D'abord félicitations, Monsieur l'abbé, pour votre thèse sur ce sujet, l'obtention brillante de votre doctorat et la prochaine publication de votre thèse. Je l'achèterai.
Ste Jeanne d'Arc a été appelée pour une mission, comme le fut Abraham et elle est condamnée par un tribunal religieux, comme le fut Notre Seigneur-Jésus-Christ Lui-même. C'est donc une très grande sainte. "La plus grande sainte après Marie", disait Péguy.
"... Pour bien la comprendre ..., il faut saisir que sa mission n'a pas pas été nationaliste et matérielle, mais d'incarnation spirituelle. Jeanne est venue comme un signe pour rayonner sur l'avenir, pour éclairer une vue de l'Etat fondée sur Dieu ...
Le roi de France, sacré à Reims, c'était le fils de Saint Louis ; c'était (dans cette union avec la Chrétienté que soulignait l'hommage d'Hugues Capet à l'Empereur) le co-héritier de la promesse et du gage de Tolbiac, du sacre et du serment de Charlemagne : c'était vraiment, comme beaucoup l'ont remarqué, le représentant de Dieu au temporel.
Jeanne soutient le style armagnac contre le style bourguignon, et donc aussi contre les Anglais, dans la mesure où ils sont le glaive de l'hérésie bourguignonne. Elle soutient les Armagnacs, c'est-à-dire les tenants d'une cité aux bases sacrées, la tradition de Clovis, de Charlemagne et de Saint Louis. Elle combat les Bourguignons, c'est-à-dire le parti politique, bourgeois et franc-maçon avant la lettre, déjà "laïque" sous une forme cléricale, le courant d'Etienne Marcel et des légistes de Philippe le Bel ...
En fait l'opposition est la suivante : d'un côté l'Etat temporel, mais à marque religieuse, fondé sur l'ordre voulu par Dieu ; de l'autre, l'Etat purement humain, fondé d'abord sur la "volonté propre" des hommes qui le constituent. C'est comme représentant légitime de l'Etat fondé sur Dieu que Charles était l'objet d'une mission. En empruntant le langage de l'Eglise, on pourrait dire que, dans un sens profond, ..., Jeanne était venue proclamer d'avance le dogme du Christ-Roi ...
Ce serait donc un contresens de s'appuyer sur Jeanne pour prôner une restauration des Bourbons, par un retour plus ou moins sournois aux routines du passé. Jeanne ne nous invite pas à faire marche arrière, même vers St Louis ; elle nous invite à promouvoir, par exemple, une cité européenne qui serait, pour notre époque, non la semblable mais l'analogue de ce qu'était pour le Moyen-Âge, la cité française de St Louis ; c'est-à-dire aussi différente de celle-ci que les deux époques sont différentes l'une de l'autre ...
Jean Jaélic (pseudonyme de Jean Hélluin - 1912-1992)
"La Droite cette inconnue", pp 207-209, Préface de Gabriel Marcel,1963, "Les Sept Couleurs.