Réponse détaillée

Le Forum Catholique

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Signo -  2019-07-15 18:55:27

Réponse détaillée

Tout d'abord, merci pour votre intervention argumentée et intelligente. Je m'efforcerai d'y répondre le plus clairement possible.

1) Mes affirmations ne sont ni vagues ni générales: elles sont au contraire très précises. Je les ai formulées plus d'une fois, par exemple ici, notamment à propos de ce décalage entre la messe du prêtre et celle des fidèles qui caractérise le missel de 1962. J'attends toujours (en vain) que quelqu'un me démontre que cette coupure entre le Christ-Tête et son Corps mystique est conforme à la théologie traditionnelle...

2) Vous n'avez pas compris ma pensée. Qu'il ne soit ni possible, ni même souhaitable que les prêtres soient tous de savants liturgistes, je suis le premier à le reconnaître. Mais ce n'est pas de cela dont je parle. Le vrai problème est que le monde occidental, pétri de rationalisme, est devenu peu à peu incapable de comprendre que la spiritualité puisse être autrement que purement cérébrale. Dans une Eglise qui vit encore de la Tradition (comme c'est le cas de la plupart des Eglises orientales), le clergé n'est pas plus savant qu'en Occident, mais il est immergé dans cette mentalité traditionnelle qui seule permet véritablement de comprendre la puissance signifiante du rite (c'est à dire sa capacité, par la médiation du symbolisme sacré, à exprimer le Mystère), et d'en faire une solide nourriture pour la vie intérieure. Cette mentalité traditionnelle, qui est la véritable Tradition dans toute sa plénitude, et qui se transmet par immersion de génération en génération depuis le plus jeune âge, semble avoir disparu de l'Occident chrétien (ou du moins, de s'être grandement affaiblie) a une époque qu'il semble difficile à identifier, mais que je situe aux XVe-XVIe siècles, avec probablement des prémices dès le XIIIe siècle.

C'est en réaction à cette perte de l'esprit traditionnel, que l'Eglise entreprit une double réforme:
- d'une part, une codification extrême des rites de la Messe, afin de maintenir a minima leur forme extérieure, mais qui n'étaient plus portés par une compréhension intuitive;
- de l'autre, une volonté de compenser l'affaiblissement et "l'assèchement" de la liturgie par un enseignement parallèle de la foi, le catéchisme. Or, le catéchisme est une invention à l'origine... protestante, donc moderne! Auparavant, la foi catholique était transmise d'une manière vitale, intuitive, immersive, par le biais de la liturgie et du symbolisme qui la compose; désormais, cette «immersion» dans le Mystère est remplacée par un enseignement de plus en plus scolaire et rébarbatif, le catéchisme, qui s'adresse d'avantage aux facultés cérébrales qu'au coeur. (attention, je n'ai pas dit qu'il fallait supprimer le catéchisme, qui est devenu irremplaçable à l'époque actuelle).

Dès lors, la liturgie n'est plus comprise comme une réalité mystique mais comme une réalité juridique (ce que condamnera plus tard Pie XII dans Mediator Dei): on parle non pas de célébration, mais de "cérémonie". La liturgie des Heures subit la même évolution: l'office divin chanté de type cathédral, chanté par toute la communauté chrétienne au cours des premiers siècles, est peu à peu cantonné au clergé seul, puis se réduit au bréviaire, c'est à dire une récitation mentale, sèche et cérébrale de l'office, typique de la devotio moderna.
Tout cela débouche sur un catholicisme corseté, rigidifié, «bourgeois», fait de convenances purement formelles et très axé sur «la morale», qui prend le dessus sur la vie spirituelle (j'exagère un peu, il faut toujours nuancer et fort heureusement il y a eu malgré ces évolutions des saints et de notables exceptions à toutes les époques; je parle d'une tendance générale). Toutes ces évolutions ne sont que les symptômes d'une religiosité qui n'est plus illuminée de l'intérieur par le souffle de la vie mystique. Elles débouchent sur un système invivable qui finira par provoquer le rejet d'une génération entière à partir des années 1960; là est la véritable cause, la cause profonde de l'effondrement généralisé que nous constatons depuis cinquante ans. Dans cet effondrement, les idéologies progressistes et modernistes ont joué un rôle important mais secondaire dans cette «brusque libération de misérables libidines longtemps refoulées» (J. Maritain).

2) Au niveau théorique. Le développement d'une "théologie liturgique" depuis la fin du XIXe siècle (Dom Guéranger, S. Pie X, Pie XII, Sacrosanctum Concilium) n'a été que la prise de conscience par l'Eglise de cette situation de "dessèchement" de la liturgie latine. or cette théologie n'a été qu'une redécouverte de l'enseignement des Pères de l'Eglise et un approfondissement de ceux-ci dans une perspective parfaitement traditionnelle (au moins pour une partie du mouvement liturgique, celui officialisé par le Magistère; l'autre partie dégénérera rapidement en pastoralisme progressiste et débouchera sur le chaos actuel.) Le fait qu'il y ait eu une "inflation" de réflexion théologique sur la liturgie témoigne effectivement d'une perte du véritable esprit liturgique, ou plus exactement d'une réaction à cette perte. De même que c'est parce que la signification de la doctrine du Christ-Roi était oubliée que l'Eglise, par la voix de Pie XI, se senti obligé de rappeler et de développer cette doctrine; cela ne change rien au fait qu'elle était déjà présente implicitement dans le christianisme du premier millénaire, même si non formulée explicitement puisque, comme la liturgie, considérée comme une évidence.

Ce n'est pas moi, c'est le véritable christianisme qui est "panliturgique". Les Eglises d'Orient, elles qui sont restées très proches de l'enseignement des Pères, le savent bien (écouter ici). En Occident, ce savoir est demeuré dans le Magistère (la liturgie, «source et sommet» de la vie chrétienne, comme le rappelle Vatican II), mais il n'est plus vécu dans la vie concrète et quotidienne de l'Eglise. Il serait peut-être temps que cela change...
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