En essayant de m’analyser, j’ai éprouvé une fois de plus qu’en entrant dans la zone de bataille, on subit une sorte de transposition de vues et d’appréciations, qui vous fait regarder comme naturel (je ne dis pas « agréable ») de voir mourir et d’être exposé à mourir. On devient « monade de guerre », élément dépersonnalisé d’une activité supra-individuelle. On n’est plus le même qu’avant. Cette transposition ne se fait évidemment pas d’un seul coup. Petit à petit, par séries de petites angoisses subies ou dominées, l’état nouveau naît et s’établit. Quand on est de nouveau au repos, et que la mentalité première est revenue, il semble qu’on ait vécu dans un demi-rêve ; et c’est pour cela, en partie (sans parler de l’absorption de la pensée par l’action) qu’il est si difficile d’exprimer convenablement des souvenirs de guerre qui ne soient pas purement anecdotiques (Genèse d'une pensée)