvre littéraire d'importance -d'une importance générale, indiscutable, populaire. En écrivant le Cheval rouge, j'ai simplement voulu retrouver la voie classique, la voie royale de notre littérature, cette voie qui va d'Homère à Tolstoï, pour s'arrêter abruptement quelques décennies plus tard, égarée dans les brumes de I’ avant-garde destructrice.

Il ne s'agissait pas, cela dit, de refaire au XXe siècle un roman du XIXe. Il m'a fallu assimiler toutes les idées nouvelles, les formes d’art contemporaines  tel que le cinéma  pour en intégrer la substance.

C'est la raison pour laquelle le Cheval rouge est d'un abord agréable et immédiat au public contemporain, souvent plus habitué au langage des images qu'à la longue narration romanesque.
Il y a donc la forme littéraire.

Mais il y a aussi un contenu. Une inspiration plutôt. Beaucoup d'auteurs, de penseurs, aujourd'hui encore, se disent chrétiens. Mais cet esprit chrétien, imprègne-t-il vraiment leurs œuvres ? Ce n'est pas toujours le cas. Pourquoi cela ? Parce que nous n'osons plus, de nos jours, face au monde incroyant, affirmer la plus élémentaire vérité chrétienne : si nous sommes chrétiens, si donc nous croyons que Dieu s'est fait homme --non pas symboliquement mais réellement, dans sa chair-- il est bien clair que toute l’histoire de l’humanité, que la destinée de chaque individu est profondément influencée par cette irruption de la transcendance.

Un chrétien ne peut envisager l’ histoire sans tenir compte de cet énorme fait historique. Nous faisons donc tous partie d'une Histoire marquée par le sacrifice et la rédemption du Christ, Dieu incarné. Et l’ originalité du Cheval rouge, en notre siècle, c'est que ses personnages comme son narrateur, par tous leurs faits, leurs gestes leurs mots, affirment cette réalité. Humbles paysans, soldats, pêcheurs ou ascètes, ils sont remis chacun à leur place dans l’économie divine.

Si, en Italie, chrétien rime avec catholique, l’inspiration chrétienne de ce roman est clairement perceptible, et de la même manière, aux chrétiens des autres confessions. Ainsi des calvinistes intransigeants ont-ils pu dire du Cheval rouge qu'il s'agit d'un livre qui, sans rien renier de la foi catholique, « renverse toutes les barrières confessionnelles » et répond pleinement aux espérances des chrétiens réformés. C'est que la vision chrétienne exprimée dans le Cheval rouge n'a rien d'une doctrine : elle s'incarne tout entière dans la vérité des faits décrits. Lorsque j'évoque les camps communistes, où les hommes mourants de faim se dévoraient entre eux, c'est l'enfer même que j'avais le sentiment de décrire. L’enfer véritable, non métaphorique, vécu sur cette terre par mes pauvres compagnons d'armes. Car, dans I’ au-delà, grâce au sacrifice du Christ, ce supplice nous sera peut-être épargné.

A vous tous, chers amis, j'adresse mes plus sincères remerciements d'auteur comblé, en espérant pouvoir très bientôt vous retrouver à Paris. Avec mes fraternelles salutations. »

Eugenio Corti

RENAISSANCE CATHOLIQUE N° 55 - Janvier / Février 1999
http://www.librairiecatholique.com/t_livre/le-cheval-rouge-eugenio-corti-9782825106365-8642.asp
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