pièce intéressante à verser au dossier :
Poutine : préserver l'âme russe jusqu'à la folie
L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a surpris de nombreux observateurs qui excluaient un tel scénario faisant ressurgir le spectre de la guerre en Europe. Depuis, la plupart des media et des politiques, versent dans une grossière propagande anti-russe et ne veulent voir dans cet événement que la paranoïa d’un dictateur sanguinaire. Sans minimiser la responsabilité de Moscou dans cette crise très grave, ni l’erreur magistrale d’appréciation du président Poutine, des analystes plus sérieux mettent aussi en cause la politique inconséquente des Américains et des Européens qui n’ont pas tenu la promesse qu’ils avaient faite, après la chute du mur de Berlin, de ne pas étendre l’OTAN au-delà des frontières de l’Allemagne réunifiée. Le déploiement de forces otaniennes sur le territoire des ex-républiques du Pacte de Varsovie est perçu par le Kremlin comme une provocation et une menace. En refusant tout dialogue constructif sur la sécurité en Europe et en ignorant les légitimes préoccupations de la Russie dans ce domaine, les Occidentaux ont donné l’impression de considérer ce grand pays comme un ennemi. Vladimir Poutine en a éprouvé un profond ressentiment qui n’a cessé de croître avec les années et s’est exacerbé avec la guerre menée par l’OTAN contre la province serbe du Kosovo. Dans ce contexte, la volonté d’adhésion à l’OTAN et à l’Union Européenne, affichée par le président ukrainien Zelinsky contribue à envenimer la situation. Tout cela a été parfaitement analysé par certains esprits libres qui ne se laissent pas influencer par l’émotion et qui conduisent leur réflexion en tenant compte de l’histoire.
Un conflit de civilisation
Au-delà des considérations purement militaires et territoriales qui prévalent, il y a un aspect du conflit, le plus souvent occulté, qui est sa dimension civilisationnelle. Le président russe méprise profondément l’Occident qu’il considère comme décadent. Il défend l’identité de la Russie forgée par l’orthodoxie en opposition totale aux « valeurs » occidentales, matérialistes et individualistes. Il reprend à son compte les reproches que Soljenitsyne adressait en 1978 à l’Occident devant les étudiants de Harvard : « Non, je ne peux pas recommander votre société comme idéal pour la transformation de la nôtre. (…) Nous avions placé trop d’espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu’on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. (…) Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? » Vladimir Poutine est véritablement obsédé par la question culturelle. Dans la nouvelle constitution promulguée le 1er juillet 2020 dont on n’a retenu que la possibilité donnée au président de se maintenir au pouvoir, figure, en bonne place, la défense des valeurs traditionnelles de la société russe dont celles de la famille et du patriotisme considérées comme les ciments de la cohésion nationale. Poutine s’appuie aussi sur l’église orthodoxe qu’il n’hésite pas à instrumentaliser pour défendre sa politique. L’institution du mariage est clairement définie comme l’union d’un homme et d’une femme et toute propagande en faveur de l’homosexualité est interdite. Le président russe est préoccupé par le déclin démographique de son pays. « La démographie, dit-il, est une question vitale (…) Soit nous continuerons à exister, soit nous disparaîtrons ». C’est la raison pour laquelle, il a mis en place une politique nataliste très volontariste en allouant une prime de 7.500 euros au deuxième enfant et en interdisant toute publicité sur l’avortement.
Ce retour aux valeurs traditionnelles de la Russie constitue la principale raison de la russophobie de l’Occident. L’opinion publique russe semble, en revanche, approuver largement le président Poutine dans sa défense de l’âme russe et son rejet du modèle occidental. La nouvelle constitution a été approuvée à près de 80% mais elle constituait un véritable fourre-tout qu’il fallait accepter ou rejeter en bloc. Il faut donc relativiser ce résultat flatteur qui cache une réalité plus complexe et plus fragile. Poutine ne l’ignore pas. Il existe en Russie de nombreux foyers de contestation. La revue « Diplomatie » dans le numéro de juillet-août 2020 consacré à la Russie rapporte un certain nombre de faits qui vont dans ce sens. Ainsi par exemple, en 2019, 7000 manifestants se sont opposés à Ekaterinbourg, la quatrième ville de Russie, à la construction d’une cathédrale dans le parc de la ville. Un politologue local observe que : « Cette contestation est révélatrice d’une fracture. D’un côté, le pouvoir ne comprend pas que les protestataires agissent de leur plein gré et s’organisent sur Internet. De l’autre, la société estime que, faute de processus démocratique, son seul moyen d’influer est la protestation. » Le pouvoir est très attentif aux mouvements contestataires qui touchent plus particulièrement la jeunesse puisant ses informations sur les réseaux sociaux et non plus en regardant et écoutant la télévision officielle.
Le mystère Poutine
On comprend alors le danger que représente un rapprochement entre l’Ukraine et l’Europe. Les Ukrainiens qui peuplent la partie occidentale du pays rêvent d’intégrer l’Union européenne et d’en adopter les mœurs. Si ce pays qui fait la démonstration de son courage et de son esprit de résistance reste majoritairement conservateur, il n’en demeure pas moins qu’il est particulièrement vulnérable aux discours et aux évolutions « progressistes » que le président Poutine combat de toutes ses forces. Ce n’est pas un hasard si le mouvement extrémiste des « femen » est né en Ukraine. Poutine et le modèle russe constituent pour ce groupe de féministes hystériques le repoussoir absolu qui exalte les valeurs viriles et patriarcales. L’idéologie LGBT gagne du terrain, encouragée par des donateurs étrangers. En 2019, 8000 personnes ont participé à Kiev à une « gay pride » autorisée par le gouvernement malgré l’opposition des églises orthodoxe et gréco-catholique. En 2021, d’autres manifestations de ce genre ont eu lieu dans d’autres villes du pays dont Kharkov et Odessa. Lors du concours de l’Eurovision, l’Ukraine s’est signalée par la célébration de la « diversité ». Sous la pression de l’Union européenne, un amendement a été voté au parlement en faveur des homosexuels et contre leur discrimination au travail. L’Ukraine est aussi le pays le plus laxiste au monde en matière de tourisme médical et constitue un véritable eldorado pour les couples en mal d’enfants. La GPA y représente un véritable « business ». En Russie la GPA est autorisée dans une optique nataliste et interdite aux couples homosexuels. Enfin les révolutions « Orange » en 2004 et du « Maïdan » en 2014 ont démontré, par ailleurs, que les États-Unis, l’Union Européenne et un certain nombre d’organisations internationales œuvraient en Ukraine pour y limiter l’influence russe.
L’agression de l’Ukraine est moralement condamnable et fait de la Russie un paria sur la scène internationale. La personnalité du président Poutine est déroutante. Elle ne s’accorde guère avec les critères de respectabilité qui sont les nôtres. C’est un personnage complexe qu'il ne faut pas réduire à ses origines d'agent du KGB. Anatoly Sobtchak, l’ancien maire de Saint Pétersbourg qui a découvert Poutine disait de lui : « Il n'est pas l'archétype du tchékiste, c'est un personnage à part, rien à voir avec la caricature de l'espion du KGB. » L’ancien diplomate russe et écrivain, Vladimir Fédorovski, parle des « cinq masques de Poutine ». Celui du monstre froid qui nous terrorise en brandissant la menace nucléaire en est un. La question est de savoir qui se cache derrière ces masques. Certainement un homme qui est persuadé d'être l'instrument de la Providence pour rendre sa grandeur à la Russie. Il assume sans état d’âme, le passé soviétique et celui de l’empire. Il s’imagine volontiers comme un nouveau tsar, un tsar fort et solitaire devant lequel tous s’inclinent. C'est aussi un slave oriental, c'est-à-dire, pour nous, un mystère. L’Union européenne aurait cependant tout intérêt à ne pas rompre le contact avec lui et à prendre ses distances avec la ligne américaine qui jette la Russie dans les bras de la Chine au moment où nous sommes confrontés à des dangers mortels dont l’alliance russe pourrait nous délivrer. Il est à craindre que les événements récents et la dramatique escalade qui pourrait en résulter rendent ce rapprochement irréalisable pour très longtemps. L’histoire est pourtant là pour nous rappeler que la Russie fait partie de l’Europe. N’avons-nous rien retenu d’elle ?
Général (2S) Marc Paitier
source : Renaissance catholique
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NDXA : (2S) : Indication pour un officier général qui a quitté le service actif (1re section des officiers généraux) et a été placé à sa demande ou par limite d’âge dans la 2e section des officiers généraux.