Jean-Paul Vesco : « L’Église catholique d’Algérie vit dans une communion d’amour fraternel avec tous les hommes »
[Archive] Le pape François a nommé en cette fin décembre 2021, Mgr Jean-Paul Vesco archevêque d’Alger. Ancien avocat, dominicain, celui qui fut prieur provincial des dominicains de France est un très bon connaisseur de l’Algérie. Il était depuis décembre 2012 évêque d’Oran.
Charles Wright
Publié le 21/01/2013 à 18h00 I Mis à jour le 27/12/2021 à 15h21
C’était en 2002. Je venais d’arriver en Algérie, encore habité par les deux années passées à Jérusalem pour étudier les Écritures. Les premiers jours à Alger, dans l’appartement un peu délabré des dominicains, ont été éprouvants. Au point, un matin, de me dire : « Je me suis peut-être trompé, ce n’est pas ma voie. »
Ce jour-là, saisi par un méchant doute, je ne voyais pas comment j’allais pouvoir sortir de mon lit. C’est alors que j’ai saisi un livre de sœur Emmanuelle qui traînait sur une étagère à portée de main. Sur la quatrième de couverture, une phrase a retenu mon attention : « Il est des missions impossibles qui contre toute attente réussissent. » Mystérieusement, ces mots m’ont remis instantanément sur pied et j’ai alors tout aimé de l’Algérie. La journée a été belle et toutes les autres journées ont été à l’avenant.
Syndicalisme étudiant et l’engagement politique
J’ai grandi à Lyon dans une famille de trois garçons. Ma mère, infirmière, et mon père, assureur, ont veillé à nous transmettre une éducation catholique. J’ai passé ma scolarité chez les maristes, où je me suis construit intellectuellement et spirituellement. Même si la foi n’était pas centrale à la maison, à l’adolescence, toutes les bases étaient posées pour qu’un jour une rencontre personnelle puisse se produire.
Mon adolescence, justement, a été traversée par une profonde quête d’idéal, qui a pris plusieurs formes : ma passion pour la montagne, le syndicalisme étudiant et l’engagement politique. Mais cette soif d’absolu, c’est surtout à travers ma vocation d’avocat que je voulais l’assouvir. J’avais 13 ans la première fois que j’ai pénétré dans l’enceinte d’une cour d’assise. Saisi par son atmosphère, je me suis mis à hanter les tribunaux.
À cette époque, mon héros était Robert Badinter, dont je partageais le combat pour l’abolition de la peine de mort. Je le revois encore au procès de Patrick Henry descendre les marches du palais de justice, avec tout le poids de l’opprobre sur ses épaules. Moi aussi, je voulais vivre cela, être cela.
« Le « oui » adressé ce jour-là au Seigneur était le fruit d’un long cheminement »
Mes études achevées, j’ai rejoint un cabinet d’affaires à Lyon, dont j’ai contribué à ouvrir un bureau secondaire à Paris, où j’ai finalement décidé de fonder le mien. Malice de la providence, c’est au 223, rue du Faubourg-Saint-Honoré que je l’ai installé, ignorant qu’en face, au 222, les dominicains, dans leur couvent, cherchaient ce Dieu que je tenais alors à la périphérie de ma vie.
À cette époque, tout semblait me réussir ; intérieurement, pourtant, j’étais miné par la vive conscience d’un manque, l’angoisse de ne pas être à ma place et le vertige de ne pas savoir où pouvait être ma vie. Un ami trappiste à qui je confiais ce mal-être au cours d’une retraite à Soligny m’a parlé de la vie consacrée. C’était en 1990. Je me souviens lui avoir répondu que c’était impossible, que je traçais un autre sillon, celui d’un chrétien engagé dans le monde…
Quatre ans plus tard, pour le 15 août et avec le pressentiment d’une heure décisive, je suis parti à Lisieux rejoindre cet ami trappiste qui y passait quelques jours. À la basilique était célébrée la messe d’ordination d’un prêtre. C’est là que, de façon très soudaine, j’ai ressenti l’évidence d’un appel à la prêtrise ; une évidence absolue : le bonheur que je cherchais était là, dans la vie consacrée.
Je revois encore le petit sourire de ce moine quand, à la sortie de l’office, je lui ai raconté cette illumination, empli à la fois d’une grande paix et d’une fièvre qui me faisait trembler les jambes. Avec le recul, je réalise que le « oui » adressé ce jour-là au Seigneur était le fruit d’un long cheminement, émaillé de nombreux épisodes qui sont remontés ensuite les uns après les autres à ma conscience. Depuis l’enfance, Il était là et je ne le savais pas.
L’Algérie, une vocation dans la vocation
Je me souviens de ma première nuit au noviciat dominicain, à l’issue d’une année consacrée à rompre les amarres avec ma vie d’avant. Ce soir-là, j’ignorais à quoi allait désormais ressembler mon existence ; pourtant, dans mon lit, j’avais vraiment le sentiment d’être exactement à ma place. En 33 ans, c’était la première fois que je ressentais à ce point cette adéquation !
En 2002, un appel du provincial et des rencontres providentielles m’ont conduit en Algérie, sur cette terre dont je suis tombé amoureux. L’Église catholique d’Algérie aussi m’a pris aux tripes : ces prêtres, religieux et religieuses, purifiés par le feu de la « décennie noire », vivaient dans la simplicité l’idéal qui m’avait attiré dans la figure de Charles de Foucauld, celui de vivre, au nom du Christ, une communion d’amour fraternel avec tous les hommes. Vraiment, au fil du temps, l’Algérie m’est apparue comme une vocation dans la vocation ; et c’est dans les larmes que je l’ai quittée en 2008, appelé par mes frères à la tête de la Province de France.
Pendant deux ans, cette charge de prieur provincial m’a passionné et j’y ai donné tout ce qu’il m’était possible de donner, entrant au moins un peu dans chacune des vies de mes frères. Et de nouveau, il m’est demandé de partir avant d’avoir achevé mon mandat. Ce n’est pas si facile car on ne change pas de vie comme de chemise. C’est un nouveau déplacement auquel, en vertu de notre vœu d’obéissance, il ne m’a pas semblé possible de me soustraire en dépit des conséquences lourdes qu’il entraîne, notamment pour mes frères. Au fond, n’est-ce pas un peu cela l’abandon, dont Charles de Foucauld a fait une prière ?
Les étapes de sa vie
1962 Naissance à Lyon.
1985-1987 Maîtrise en droit des affaires à Lyon, MBA à HEC.
1989-1995 Avocat à Lyon et Paris.
1995 Entrée dans l’Ordre dominicain.
2001 Ordonné prêtre.
2002-2010 Participe à la relance d’une présence dominicaine en Algérie. À partir de 2005, il est aussi au service du diocèse d’Oran comme vicaire général et économe diocésain.
2010 Élu prieur de la Province dominicaine de France.
2013 Le 25 janvier, il sera ordonné évêque d’Oran.
https://www.lavie.fr/papier/2013/3517/jean-paul-vesco-26681.php