Mon Maître me presse de rétablir la Vérité, alors - en bon serf - je m'exécute. Il parait qu'il faut rassurer la population du forum, et notamment ceux qui se soucient de mon emploi du temps.
Je veux ici profiter de ce récit pour les remercier. Leur sollicitude me touche au plus haut point.
Quand on est habitué à l'ombre, une simple éclaircie est douce au coeur.

Un temps, j'ai cru devoir encore aller à Saint-Malo. Mais mon Maître m'a rassuré. Chateaubriand n'était que vicomte. Nuance.
Il fallait chercher ailleurs. Peut-être dans Le Village ? Je ne savais pas trop. J'étais confus.

Mon Maître m'adressa par courriel (je me suis mis au québécois aussi, Diafoirus) l'adresse I.P. de l'intéressé. Un coup de fil bien placé et j'étais enfin en mesure de donner un bon coup de pied rapide.

La route me parut bien courte jusqu'à Sainte-Marie-aux-Mines. Plus que d'ordinaire. Je sentais en moi monter cette tension que seuls connaissent les hommes qui ont un devoir à accomplir, une mission à remplir.

J'avais pris l'habitude de sonner à l'interphone d'un voisin pour mieux laisser la voie libre. C'est bien connu, le facteur sonne toujours deux fois, et le voisin concerné n'y vit que du feu. Au figuré, lui.

J'ai réajusté ma cravate dans l'ascenseur. Je n'eus pas le temps de me recoiffer. L'homme habitait au troisième étage.
Alors, c'est devant sa porte que j'ai réalisé un selfie en me repeignant. Il fallait vraiment que je songe à me raser. Ou à tailler cette barbe hirsute qui trahissait mon âge.

Lorsqu'il ouvrit la porte, j'ai donné un grand coup d'épaule. Il fut tellement stupéfait qu'il en tomba à la renverse.

_ Mais, mais... qu'est-ce que vous faites ?

_ J'entre chez vous, manifestement.

_ Qui... qui êtes-vous ?, balbutia-t-il.

_ Est-ce si important ?

Il se releva en frottant les manches de son costume et en remettant son toupet en place.

_ Monsieur, vous êtes ici chez moi et vous ne vous êtes pas présenté !

Ma réponse fusa. Je l'avais répétée dans la voiture au cours du trajet, je me dois de vous le confesser.

_ Mais Monsieur, je ne crois pas que vous ayez des leçons à me donner en matière de présentation. Vous êtes vous-même plutôt du genre à ignorer les questions qui vous sont posées. Et à prendre la parole dans une assemblée sans justifier de votre présence.

_ Mon... Mon... Monsieur, vous êtes un menteur !

_ Pardon ?, l'ai-je alors interrogé en enfilant mon gant gauche.

_ Vous me filez au train, je le vois bien. Mais vous faites erreur, je vous en assure. Vous perdez votre temps. C'est une redoutable erreur. Vous allez le regretter amèrement !

J'ai alors enfilé mon gant droit.

_ Je connais votre rhétorique, mon petit bonhomme, lui ai-je alors répondu. Vous allez bientôt me parler de mon caquet, prétendant vraisemblablement le rabattre, et qui sait ? peut-être me tutoyer, n'est-ce pas ?

_ Et alors ? Si je veux te tutoyer, je te tutoie, tu te prends pour qui ? Je suis sûr (il prononce les mots dans le style chuis sur) que tu n'as même pas lu Soljenitsyne...

_ Ah ben, non ! C'est sûr. Mais je te garantis que si tu me payes pour cela, je le ferai.

Là, il est parti dans un grand éclat de rire. Un grand téclat de rire serait en fait plus expressif pour décrire la situation. Car j'ai alors senti clairement la peur monter en lui. Il commençait nettement à claquer des dents.

_ Ah ! ah ! Tu n'as même pas lu Soljenitsyne ! Ah ! ah !

C'est là que j'ai commencé à lui couper le premier doigt. L'Index. Le symbole était fort. Et comme cela il ne pourrait plus se le mettre dans l'oeil. Pas sûr qu'il comprenne un jour la leçon. Mais ce qui était fait était fait.
J'ai poursuivi par le Majeur. Il avait manifestement trop servi. C'était d'ailleurs une exigence de mon Maître, qui m'avait précisément demandé de lui apporter la preuve de ces deux exécutions capitales.
Le pouce suivit. Le grincheux s'en trouverait sûrement frustré.
L'auriculaire lui était manifestement inutile. Il était toujours resté sourd à toute contradiction. RIP.
Restait l'annulaire. Par bonté, j'ai décidé (et pris sur moi) de l'épargner. Cela lui permettrait de feuilleter son 804.
J'ai ensuite opéré de même avec sa main droite.

Un dilemme s'est alors présenté à moi au sujet de sa langue. Etait-il charitable de la lui ôter, lui que l'on s'accordait à qualifier d'Assurancetourix du Tradiland ? J'ai fini par écarter ses mâchoires, et dans un grand cri (oui, j'ai crié, pour la première fois en pareille occasion) je l'ai arrachée d'un coup sec. J'ai fini l'opération à l'aide d'un opinel, vieille relique de mes années scoutes. La lame était rouillée. Je laissais la nature faire le reste.

Je l'ai laissé là, gisant au sol.

Quelques heures plus tard, mon Maître m'écrivait en m'apprenant qu'un nouveau liseur avait sollicité son inscription au Forum sous le nom de Paul Martin. En guise de commentaire pour justifier son inscription, ces seules quatre lettres : "Raus". Décidément, je ne regrettais pas de lui avoir laissé ses annulaires.

Extrait de "Premier voyage en Collectivité européenne d'Alsace" de Lawrence Wargrave.

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