Je vous propose la traduction (un peu adaptée) d'un article paru en anglais sur le site du National Catholic Reporter ; c'est assez effrayant :
Le cardinal Walter Kasper admet être devenu le porte parole du pape pour la réforme de l'Eglise catholique grâce à un heureux hasard, ou si vous préférez grâce à la Providence, avant que quiconque ne sache que François allait être le prochain pape.
La genèse de leur partenariat, Kasper l'a rappelé lors d'un récent voyage à New York, a été une rencontre fatidique qui a eu lieu quelques jours avant le dernier conclave, lorsque tous les électeurs du collège des cardinaux étaient hébergés dans la maison d'hôtes du Vatican.
La chambre de Kasper se trouvait juste en face de celle du cardinal Jorge Mario Bergoglio. Théologien allemand de renom qui venait d'avoir 80 ans, Kasper avait récemment reçu la traduction en espagnol de son dernier livre, La miséricorde : essence de l'Evangile et clé de la vie chrétienne. Il avait apporté quelques exemplaires avec lui et en donna un à Bergoglio.
"Ah ! La miséricorde," le cardinal argentin s'est écrié en voyant le titre, "c'est le nom de notre Dieu !"
Les deux hommes se connaissaient déjà un peu - Kasper avait été à Buenos Aires à plusieurs reprises pour des questions ecclésiastiques - mais il s'avère que la réaction de Bergoglio n'était pas juste un de ces compliments formels que l'on adresse à une connaissance lors d'une réunion littéraire. La miséricorde avait longtemps été un principe directeur du ministère de Bergoglio, et il a dévoré, la vaste étude de Kasper durant les jours qui ont précédé le vote du conclave.
Puis, dans la soirée du 13 mars, c'est Bergoglio qui est apparu sur le balcon de la basilique Saint-Pierre en tant que pape François. Quatre jours plus tard, le nouveau pape s'est adressé à une foule immense Place St Pierre - et alors que Kasper, surpris, le regardait à la télévision, il a entendu François le louer comme un "théologien très pointu" et faire la publicité de son étude : « Ce livre m'a fait tant de bien », a dit François.
"Mais ne pensez pas que je fais de la publicité pour les livres de mes cardinaux ! " le nouveau pontife a rapidement ajouté.
Trop tard. Les éditions ultérieures du livre de Kasper ont été favorisées par la louange de François, et depuis, Kasper s'est retrouvé doté d'une influence qui, il y a peu de temps, aurait été aussi inimaginable que les types de réformes promus par François.
« Un pape radical »
Pendant longtemps, Kasper avait été un marginal dans la structure du pouvoir romain. Quand il était évêque en Allemagne dans les années 1990, Kasper s'est efforcé de persuader le pape Jean-Paul II de trouver un moyen de permettre l'accès à la communion aux catholiques divorcés remariés. Mais cela a été contrecarré par les conservateurs romains, dirigés par un autre théologien allemand, le cardinal Joseph Ratzinger, de longue date tzar doctrinal de Jean-Paul.
Toutefois, Kasper a continué à manoeuvrer pour susciter des réformes, souvent en s'affrontant avec Ratzinger dans les pages de revues catholiques. Pourtant, Jean-Paul II a nommé Kasper cardinal en 2001 et plus tard lui a confié le secrétariat pour les relations avec les autres Eglises.
Le poste s'est avéré une sorte d'étape dan l'itinéraire de Kasper, et quand Jean-Paul II est mort en 2005, on évoqua Kasper comme le dernier grand espoir pour un virage progressif dans l'Eglise : " Kasper le pape sympathique ", certains ironisèrent.
Au lieu de cela, ce fut Ratzinger, le rival de longue date de Kasper, qui émergea de la Chapelle Sixtine en tant que pape Benoît XVI, pour apparemment bétonner le virage de l'Eglise vers le conservatisme. Kasper prit alors sa retraite et se mit à écrire des livres sur des sujets tels que la miséricorde.
Après la démission de Benoît, Kasper faillit ne pas participer au conclave : les cardinaux de plus de 80 ans perdent leur qualité d'électeur, et le 80e anniversaire de Kasper était le 5 mars - un jour avant que les cardinaux commencent à délibérer ; 24 heures plus tard, il n'aurait pas été électeur.
Dix jours plus tard, François était élu.
Clairement, François partage une passion pour la miséricorde avec Kasper ; mais il s'appuie aussi sur Kasper non seulement pour apporter un fondement théologique à ses idées, mais aussi pour promouvoir son renouvellement du catholicisme.
"Ce pape n'est pas un pape libéral. C'est un pape radical !" a déclaré Kasper alors qu'il était assis dans un bureau à l'église de Saint-Paul l'Apôtre dans l'Upper West Side de Manhattan pendant un séjour d'une semaine aux Etats-Unis. "Ce pape retourne à l'Evangile."
Sujets controversés
Après que François eut publiquement fait l'éloge du travail de Kasper, un cardinal âgé de Rome s'est approché du pape et a insisté : " Saint-Père, vous ne devriez pas recommander ce livre. Il contient de nombreuses hérésies." Le pape souriait en racontant l'histoire à Kasper, puis il l'a rassuré en lui disant : "Cela entre dans une oreille et ressort par l'autre."
Une preuve supplémentaire de la confiance de François en Kasper est venue en février quand le pape lui a demandé de prononcer une longue intervention lors d'une réunion de tous les cardinaux rassemblés pour discuter de la modernisation de l'Eglise concernant une gamme de sujets brûlants.
La réunion était la première d'une série de discussions que Francis avait prévu de relancer sur des sujets controversés - l'un d'eux étant l'accès des divorcés remariés à la communion. Ce n'est pas le sujet le plus léger mais il est au centre d'une grave crise pastorale, étant donné que beaucoup de catholiques se sont remariés sans avoir obtenu d'annulation et ne peuvent s'approcher de la Sainte Table. "Même un meurtrier peut se confesser et communier" Kasper se plaît à dire.
"J'ai dit au pape, "Saint-Père, mon intervention suscitera une controverse," a déclaré Kasper. Le pape s'est mis à rire et lui a répondu : "C'est bien, nous avons besoin de ça !"
Effectivement, les critiques féroces n'ont pas manqué.
"Un tel changement ne provoquerait pas seulement une grogne des conservateurs, elle entraînerait une menace de schisme pure et simple", a averti Ross Douthat du New-York Times. Phil Lawler, rédacteur en chef de Catholic World News, a convenu qu'un tel changement était inadmissible : "La proposition Kasper, dans sa forme actuelle, est inapplicable", écrit-il.
A dire vrai, Kasper lui-même n'a pas exactement calmé le jeu lors de ses dernières interventions sur les campus catholiques américains et à l'occasion de ses entretiens avec les médias.
S'adressant au magazine catholique libéral Commonweal, Kasper a déclaré que le pape lui-même "estimait que 50 % des mariages ne sont pas valides " - une affirmation qui a laissé de nombreux conservateurs atterrés. «Je suis stupéfait de l' insouciance pastorale d'une telle assertion. Simplement abasourdi », a écrit l'avocat canoniste et blogueur populaire Edward Peters.
Lors d'une conférence publique à l'Université de Fordham à New York, Kasper a également irrité les conservateurs, et ravi les progressistes quand il égratigné le préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Müller, qui venait d'effectuer une critique cinglante des supérieures de la plupart des congrégations religieuses féminines américaines. Kasper a exprimé son " estime " pour Müller et a déclaré que son bureau avait tendance à avoir une vision "étroite" et devait être plus ouvert au dialogue et au changement. Cela, aussi, a déclenché une nouvelle série de plaintes.
Risquer le changement
Malgré l'opposition, les collègues de Kasper le décrivent comme rajeuni par la réforme lancée par François.
"Je ne sais pas si mes propositions seront jugées acceptables", a déclaré le cardinal avec un haussement d'épaules. "Je les ai faites en accord avec le pape, ce n'est pas moi tout seul qui est pris cette initiative. J'ai parlé au préalable avec le pape, et il a été d'accord. »
Les idées de Kasper sont controversées pas tant pour leur contenu, que parce qu'elles sont au coeur de la question : l'Eglise peut-elle changer et comment ?
"Le changement est toujours un risque, a déclaré Kasper, mais ne pas changer est aussi un risque. Même un plus grand risque, je pense."
Kasper s'est dit confiant que le débat initié par Francis sur le thème de la famille et de la sexualité entraînerait des réformes importantes, en partie "parce qu'il y a des attentes très élevées".
Il a noté que l'Eglise a souvent changé, ou s'est «développée», au cours des siècles, et tout récemment dans les années 1960 lorsque, par exemple, le Concile Vatican II a modifé l'enseignement traditionnel sur la liberté religieuse et le dialogue oecuménique.
Kasper réaffirme qu'il ne préconise pas un changement du dogme de l'Eglise sur la sainteté du mariage, mais un changement de la «pratique pastorale» concernant qui peut recevoir la communion." Dire que nous n'admettrons pas les divorcés remariés à la sainte communion n'est pas un dogme, c'est l'application d'un dogme dans le cadre d'une pratique pastorale concrète. Ceci peut être changé."
Kasper a expliqué que c'est la voix des fidèles qui fait la différence. "Le soutien le plus fort vient du peuple, et vous ne pouvez pas perdre cela de vue", dit-il.
"S'il y a un abîme entre ce que les gens font et ce que l'Eglise enseigne, cela ne sert pas la crédibilité de l'Eglise", a-t-il dit."Il faut que cela change."