CHAPITRE VI
Que nous devons reconnaître de Dieu tout l'amour que nous lui portons.
Le petit admirable poisson que l'on nomme échinéis, remore ou arrête-nef (écheneis, échène ou remora, petit poisson de mer auquel les anciens attribuaient le pouvoir d'arrêter les vaisseaux), a bien le pouvoir d'arrêter ou de ne point arrêter le navire cinglant en haute mer à pleines voiles; mais il n'a pas le pouvoir de le faire ni voguer, ni cingler ou surgir; il peut empêcher le mouvement, mais il ne le peut pas donner.
Notre franc arbitre peut arrêter et empêcher la course de l'inspiration, et quand le vent favorable de la grâce céleste enfle les voiles de notre esprit, il est en notre liberté de refuser notre consentement, et empêcher par ce moyen l'effet de la faveur du vent; mais quand notre esprit cingle et fait heureusement sa navigation, ce n'est pas nous qui faisons venir le vent de l'inspiration, ni qui en remplissons nos voiles, ni qui donnons le mouvement au navire de notre coeur; ains seulement nous recevons le vent qui vient du ciel, consentons à son mouvement, et laissons aller le navire sous le vent sans l'empêcher par le remore de notre résistance.
C'est donc l'inspiration qui imprime en notre franc arbitre l'heureuse et suave influence par laquelle non seulement elle lui fait voir la beauté du bien, mais elle l'échauffe, laide, le renforce et l'émeut si doucement, que par ce moyen il se plait et écoule librement au parti du bien.
Le ciel prépare les gouttes de la fraîche rosée au printemps, et les espluye (verse en pluie) sur la face de la mer, et les mères-perles qui ouvrent leurs écailles, reçoivent ces gouttes, lesquelles se convertissent en perles (voir plus loin).
Mais au contraire les mères perles qui tiennent leurs écailles fermées, n'empêchent pas que les gouttes ne tombent sur elles; elles empêchent néanmoins qu'elles ne tombent pas dans elles.
Or, le ciel a-t-il pas envoyé sa rosée et son influence sur l'une et l'autre mère perle? Pourquoi donc l'une a-t-elle par effet produit sa perle, et l'autre non?
Le ciel avait été libéral pour celle qui est demeurée stérile, autant qu'il était requis pour la rendre fertile, mais elle a empêché l'effet de son bénéfice, se tenant fermée et couverte.
Et quant à celle qui a conçu la perle, elle n'a rien en cela quel sac tienne du ciel, non pas même son ouverture par laquelle elle a reçu la rosée; car sans le ressentiment des rayons de l'aurore qui l'ont doucement excitée, elle ne fût pas venue en la surface de la mer, ni n'eût pas ouvert son écaille.
Théotime, si nous avons quelque amour envers Dieu, à lui en soit l'honneur et la gloire qui a tout fait en nous, et sans lequel rien n'a été fait; à nous eu soit l'utilité et l'obligation. Car c'est le partage de sa divine bonté avec nous, il nous laisse le fruit de ses bienfaits et s'en réserve l'honneur et la louange: et certes, puisque nous ne sommes tous rien que par sa grâce, nous ne devons rien être que pour sa gloire.
CHAPITRE VII
Qu'il faut éviter toute curiosité, et acquiescer humblement à la très sage providence de Dieu.
L'esprit humain est si faible, que quand il veut trop curieusement rechercher les causes et raisons de la volonté divine, il s'embarrasse et entortille dans des filets de mille difficultés, desquelles par après il ne se peut déprendre. Il ressemble à la fumée; car en montant il se subtilise, et en se subtilisant il se dissipe. A force de vouloir relever nos discours ès choses divines par curiosité, nous nous évanouissons en nos pensées; et au lieu de parvenir à la science de la vérité, nous tombons en la folie de notre vanité.
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde