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Deux historiens dénoncent les « clichés désuets » et « tendancieux » du Rocher Mistral
par Bernard Joustrate 2022-09-28 15:44:58
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La Provence revisitée : deux historiens dénoncent les « clichés désuets » et « tendancieux » du Rocher Mistral

TRIBUNE parue sur L'OBS

Xavier Daumalin, Jean-Marie Guillon
Historiens universitaires

TRIBUNE. Il y a quelques semaines, un appel paru dans le « Journal du Dimanche » exigeait d’en finir avec les « sirènes de la déconstruction ». Les historiens Xavier Daumalin et Jean-Marie Guillon dénoncent la promotion d’une « Provence blanche, catholique et aristocratique » par l’un des instigateurs de ce texte, Vianney d’Alançon, créateur du « Rocher Mistral ».

C’était le 3 septembre, dans une tribune publiée par le « Journal du Dimanche » et signée par un panel significatif de traditionalistes, pour ne pas dire de réactionnaires. Vertueusement intitulée « la culture n’est pas en option », le texte interpellait directement le président de la République et appelait à résister aux « sirènes de la déconstruction, de la censure et de toutes les idéologies qui veulent rompre le lien entre les générations et cherchent à faire table rase du passé ». L’auteur du texte, Vianney d’Alançon, est un jeune chef d’entreprise connu des puissants mais encore inconnu du grand public. Main sur le cœur, il interrogeait le lecteur : « Pourquoi gâter le plaisir d’un film avec Jean Dujardin ou d’une exposition au Mucem de Marseille par des considérations politiques ou érudites qui dénonceraient sans relâche la violence symbolique exercée par certaine élite ou la (supposée) misogynie que nous aurions hérité de l’Europe médiévale ? » Puis, plus loin, insistait encore : « Qui se soucie de l’“impensé social de l’époque” quand il visite une bastide ou les tenants et aboutissants de “la lutte des classes” quand il assiste à une pièce de Molière ? ».

Ce texte n’est pas un coup d’essai pour Vianney d’Alançon, dont les propos sont régulièrement relayés par « Valeurs actuelles », « Le Figaro » ou « BFM » où il a table ouverte. Sa prose permet de mieux comprendre la méthode et les objectifs du parc à thème qu’il dirige, installé dans ce qui était autrefois un des plus beaux châteaux de Provence, dans le petit village de La Barben, près de Salon-de-Provence. Le « Rocher Mistral », c’est son nom, promeut l’histoire de la « Provence éternelle » par voie d’affichage partout dans la région, et provoque depuis son ouverture, il y a deux ans, des polémiques incessantes parmi les riverains et les défenseurs de l’environnement, du patrimoine et de l’histoire.

Obsession du déclin

La méthode d’Alançon est simple. Pour attirer les personnes peu familières des sous-entendus politiques de ces débats, l’auteur avance masqué. Il commence par mettre en avant des banalités et des références consensuelles. N’importe qui pourrait les reprendre à son compte. Mais dans ce texte fait de bric et de broc, le nationalisme idéologique et l’extrême conservatisme qui l’alimentent transpirent tout au long avec cette obsession du déclin, de la disparition de la France, de la peur de la diversité, de l’enfermement de l’histoire dans un sarcophage soi-disant « national » qui coupe tout lien avec le monde, sans parler du culte du passé dans lequel il faut « communier », mais qui en aucun cas n’est donné comme matière à « dépaysement » et à réflexion. Il s’agit de « continuer la France », une France fantasmée et réduite à des clichés désuets érigés en vérité absolue. C’est ainsi que le Rocher Mistral concentre l’essentiel de ses spectacles sur la période prérévolutionnaire pour magnifier une Provence blanche, catholique et aristocratique. Selon le Rocher Mistral, les moines ont apporté l’écriture et les mathématiques aux paysans provençaux, la noblesse est héroïque et le peuple braillard et violent. Ces représentations surannées, truffées d’interprétations tendancieuses et d’erreurs – Claude de Forbin, héros d’un des spectacles destinés à rappeler l’histoire des lieux, n’a jamais possédé ni vécu à La Barben – sont une bien curieuse façon de « témoigner que nous sommes une Nation bien vivante » pour reprendre les mots de Vianney d’Alançon !

Dans son texte, l’anti-intellectualisme affleure partout. L’association du « militantisme » et de la « recherche » est significative, les deux renvoyant à « déconstruction », c’est-à-dire à la dissolution d’une France éternelle, a-historique, ce qui est aussi l’un des fondements de l’idéologie nationaliste. Une absente, c’est la République – on s’en serait douté. Or, si identité française il y a, c’est bien dans le couple Nation/République, qui est la base du patriotisme, particulièrement en Provence où des générations de républicains se sont référées à l’insurrection de 1851 contre le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, y compris pendant la Résistance. Ce n’est évidemment pas à cette identité-là que les initiateurs du texte se réfèrent et mettent en valeur dans leurs spectacles.

Un combat politique

De façon assez manichéenne, il existe aux yeux de d’Alançon deux cultures : la mauvaise d’abord, celle des universitaires, qui propose un regard réflexif sur le passé (ce qu’il appelle « rendre suspect le passé » ou le « déconstruire »). Cette culture est accusée d’être élitiste, de rompre le lien entre les générations, de faire table rase du passé, de diviser les Français, d’être antinationale, de saboter l’avenir de la France et d’orchestrer son déclin. Considérée comme toxique, elle doit être cantonnée aux « doctes colloques », selon le texte publié par le « JDD ». Face à elle, il y a la « culture » prônée par les pétitionnaires, la bonne culture, la culture positive, nationale, unificatrice, qui ne cherche pas à promouvoir « une éducation à la diversité », ni à questionner le passé, mais plutôt à communier, par le biais du divertissement, dans une représentation romancée propre à susciter un enthousiasme digne « des matchs de l’OM », comme lorsque des collégiens « des quartiers Nord », debouts sur les tribunes, scandent « Robert, Robert… » à l’issue du spectacle crée autour de Robert de Pontevès, obscur seigneur parti à la croisade dont l’histoire reste à faire. Les quartiers Nord applaudissant à la croisade… Nous y voilà !

Comme les pétitionnaires l’écrivent eux-mêmes, « l’enjeu n’est pas tant économique que social et politique ». Le voile se lève donc enfin : nous sommes bel et bien dans un combat politique. Conscient de la force de l’histoire et de son attrait auprès du public, Vianney d’Alançon s’en empare, la déforme et s’en sert pour asseoir la diffusion de son idéologie auprès des touristes et des scolaires. Le même discours de délégitimation de l’expertise universitaire se retrouve dans certains courants de l’extrême gauche. Tous se rejoignent pour revendiquer de produire une histoire sans historiens. Tous veulent faire de l’histoire sans en avoir la culture, la formation, ni l’éthique. Tous cherchent à l’imposer dans l’espace public en remplacement de celle que les universitaires établissent à la suite d’un long et méticuleux travail contradictoire de critiques, d’analyse et de croisement des sources. Ce n’est qu’au prix de l’éradication ou de la marginalisation de la recherche savante qu’ils parviendront à imposer le récit historique qui sera en mesure de servir et légitimer leurs objectifs politiques. Cette offensive est grave. Elle met en péril la cohésion de la nation et l’idée même de la République. Quoi de plus destructeur du lien national qu’un récit historique tronqué, manichéen, qui ne permette pas à tous les citoyens et citoyennes d’un pays de s’y reconnaître et d’y adhérer ?

Par Xavier Daumalin, Jean-Marie Guillon
Historiens universitaires

     

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