CHAPITRE XV
Avis pour la conduite du saint zèle.
D'autant que le zèle est une ardeur et véhémence d'amour, il a besoin d'être sagement conduit, autrement il violerait les termes de la modestie et de la discrétion; non pas certes que le divin amour, pour véhément qu'il soit, puisse être excessif en soi-même, ni ès mouvements ou inclinations qu'il donne aux esprits; mais parce qu'il emploie à l'exécution de ses projets l'entendement, lui ordonnant de chercher les moyens de les faire réussir, et la hardiesse ou colère pour surmonter les difficultés qu'il rencontre.
Il advient très souvent que l'entendement propose et fait prendre des voies trop âpres et violentes, et que la colère ou audace étant une fois émue, et ne se pouvant contenir dans les limites de la raison, emporte le coeur dans le désordre, en sorte que le zèle est par ce moyen exercé indiscrètement et dérèglement; ce qui le rend mauvais et blâmable.
David envoya Joab avec son armée contre son déloyal et rebelle enfant Absalon, lequel il défendit sur toutes choses qu'on ne touchât point, ordonnant qu'en toutes occurrences on eût soin de le sauver. Mais Joab étant en besogne, échauffé à la polir suite de la victoire, tua lui-même de sa main le pauvre Absalon, sans avoir égard à tout ce que le roi lui avait dit.
Le zèle de même emploie la colère contre le mal, et lui ordonne toujours très expressément qu'en détruisant l'iniquité et le péché, elle sauve, s'il se peut, le pécheur et l'inique.
Mais elle, étant une fois en fougue comme un cheval fort en bouche et bigearre (bizarre, qui s'écarte de la voie, extravagant), elle se dérobe, emporte son homme hors de la lice, et ne pare (cède, s'arrête) jamais qu'au défaut d'haleine.
Ce bon père de famille que notre Seigneur décrit en l'Évangile, connut bien que les serviteurs ardents et violents sont coutumiers d'outre passer l'intention de leur maître, car les siens s'offrant à lui pour aller sarcler son champ, afin d'en arracher l'ivraie : Non, leur dit-il, je ne le veux pas, de peur que d'aventure avec l'ivraie vous ne tiriez aussi le froment.
Certes, Théotime, la colère est un serviteur qui étant puissant, courageux et grand entrepreneur, fait aussi d'abord beaucoup de besogne; mais il est si ardent, si remuant, si inconsidéré et impétueux, qu'il ne fait aucun bien que pour l'ordinaire il ne fasse quand et quand (en même temps) plusieurs maux.
Or, ce n'est pas bon ménage, disent nos gens des champs, de tenir des paons en la maison; car encore qu'ils chassent aux araignées et en défont le logis, ils gâtent toutefois tant les couverts (les constructions couvertes) et les toits, que leur utilité n'est pas comparable au dégât qu'ils font.
La colère est un secours donné de la nature à la raison, et employé par la grâce au service du zèle pour l'exécution de ses desseins, mais secours dangereux et peu désirable; car si elle vient forte, elle se rend maîtresse, renversant l'autorité de la raison, et les lois amoureuses du zèle.
Que si elle vient faible, elle ne fait rien que le seul zèle ne fit lui seul sans elle; et toujours elle tient en une juste crainte que se renforçant elle ne s'empare du coeur et du zèle, les soumettant à sa tyrannie, tout ainsi qu'un feu artificiel qui en un moment embrase un édifice, et ne sait-on comme l'éteindre.
C'est un acte de désespoir de mettre dans une place un secours étranger qui se peut rendre le plus fort.
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde