Sur le site Res Novae, dans la livraison de janvier, un article de l’abbé Claude Barthe sur « Une plongée progressive du catholicisme dans le néant ».
Le processus de réforme (réforme de la Curie ? réforme de l’Église ?) engagé par le pape François comme un développement maximal de l’« esprit du Concile » nous paraît, ainsi que nous l’avons dit à plusieurs reprises, déphasé d’avec la réalité ecclésiale actuelle de deux manières :
– d’une part, ce processus va à rebours de ce qu’attend le petit reste catholique, lequel, avec bien des nuances, est identitaire et en réaction contre l’« enfouissement » des chrétiens dans le monde, qui était le mot d’ordre de la période conciliaire.
– Et d’autre part, la tentative de s’adapter au monde de ce temps qu’il porte à son apogée est dépassée par le catholicisme postmoderne, tel qu’il est théorisé par un ensemble de théologiens qui épousent bien mieux qu’Amoris lætitia et Tutti fratelli l’ultra-modernité.
Qui l’épousent en s’y dissolvant.
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La désintégration de la pénitence :
« l’eucharistie pour le christianisme qui nous attend »
Dans un article de la revue Recherches de Science religieuse, de janvier-mars 2019, Goffredo Boselli, du studium du monastère de Bose, en Piémont, qui abrite une communauté d’hommes et de femmes de confessions chrétiennes différentes, publie sur ce thème un article qui cherche à « penser une théologie eucharistique pour notre temps ».
Il s’agit de ramener l’eucharistie et ses rites à leurs racines néotestamentaires. Or on le sait, la vie de Jésus montre maints exemples de cette convivialité joyeuse qu’il a pratiquée avec toutes sortes d’invités, spécialement avec les pécheurs. Dans ce partage de la table, à l’époque de Jésus comme aujourd’hui, les convives se reconnaissent dépendants les uns des autres dans le partage du pain comme de la parole.
Mais parce que Jésus a partagé la table des pécheurs, explique Goffredo Boselli, il ne peut jamais y avoir de « table du Seigneur » qui ne soit en même temps table des pécheurs, l’Eucharistie devenant lieu essentiel de miséricorde.
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« Le christianisme qui nous attend exigera la reconnaissance des conditions morales des personnes, des formes de vie les plus variées, stables ou temporaires, vécues seul ou ensemble, voire par des personnes de même sexe ». Reconnaissance devant s’entendre comme discernement du désir de pardon chez ces personnes qui viennent prendre part à la table eucharistique, quand bien même leur désir de changer de vie serait purement implicite : « Il faudra leur adresser une parole capable d’exprimer les exigences de l’Évangile et en même temps consciente des fragilités humaines, les conjuguant sans renier les unes ni les autres ». Ne pas « renier » les fragilités humaines… En un mot comme en mille, accepter que ces personnes prennent part à l’eucharistie en restant dans leur péché. Ainsi « la table du christianisme qui nous attend » sera une « liturgie de miséricorde ».
Étrange miséricorde qui ne dira plus au pécheur : « Va, ne pèche plus ! », mais : « Viens, avec ta fragilité ! ».
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La désintégration du dogme : la modernité tardive et l’évolution de la doctrine des sacrements
Andrea Grillo (« I Sacramenti come luogo di elaborazione di identità ecclesiale e di differenza sessuale »), , qui milite pour l’accès de femmes à la présidence des sacrements, expose que saint Thomas écartait les femmes des actes du culte en raison de conceptions aujourd’hui dépassées.
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Grillo réduit le débat à une question de « discipline ». Il affirme ainsi que l’Église doit aujourd’hui assumer le passage d’un état du monde prémoderne, où la théologie et la « discipline » ont écarté les femmes des rôles de responsabilité (y compris, ce qu’il omet de dire, dans le premier péché, où le dogme réserve le rôle décisionnel au père de l’humanité), à une tout autre compréhension du rôle des femmes aujourd’hui, dans la modernité tardive.
De sorte que, selon le schéma moderniste porté ici à son maximum, le dogme se réduit à une sorte de photographie sociologique.
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La désintégration du religieux : L’esprit du christianisme du P. Joseph Moingt
Plus que le dogme intangible, c’est l’idée même de religion que remet en cause Joseph Moingt, considérant la révélation évangélique comme celle d’un humanisme nouveau qui serait l’instance critique de toute religion, y compris la religion chrétienne. Ainsi, ce que Chateaubriand porte au crédit du Génie du christianisme pour le défendre contre les Lumières est en fait, selon J. Moingt, « à l’œuvre dans nos sociétés “postchrétiennes” » et non du côté de la religion, qui doit en être bien dissociée. Du coup peut se renouer le lien entre la société occidentale et le christianisme rompu par les Lumières, lesquelles ont été en réalité engendrées par l’esprit du christianisme et sont en quelque manière plus évangéliques que la religion qui se réclame de l’Évangile.
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« Ce n’est plus le temps des réformes, mais d’une rupture radicale »
Pour P. José Maria Virgil, le phénomène religieux, dont la religion chrétienne est un avatar, est apparu « récemment », au néolithique. Pendant trois millénaires avant notre ère, les religions se sont constituées et ont partagé le même présupposé anthropo-théo-cosmique sécrétant entre autres l’idée d’une divinité d’« en haut ». Cette période de l’histoire s’est achevée avec l’émergence et le développement des « sociétés du savoir » : le changement du christianisme en cours est semblable à une mutation génétique, qui transforme l’identité biologique de l’être vivant, pour provoquer un changement d’espèce ; la situation qui en résulte peut être comparée au naufrage du Titanic, à l’occasion duquel les passagers pouvaient se rassembler frileusement à l’arrière avec l’orchestre et couler avec le navire, ou au contraire de se porter en avant vers les radeaux vers une nouvelle aventure.