CHAPITRE XVIII
De l'oraison de la très sainte Vierge
Le diable qui sait ces choses, n'oublie rien pour en divertir les âmes, et quelquefois il tâche de les surprendre sous de beaux prétextes d'humilité, leur faisant croire quelles sont indignes de converser avec Dieu : « Quelle superbe humilité, dit sainte Thérèse au chap. 19 de sa Vie, le diable me suggérait-il, de me faire quitter mon appui ? À présent je suis tellement surprise, que j'en fais des signes de croix, et il ne me semble pas avoir échappé de plus grand péril. » Elle dit que le diable lui représentait qu'il suffisait de prier vocalement, et que même ne s'acquittant pas bien de cette prière, qu'elle n'en devait pas faire une autre plus excellente.
« Que ceux, dit la sainte, qui s'adonnent à l'oraison, prennent bien garde à ceci. » Elle assure qu'en quittant l'oraison, elle n'avait que faire des diables pour la traîner en enfer, qu'elle s'y en allait d'elle-même. Elle exhorte de tenir bon, quoiqu'on soit faible et imparfait, et qu'elle ne laissait pas de commettre des imperfections, Dieu lui ayant donné l'oraison d'union. « Le diable, dit encore cette sainte, sait bien ce qu'il fait, tâchant d'empêcher ce saint exercice. Le traître voit bien qu'une âme qui persévère dans l'oraison, est perdue pour lui, et que les chutes où il l'engage, lui aident par après à faire de grands progrès »
Elle enseigne au chapitre 13 de sa Vie, aux âmes à être courageuses, pourvu qu'elles ne se confient pas en elles-mêmes ; et déclare qu'elle n'en a vu aucune de la sorte demeurer en chemin, ni faire grand profit à celles qui sont timides, quoique d'autre part elles soient humbles. Elle se ressouvenait de saint Paul, qui dit que tout est possible avec Dieu (Philip. IV, 13), et que sait Pierre n'avait rien perdu pour s'être jeté en la mer.
Elle avertit qu'il faut prendre garde que le directeur n'enseigne l'âme à être comme le crapaud rampant toujours, que le diable pourrait causer un grand mal par là, leur faisant entendre que ce n'est pas à faire aux pécheurs de vouloir être saints. Au chapitre 7 de sa même Vie, elle fait voir que la plus horrible tromperie dont le diable s'est servi en son endroit a été de lui faire quitter l'oraison : il me semblait, dit-elle, que c'était le meilleur de faire comme la plupart du monde fait, et suivant cela, de dire vocalement des prières.
L'esclave de la reine du ciel doit éviter ces pièges, s'adonnant à l'oraison mentale avec fidélité, et ne la quittant jamais sous quelque prétexte que ce puisse être. Elle est bonne pour tous, et tous la doivent faire. « Je ne vois pas, dit notre sainte au chapitre 8 de sa Vie, comme quoi tout le monde ne doive faire l'oraison mentale. Les méchants la doivent faire afin que Dieu les fasse bons. Il est juste qu'ils souffrent d'être en la compagnie de Dieu au moins deux heures par jour, encore qu'ils ne soient avec Dieu, mais avec les pensées du monde ; mais parce qu'ils se forcent d'être en si bonne compagnie, Dieu empêche les malins esprits d'agir contre eux, et tous les jours diminue leurs forces. »
C'est donc une grande tromperie de penser que cet exercice ne soit propre qu'aux personnes retirées ou religieuses. Celles qui sont les plus engagées dans le monde, et dans les affaires en ont plus de besoin, et la doivent pratiquer avec plus de soin. Notre siècle nous en donne un exemple bien remarquable en la personne de la sérénissime infante Isabelle-Claire-Eugénie, qui, au milieu d'une multitude de grandes et importantes occupations que le gouvernement de ses États lui donnait, ne passait jamais aucun jour sans donner à l'oraison mentale un temps très considérable.
Elle différait bien ou omettait ses autres exercices de dévotion selon les affaires pressantes qui lui arrivaient ; mais pour rien du monde elle ne laissait l'oraison, car elle était persuadée que c'était l'affaire de toutes les affaires la plus pressée, et sans laquelle toutes les autres affaires, quelque soin qu'on y apportât, étaient sans bénédiction.
Quelques occupations que l'on puisse avoir, l'on trouve toujours du temps pour satisfaire aux nécessités du corps, pour manger, pour boire et pour dormir. Pourquoi n'en aurait-on pas pour les besoins de l'âme, pour lui donner sa nourriture spirituelle. Cette grande princesse dont la mémoire doit être dans une vénération particulière parmi tous les véritables esclaves de Notre-Dame, ayant beaucoup contribué à l'établissement de cette dévotion en plusieurs provinces et s'étant mise elle même au nombre de ces glorieux esclaves, prenait une partie de la nuit pour cet exercice angélique, et dérobait à son corps une partie même du sommeil nécessaire pour pouvoir y vaquer avec plus de loisir.
Elle faisait tous les jours, à deux heures et demie après minuit, une heure d'oraison mentale. Elle en faisait encore une heure le matin, et une heure quelque temps après le dîner. De plus, elle entendait tous les jours deux messes, et employait encore bien du temps à la prière vocale. Aussitôt qu'elle était levée, elle se prosternait devant la Mère de Dieu, ce qu'elle faisait encore tous les soirs, protestant en présence des anges et des saints qu'elle était l'esclave de leur auguste reine ; mais c'était avec des sentiments si tendres et si dévots, qu'ils étaient capables de toucher les coeurs les plus insensibles à la piété.
Elle ne pouvait se lasser de déclarer le bonheur qu'elle avait de vivre dans l'esclavage de la souveraine du paradis, et elle faisait plus d'état de ses chaînes que de toutes les couronnes de l'univers. Elle ne dormait que trois heures et demie la nuit, et une demi-heure après le repas.
Source : livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde