10 faits et réflexions sur les abus en France
Jorge Soley, le 7.10.21 à 19:07 P
La publication en France du "Rapport Sauvé" mérite notre attention. Il s'agit d'un volumineux rapport sur les abus sexuels commis par des prêtres et des religieux sur des mineurs et des adultes vulnérables depuis les années 1950, établi à la demande de la Conférence épiscopale française par une "Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église". Ceux qui veulent connaître les éléments de base de la question peuvent les trouver dans cette nouvelle bien documentée d'InfoCatólica.
Je crois qu'il faut mettre en évidence une série de faits et de réflexions. Tout d'abord, l'horreur, la terrible douleur avec laquelle nous recevons les nouvelles d'abus sexuels commis par des prêtres et des religieux. Une horreur qui est particulièrement intense lorsqu'on est parent et que l'on pense que les victimes étaient comme ses enfants. Une douleur qui nous pousse à prier pour ces frères qui ont tant souffert et qui crient au ciel pour obtenir justice.
En ce qui concerne le "Rapport Sauvé" en particulier, je pense qu'il mérite d'être souligné :
Méthode de calcul inexacte : le rapport parle de 216 000 victimes de prêtres et de religieux, chiffre qui passe à 330 000 si l'on tient compte des abus commis par des laïcs. Pour parvenir à ces chiffres, 243 personnes ont été interrogées et 2 819 courriels ont été reçus. Puis, sur la base d'une enquête réalisée par l'Institut IFOP auprès de 21 000 personnes, une extrapolation a été faite pour arriver à ces chiffres. Lors de la présentation du rapport, Jean-Marc Sauvé a parlé d'une marge d'erreur de 50 000 abus en plus ou en moins et, de toute façon, nous ne parlons pas de faits documentés mais d'estimations. Non que cela change la gravité des faits, et je suis conscient de la difficulté de compter des événements qui se sont produits il y a un demi-siècle, mais j'aurais préféré quelque chose de plus précis.
Un faible pourcentage du nombre total d'abus : sur les 5,5 millions de victimes en France, 96% ont été abusées dans des milieux qui n'ont rien à voir avec l'Église et 4% ont été abusées dans des milieux liés à l'Église. Personne ne parle du drame et des responsabilités de ces 96% d'abus.
Homosexualité : c'est le mot tabou, mais il est évident. Soixante-quinze pour cent des abus dans la société civile en France ont été commis contre des filles. D'autre part, 80% des abus commis par des prêtres et des religieux l'ont été sur des garçons, avec une très forte concentration entre 10 et 13 ans.
Moins d'abus dans les régions plus catholiques : une chose qui a surpris certains, à commencer par Sauvé lui-même (cela lui semble paradoxal, a-t-il commenté) : les abus sont proportionnellement moins nombreux dans les régions où la pratique religieuse était plus forte, où la foi était vécue plus intensément. Dans les environnements où l'Église a perdu sa vitalité, il est plus facile pour les abus de se produire. Je ne trouve pas cela surprenant ou paradoxal, mais très logique.
Des intervalles de temps pour cacher la vérité : curieusement, les 75 années analysées dans le rapport sont divisées selon les intervalles suivants : 50-70, 70-90, 90-2020. Regrouper les données des années 1950 avec celles des années 1960 est tout simplement malhonnête. Regrouper les données de cette manière est une tentative de masquer ce qui s'est passé dans les années 1960, après le Conseil et Mai 68 (avec les "interdits d'interdire" et "avec mon corps je fais ce que je veux"). Entre 1962 et 1972, Paul VI a réduit l'état laïc à 20 000 prêtres, et le chiffre réel est estimé à plus de trois fois ce nombre, car la plupart de ceux qui ont raccroché leurs habits au cours de ces années turbulentes n'ont pas demandé la permission à Rome. Rien qu'en France, on estime à 70 000 le nombre de prêtres sécularisés. Mettre dans le même sac ce qui s'est passé dans les années 50 et ce qui s'est passé dans les années 60, avec des situations aussi disparates, est une absurdité qui ne peut se comprendre que si l'on veut camoufler la réalité. Le rapport indique que 56 % de tous les abus ont été commis au cours de ces deux décennies, mais il serait intéressant de savoir lesquels se sont produits au cours de chacune d'entre elles.
Peu/trop de prêtres abuseurs : le rapport estime à un peu plus de 2,5% le nombre de prêtres et de religieux ayant commis des abus en France. Avec toute la prudence qui s'impose, ces chiffres sont inférieurs à ceux d'autres pays où de telles analyses ont été réalisées (4,4% en Allemagne, 4,8% aux Etats-Unis). Cela dit, ils sont trop nombreux.
Curieux critères pour être digne de la confiance de la Conférence des évêques de France : la Conférence des évêques a choisi les personnes qui ont mené cette enquête sur la base de critères très curieux. Le président, Jean-Marc Sauvé, ancien novice jésuite à Lyon, était vice-président du Conseil d'État qui a décidé de laisser Vincent Lambert mourir de faim et de soif. Parmi ses nombreuses activités, il préside les dîners organisés par la Grande Loge de France. Et les estimations statistiques ont été confiées à Nathalie Bajos, spécialiste des études de genre.
Si certaines des données fournies, et c'est ce qu'on a demandé à la Commission, sont inexactes, elle est très précise dans les recommandations qu'elle fait à l'Église. Par exemple, remettre en question le célibat (mais n'était-ce pas essentiellement un problème de garçons abusant de garçons ?) ou demander la levée du secret de la confession en cas d'abus. Est-ce de la méchanceté ou de la stupidité ? Ne se rendent-ils pas compte que cela signifierait que personne ne se confesserait de ce péché ? Ne savent-ils pas que l'absolution peut être conditionnelle ?
Le discernement vocationnel, un sujet en suspens : la Commission invite l'Eglise à "adapter sa formation et à accorder une attention particulière au discernement vocationnel". C'est évident. Lorsqu'elle est concrète, elle néglige, par exemple, le fait que 80 % des victimes sont des hommes et parle, entre autres, d'"ouvrir le profil des enseignants", dont nous ne savons même pas en quoi il consiste ni comment il affecte ce grave problème. Cependant, il y a ici quelque chose qui doit être amélioré : la récente confession de l'archevêque de Milwaukee, Jerome Listecki, selon laquelle des transsexuels s'étaient glissés dans le séminaire sans s'en rendre compte, montre que quelque chose, très important, fait défaut dans l'accompagnement des vocations dans certains diocèses.
Et si nous écoutons Benoît XVI : si ce rapport montre quelque chose, il montre que beaucoup reste à faire. Mais plutôt que les recommandations confuses, voire dans certains cas désorientantes, de la Commission (même si certaines d'entre elles sont utiles), je crois que le texte que Benoît XVI a publié sur le sujet en avril 2019, intitulé L'Église et le scandale des abus sexuels, apporte beaucoup plus de lumière sur les causes profondes de cette crise et sur les moyens de la combattre. Vous y découvrirez d'ailleurs l'importance du droit canonique, ce droit qui est aujourd'hui généralement méprisé et négligé dans l'Église, pour lutter contre ce fléau des abus.
En attendant, prions pour l'Église, en particulier pour la sainteté des prêtres et des religieux, pour que ce douloureux scandale cesse, et surtout pour les victimes qui porteront cette blessure à vie.
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