Une catholique traditionaliste rachète une église pour y ramener les messes en latin

Éric Faucher - Le Nouvelliste - Source


Jeannine Forget devant sa nouvelle acquisition, l'église de Saint-Gérard-des-Laurentides. — © OLIVIER CROTEAU

À la fin du mois de juillet dernier, l’offre d’achat effectuée par la paroissienne Jeannine Forget pour acquérir l’église de Saint-Gérard-des-Laurentides a été officiellement acceptée par la paroisse Sainte-Marguerite-d’Youville. Alors que plusieurs bâtiments du même genre sont vendus dans la région pour laisser place à la construction de condominiums ou à des lieux culturels, l’édifice devrait garder sa vocation religieuse. Si les messes reprennent au courant de l’année, comme c’est prévu, ce sera toutefois au prix d’une alliance avec la frange la plus conservatrice du catholicisme.
En effet, Mme Forget appartient au courant traditionaliste de l’Église catholique qui rejette les réformes issues du concile Vatican II débuté en 1962 et visant l’ouverture de la religion au monde moderne. Celle-ci prévoit notamment une restauration du bâtiment pour lui redonner son allure du début des années 60 et espère être en mesure d’y offrir des messes selon le rite tridentin, c’est-à-dire avec un prêtre faisant dos à la foule et s’exprimant en latin.

C’est d’abord le but d’offrir des soins palliatifs à des prêtres et religieux en fin de vie qui a poussé Jeannine Forget à faire les démarches pour acheter l’église de Saint-Gérard-des-Laurentides. En 2020, la nouvelle propriétaire avait fait l’expérience d’accueillir chez elle un prêtre en fin de vie qui a rendu l’âme dans sa maison. «Finalement, il est resté quatre mois chez nous avant de mourir. Je me suis dit que je voulais continuer ça», indique-t-elle.

«Je cherchais un endroit à acheter pour avoir plus qu’une chambre, parce que chez nous, c’était possible seulement dans une chambre. Là est venue l’idée de l’église de Saint-Gérard parce que le presbytère est collé sur l’église, c’est un seul bâtiment au lieu d’être comme la plupart, deux bâtiments», poursuit-elle. «Les prêtres et les religieux ont fait don de leur vie à la communauté et je me suis dit que je voulais leur redonner.»

Rénover pour restaurer le lustre d’antan

Des travaux sont donc en cours afin de transformer le presbytère en maison de fin de vie. L’église, pour sa part, subit aussi quelques rénovations pour lui redonner un peu de son lustre. «On est en train de changer le plancher et on change ce qui s’appelait le sanctuaire de l’église. C’est le cœur de l’église, à l’avant, où il y a l’autel. On est en train de le remettre à l’ancienne, comme c’était avant le concile Vatican II», souligne Jeannine Forget.



Dans la foulée des réformes de l’Église catholique, un grand crucifix de 13 pieds de hauteur avait été retiré du bâtiment où il trônait originellement. «Mon idée, c’est de remettre le crucifix là où est-ce qu’il était. Pour les catholiques, le crucifix, c’est le fondement de notre religion, c’est l’explication», mentionne la nouvelle propriétaire.

Celle-ci entend maintenant s’atteler à la tâche de dénicher des prêtres pour célébrer la messe dite de «Saint Pie V», soit comme il était courant de le faire avant le concile Vatican II. «Oui, ça existe, alors on va les trouver. Je fais un appel pour trouver des prêtres pour venir célébrer la messe comme ça», ajoute-t-elle.

«Aujourd’hui, on voit malheureusement que les églises se vident avec les changements de Vatican II. On a perdu tous les enfants, on a perdu toute la jeunesse. C’est ce que j’ai remarqué en arrivant au Québec, je me suis dit: ‘’où sont les enfants? Il n’y en a pas.’’ J’allais à la messe avec mes enfants et on me disait ‘’bravo’'», affirme la mère de 12 enfants.

D’origine américaine, Mme Forget est installée dans la région depuis plusieurs décennies. Elle soutient que ces messes en latin ont facilité son intégration au pays puisqu’elle pouvait les comprendre. Pour financer son acquisition, cette dernière affirme n’avoir reçu aucune aide de la part de l’Église catholique. «C’est avec une hypothèque sur ma maison et des fonds personnels que j’ai acheté ça.»

Courant traditionaliste et intégriste

«À Shawinigan, il y a le Prieuré Saint-Pie X, où il y a des messes de Saint Pie V. Ils m’ont demandé d’être organiste pour eux. Et là, j’ai trouvé, j’ai grandi avec cette messe-là, je connais les chants en latin. Alors depuis que je suis arrivé au Québec, j’ai adopté cette paroisse-là», continue Mme Forget.

Il faut dire que l’établissement du secteur Shawingan-Sud est occupé par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), une société de prêtres traditionalistes considérée comme catholique intégriste, voire même comme une secte selon ses détracteurs. En rupture avec le Vatican depuis le milieu des années 1970, celle-ci gère actuellement sept établissements au Québec, dont l’école Sainte-Famille de Lévis qui accueille des élèves de 6 à 18 ans.


La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X occupe le Prieuré Saint-Pie X situé sur le rang Saint-Mathieu, dans le secteur Shawinigan-Sud. © PHOTO: FRANÇOIS GERVAIS

Fondée en 1970 par Marcel Lefebvre, la Fraternité dont le siège social se trouve en Suisse est également présente sur le vieux continent. Ses liens avec les milieux d’extrême droite ainsi que son rejet de l’homosexualité et de l’avortement ont fait l’objet de nombreux reportages, notamment par le média StreetPress. Dans son rapport d’activités 2016-2017, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), un organisme de l’État français, qualifie la FSSPX de «mouvance sectaire» et de «mouvement catholique intégriste».

C’est d’ailleurs dans un établissement qu’elle administrait que fut retrouvé le criminel de guerre Paul Touvier en 1989. Celui-ci fut reconnu coupable de crime contre l’humanité pour son rôle durant l’occupation nazie de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Au Québec, la Fraternité est également décriée par le blogueur Xavier Camus, spécialisé dans les mouvances d’extrême droite, pour sa participation à des activités organisées par des groupuscules comme la Fédération des Québécois de souche, Atalante Québec ou encore le Mouvement Tradition Québec.

L’abbé Yves Normandin, celui qui a vécu ses dernières journées au domicile de Jeannine Forget, était par ailleurs un membre actif de la Fraternité. Il s’est fait connaître en 1975 après avoir été démis de ses fonctions de curé de la paroisse Saint-Yvette à Montréal pour avoir refusé de célébrer la messe selon les préceptes du concile Vatican II. Celui-ci s’est acharné toute sa vie pour la préservation du rite tridentin. Dans son combat traditionaliste, il recevra le soutien du fondateur de la FSSPX en personne, Marcel Lefebvre, lors d’une visite au pays.

«Le Québec prie»

Si Mme Forget assure que le rachat de l’église de Saint-Gérard-des-Laurentides est le fruit d’une initiative personnelle, elle n’exclut pas les collaborations avec la FSSPX, notamment en leur louant la salle de cérémonie. «Je ne sais pas quels sont leurs désirs, mais si jamais je pouvais travailler avec eux, je suis ouverte à faire affaire avec eux s’ils ont des prêtres à m’envoyer», révèle-t-elle.

La nouvelle propriétaire prévoit un délai de six mois avant le début des célébrations religieuses au sein du bâtiment. Elle espère aussi pouvoir accueillir ses premiers patients en fin de vie au début de 2024. D’ici là, Jeannine Forget a déjà commencé les activités liturgiques, en plein air en s’associant à l’initiative Le Québec prie depuis janvier 2022.

À l’appel du lobby antiavortement Campagne Québec-Vie, des croyants se réunissent ainsi chaque mercredi pour réciter des chapelets à l’extérieur de lieux de culte. C’est notamment dans le cadre de l’opposition du groupe aux mesures sanitaires qu’est lancée l’initiative. «La prétendue pandémie COVID-19 fait partie du plan maçonnique du Nouvel ordre mondial et est utilisée comme instrument de la ‘’Grande Réinitialisation’'», peut-on notamment lire sur le site web de l’organisation.

L’appel lancé par Campagne Québec-Vie est sans équivoque : «Si nous en avons assez des mesures liberticides, des mensonges et des contradictions de ceux qui nous gouvernent, assez d’avoir peur de perdre nos emplois, d’être réduits à la dhimmitude (sic) non-vaccinale, de voir nos enfants masqués à l’école et même dehors, à la récré, si la colère, la frustration, voire le sentiment d’impuissance nous guette, n’y cédons surtout pas! Nous avons l’arme du chapelet, cette prière que celle qui est forte comme une armée en bataille a exaucée si souvent, et qu’elle exaucera encore!»

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