CHAPITRE XII
Histoire merveilleuse du trépas d'un gentilhomme qui mourut d'amour sur le mont d'Olivet (Mont des Oliviers)
Un fort illustre et vertueux chevalier alla donc un jour outre mer en Palestine, pour visiter les saints lieux esquels notre Seigneur avait fait les oeuvres de notre rédemption; et pour commencer dignement ce saint exercice, avant toutes choses, il se confessa et communia dévotement: puis alla en premier lieu en la ville de Nazareth où l'ange annonça à la Vierge très sainte la très sacrée incarnation, et où se fit la très adorable conception du Verbe éternel ; et là ce digne pèlerin se mit à contempler l'abîme de la bonté céleste qui avait daigné prendre chair humaine pour retirer l'homme de la perdition.
De là il passa en Bethléem au lieu de la nativité, où l'on ne saurait dire combien de larmes il répandit, contemplant celles desquelles le Fils de Dieu, petit enfant de la Vierge, avait arrosé ce saint étable (le masculin pour le féminin), baisant et rebaisant cent fois cette terre sacrée, et léchant la poussière sur laquelle la première enfance du divin poupon avait été reçue.
De Bethléem il alla en Bethabara (ville de la tribu de Benjamin où vint Josué), et passa jusqu'au petit lieu de Béthanie, où se ressouvenant que notre Seigneur s'était dévêtu peur être baptisé, il se dépouilla aussi lui-même, et entrant dans le Jourdain, se lavant et buvant des eaux d'icelui, il lui était advis d'y voir son Sauveur recevant le baptême par la main de son précurseur, et le Saint-Esprit descendant visiblement sur icelui sous la forme de colombe, avec les cieux encore ouverts, d'où, ce lui semblait, descendait la voix du Père éternel, disant: Celui-ci est mon Fils bien-aimé auquel je me complais.
De Béthanie il va dans le désert, et y voit, des yeux de son esprit, le Sauveur jeûnant, combattant et vainquant l'ennemi, puis les anges qui le servent de viandes admirables. De là il va sur la montagne de Thabor, où il voit le Sauveur transfiguré; puis en la montagne de Sion, où il voit, ce lui semble encore, notre Seigneur agenouillé dans le cénacle, lavant les pieds aux disciples, et leur distribuant par après son divin corps en la sacrée Eucharistie.
Il passe le torrent de Cédron, et va au jardin de Gethsémani, où son coeur se fond ès larmes d'une très aimable douleur, lorsqu'il s'y représente son cher Sauveur suer le sang en cette extrême agonie qu'il y souffrait, puis tôt après, lié, garrotté et mené en Jérusalem, où il s'achemine aussi, suivant partout les traces de son bien-aimé ; et le voit en imagination, tramé çà et là chez Anne, chez Caïphe, chez Pilate, chez Hérode, fouetté, baffoué, craché (couvert de crachats), couronné dépines, présenté au peuple, condamné à mort, chargé de sa croix, laquelle il porte, et la portant, fait la pitoyable rencontre de sa mère toute détrempée de douleur et des dames de Jérusalem pleurantes sur lui.
Il monte enfin ce dévot pèlerin sur le mont Calvaire, où il voit en esprit la croix étendue sur terre, et notre Seigneur que l'on renverse, que l'on cloue pieds et mains sur iodle très cruellement. Il contemple de suite comme on lève la croix et le crucifié en l'air, et le sang qui ruisselle de tous les endroits de son divin corps. Il regarde la pauvre sacrée Vierge toute transpercée du glaive de douleur :
puis il tourne les yeux sur le Sauveur crucifié, duquel il écoute les sept paroles avec un amour non pareil; et enfin le voit mourant, puis mort, puis recevant le coup de lance, et montrant par l'ouverture de la plaie son coeur divin ; puis ôté de la croix et porté au sépulcre, où il va le suivant jetant une mer de larmes sur les lieux détrempés du sang de son Rédempteur :
si qu'il entre dans le sépulcre, et ensevelit son coeur auprès du corps de son Maître ; puis ressuscitant avec lui, il va en Emmaüs, et voit tout ce qui se passe entre le Seigneur et les deux disciples; et enfin revenant sur le mont Olivet où se fit le mystère de l'Ascension, et en voyant les dernières marques et vestiges des pieds du divin Sauveur, prosterné sur icelles, et baisant mille et mille fois avec des soupirs d'un amour infini, il commença à retirer à soi toutes les forces ,de ses affections, comme un archer retire la corde de sou arc quand il veut décocher sa flèche; puis se relevant, les yeux et les mains tendus au ciel :
O Jésus, dit-il, mon doux Jésus, je ne sais plus où vous chercher et suivre en terre. Eh! Jésus, Jésus, mon amour, accordez donc à ce coeur qu'il vous suive et s'en aille après vous là-haut; et avec ces ardentes paroles, il lança quant et quant (pour quand et quand, avec, en même temps) son âme au ciel, comme une sacrée sagette, que comme divin archer il tira au blanc de son très heureux objet.
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde