Quand Marianne balance...
"Anges et démons" : CNews se met à la défense contre les "forces du mal"
Par Louis Nadau - Marianne
En consacrant 45 minutes à la lutte contre « le démon » sans la moindre distance critique sur les Saintes Écritures, l'émission catholique En quête d’esprit a battu des records de bigoterie et de superstition à la télévision française ce dimanche 2 octobre.
Allô la Miviludes ? C’est pour un signalement… Depuis son lancement en mai 2020, l’émission de CNews En quête d’esprit donne dans le prosélytisme catholique décomplexé, tendance messe en latin et « un papa, une maman ». La chose avait été repérée et dûment analysée – grâce en soit rendue à nos confrères des Jours– comme l’un des effets de l’emprise sur la chaîne du très pieux Vincent Bolloré. Ce dimanche 2 octobre, un cap semble toutefois avoir été franchi dans la marche tranquille vers la bigoterie et la superstition. Dans cette émission mimant tous les codes de l’information sans en avoir aucune des qualités, on s’attaquait cette fois à un sujet d’une extrême gravité : « Anges et démons : le vrai combat ? »
Largement partagé sur les réseaux sociaux, le lancement du présentateur Aymeric Pourbaix, affidé de Bolloré à la tête de l’hebdomadaire France catholique, donne tout de suite le ton : pas question d’œcuménisme ou de réflexion sur le fait religieux façon Les Chemins de la foi. Ici, nous sommes chez les purs et durs, les vrais de vrais, les « Tratras » pur sucre. En un mot : les intégristes. Ceux qui croient à l’enfer et au paradis au premier degré. « C’est une réalité plus sournoise que tous les virus, plus dangereuse que toutes les épidémies, plus contagieuse aussi que toutes les infections, mais elle est rarement évoquée et encore moins prise au sérieux : cette réalité ce sont les forces du mal, sous toutes leurs manifestations », explique sans rire Aymeric Pourbaix. Les forces du mal ? Comme dans Harry Potter ? « Elles étendent leur pouvoir dans toutes les sphères de la société – l’actualité le montre amplement – pour nous conduire au désespoir », continue le prédicateur.
Heureusement, « nous avons un allié, l’archange Saint Michel, dont c’était la fête ce 29 septembre ». Voici pour le prétexte « d’actualité », auquel CNews est tenu par convention avec le CSA. La programmation de l’ancienne iTélé étant censée être « consacrée à l’information », l’émission En quête d’esprit traite en principe de « l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique ». En fait de « spirituel », il est surtout question de catholicisme. Notons l’astuce de CNews : partant du principe que les saintes écritures décrivent le réel, anges et démons peuvent bien faire partie de l’actualité, et seront traités sur le même ton que la guerre en Ukraine ou la réforme des retraites. Saint Michel, donc : « Ce grand pourfendeur du démon incarne la lutte du bien contre le mal, et la victoire du bien. Il n’y a donc pas lieu de s’affoler. Comment lutter contre le mal avec les armes de la foi ? C’est le thème de cette émission aujourd’hui », enchaîne Aymeric Pourbaix.
Qui dit chaîne d’info en continu dit forcément invités en plateau. Ceux réunis pour l’occasion présentent un pedigree éloquent : le père Gaultier de Chaillé, prêtre du diocèse de Versailles et auteur de Petite conversation sur le diable, Anne Bernet, auteure des Grandes heures de la chouannerie et d’Enquête sur les anges, et Véronique Jacquier, journaliste politique à CNews, auteur de Fillon, l’homme qui ne voulait pas être président. C’est au curé de répondre à la première question d’Aymeric Pourbaix : « Du point de vue de l’Eglise, on ne peut pas remettre en cause l’existence du diable ? C’est un fait de foi d’une certaine manière ? » « La pensée de l’Eglise a toujours parlé du diable. Le Christ en parle lui-même très clairement, il lutte contre le diable. C’est pour nous une évidence de foi et un fait de révélation de la Bible, qui fait que nous savons qu’il y a face à nous un adversaire, contre lequel il faut fourbir nos armes », répond Gaultier de Chaillé.
« PUISSANCES DES TÉNÈBRES »On aurait donc tort de voir le diable comme une figure avant tout symbolique ou une allégorie ? « L’époque contemporaine se veut être celle du désenchantement du monde, répond l’homme d’Eglise. On essaie de démythologiser en ayant l’impression que le diable serait une espèce de figure artificielle qui aurait été fabriquée pour expliquer la question du mal. Une espèce de personnification du mal. Certains membres du clergé, en effet, sont sceptiques, et ont peur d’une tendance à la réduction ad demonium, de toujours tout expliquer par le diable, ce qui est en effet un risque de l’ordre de la superstition. Donc il faut toujours être dans cet équilibre, et certains du clergé sont dans le déséquilibre en rejetant le diable un peu vite, alors qu’il faut réussir à le mettre à sa juste place, celle de l’adversaire vaincu. »
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Saint Michel soit lui aussi considéré comme un personnage historique. Interrogée sur l’emplacement de différents monastères consacrés à Saint Michel, Anne Bernet, apporte son « expertise » en matière d’archanges : « Ce sont des sanctuaires qui ont été élevés à une époque où le paganisme reste actif. Officiellement, l’Europe est christianisée, mais il y a un abîme entre la catholicisation officielle et les pratiques populaires. Or c’est justement contre le maintien de ces cultes démoniaques que l’archange va agir. Et il va agir en frappant là où ça fait mal, c’est-à-dire sur des hauts lieux qui sont consacrés de toute éternité à des dieux solaires, donc à des incarnations du malin. (…) Il faut absolument éradiquer cette présence du démon de ces hauts lieux, et Saint Michel se charge de venir faire lui-même le travail. C’est bien en cela qu’il étend cette protection puissante sur une Europe qui se veut catholique, donnée au Christ et non plus aux puissances des ténèbres. » Paul Veyne, auteur de
Quand notre monde est devenu chrétien, doit se retourner dans sa tombe…
Partageant le bon sens de son collègue Pascal Praud, Aymeric Pourbaix ramène tout ce petit monde à des réalités très concrètes : la protection de Saint-Michel, « est-ce que ça marche ? », demande l’empêcheur de tourner en rond. « Parce qu’on peut dire que c’est un peu comme la mauvaise herbe : ça repousse sans cesse, et on voit bien ressortir aujourd’hui certaines formes de paganisme, de sorcellerie même. On en a parlé récemment dans le monde du football. Est-ce que cette protection est efficace ? » S’il le souhaite, nous avons quelques idées de tests à soumettre à Aymeric Pourbaix. Rappelons tout de même les termes de l’article 2-3-8 de la convention liant le CSA et CNews : « L’éditeur vérifie le bien-fondé et les sources de l’information. Dans la mesure du possible, son origine doit être indiquée. L’information incertaine est présentée au conditionnel. » Dieu, ça compte comme source ?
« COMBAT CONTRE LE MAL : QUI EST L’ANTÉCHRIST ? »Après une dissertation théologique d’Anne Bernet sur la « guerre civile au paradis » et la faute consistant à accorder une « confiance absolue dans l’autorité constituée au lieu de se tourner vers Dieu » – vous avez dit « séparatisme » ? – l’émission s’intéresse à une question plus pratique : « Combat contre le mal : qui est l’antéchrist ? » On se pince en écoutant la même Anne Bernet expliquer être « frappée de voir des gens qu’on pourrait considérer comme parfaitement sains d’esprit, qui ont des professions… les pieds sur Terre, qui sont médecins, qui sont notaires, pas des illuminés, des gens parfaitement intégrés dans la société qui, au lieu de prendre l’évangile, boivent comme du petit lait des prophéties plus ou moins délirantes, plus ou moins fiables, plus ou moins récentes, qui circulent sur les réseaux sociaux, et finissent par entretenir une peur panique ». C’est vrai ça : Saint Michel combattant un dragon, c’est quand même plus « fiable » que les études du Giec !
Vous reprendrez bien une lampée d’obscurantisme avec votre mysticisme ? C’est le père Gaultier de Chaillé qui régale, en affirmant : « C’est toujours comme ça dans l’histoire : tous les siècles scientifiques, de fierté, génèrent de la magie et de la superstition. C’était la même chose à la Renaissance, c’était la même chose à l’Antiquité. » Une petite rasade de conservatisme pour digérer ? « Dieu veut que nous soyons lucides, réalistes, et que nous soyons à notre place, assène le prêtre. C’est précisément la meilleure manière de lutter contre le diable : être à sa juste place, d’expérimenter la liberté dans l’humilité » A la santé de l’ordre établi !
Voici le spectateur paré pour le clou du spectacle : un tuto exorcisme par le père Jean-Pascal Duloisy, directeur de l’accueil Saint Michel, une institution censée traiter les cas de possédés. Avec lui, l’exorcisme revient à « pile je gagne, face tu perds ». « Si ça marche, c’est : ‘Va et ne pèche plus !’, explique-t-il. Et si ça ne marche pas, on se remet en cause : est-ce que c’était un démon ? Est-ce qu’on n’avait pas affaire à des troubles naturels de l’ordre psychique ? Si c’est de l’ordre démoniaque, il faut le rituel de l’exorcisme, et là on s’adresse directement au démon. »
Il y a même des statistiques : « L’accueil Saint Michel, il faut préciser que 90 % des appels concernent des gens qui sont psychologiquement perturbés, mais 10 % concernent effectivement des personnes malheureusement possédées », assure Véronique Jacquier en plateau. Et d’ajouter : « Est-ce que la porte d’entrée, c’est justement le relativisme au mal ? On vit dans un monde où le péché n’existe plus, et donc on ne sait même plus que des cas de possession font partie du quotidien ? » Conclusion d’Anne Bernet : « Il y a beaucoup de raisons. Peut-être aussi le fait que de moins en moins de gens soient baptisés. » C’est sûrement ça, oui…
L'émission en question