L’émoi suscité par des histoires scabreuses est certainement compréhensible. Ceux qui ont la charge d’âme, ceux en qui le peuple chrétien a mis sa confiance, ceux qui nous sanctifient commettent une grave faute. S’il ne s’agissait que de cela, la campagne actuelle n’aurait rien de choquant. Les âmes sont à juste titre scandalisées.

Mais voilà : tout ce qui est excessif est aussi suspect, notamment lorsque l’on connaît l’amour que porte le monde moderne à la maîtrise de soi ou à la chasteté… Or, la lutte contre la pédophilie du clergé est aussi une manière pour une société dévergondée de se redonner une morale qu’elle a jeté par-dessus bord. Se donner bonne conscience est peut-être la trame de ces campagnes justicières (j'invite le liseur à lire la fin d'un entretien avec le psychanalyste Jacques Arenes). Au passage, les mêmes qui crient au scandale ne s’émeuvent pas de l’avortement, de la prolifération des relations pré ou extra conjugales, de l’érotisation croissante des relations humaines, etc. Il y a même à parier que beaucoup trouvent normal la distribution massive de préservatifs, la diffusion d’une pornographie sanitaire… A partir de cas montés en épingle, on sait aussi passer sous silence ses pires errances. La campagne actuelle participe d’un curieux retournement. On dit que notre époque est immorale, mais paradoxalement on ne parle que de morale, du moins en apparence. Les diverses personnalités sont évaluées sous l’angle d’injonctions morales. Tout se jauge en termes moraux : contrat moral, transparence, etc.

Il est certain que la pédophilie est scandaleuse. Elle l’est d’autant plus par le fait que l’un des partenaires ne peut justifier d’un consentement éclairé. Il y a bien ce qui s’apparente à une subornation. Mais quid des cas où le partenaire est consentant ? Or, concernant les comportements consentants, la tendance est à la relativisation. Faut-il rappeler que des mouvements ont réclamé la dépénalisation de relations sexuelles entre adultes et mineurs dès lors que ces derniers sont consentants… Une contradiction certaine. Les mêmes qui se révoltent contre l’impunité de certains prêtres n’ont guère eu de difficultés à demander la plus large mansuétude pour certains comportements sexuels. On peut se demander pourquoi ces errements sacerdotaux choquent dans une société si sexualisée, où l’on a justifié les pires aberrations pédophilesques.

Allons plus loin. D’un point de vue moral et surnaturel, on ne voit pas en quoi la pédophilie serait le pire des péchés de la chair dont elle une modalité. En quoi une masturbation, le visionnage d’une vidéo pornographique ou une relation entretenue avec un adulte (homme ou femme) serait moins grave. La seule différence est que dans un cas, le droit pénal réprime (ce dont on ne peut que se réjouir), alors que dans les autres situations, il est silencieux. Mais la morale chrétienne n’est-elle pas autre chose que la stricte application du droit pénal ? Un prêtre aux mœurs dissolues n’en sera pas moins désastreux pour sa communauté qu’un prêtre pédophile. La difficulté de la campagne actuelle est qu’elle n’oppose pas à l’immoralité une moralité : elle se contente de récuser une immoralité choquante au profit d’une immoralité banalisée et conventionnelle. Cela devient risible. On peut se demander où passe la frontière entre une bonne sexualité libérée et une mauvaise sexualité libérée… J’avoue ne pas avoir trouvé la réponse : le péché de chair est avant tout un.

Il n’y a rien à tirer de bon de ces campagnes tapageuses qui donnent l’impression d’un surcroît de moralité. Il s’agit plutôt d’une illusion. Mais l’hypocrisie n’est-elle pas… l’hommage du vice à la vertu ?