Bonjour,
Il est étonnant que ce texte ou, plus précisément, le second de ces deux textes, ne fasse pas réagir, alors qu'il comporte au moins une section tout à fait "interrogeable", me semble-t-il.
Voici cette section, en trois parties, dont ces deux paragraphes :
"La rupture de l’âge moderne
La synthèse entre raison, foi et vie qui est à la base de la victoire du christianisme est longtemps restée vive et efficace à travers la transformation des situations historiques. Cependant, au cours de ces derniers siècles, cette synthèse s’est progressivement affaiblie et elle ne parvient désormais plus à convaincre. Dans l’Europe d’aujourd’hui, la rationalité et le christianisme sont souvent considérés comme contradictoires et mutuellement exclusifs. C’est ainsi que le christianisme a fini par se retrouver dans une crise profonde, basée sur la crise de sa prétention de vérité. Ratzinger se demande pourquoi cela s’est produit et qu’est-ce qui a concrètement changé, aussi bien dans le christianisme que dans la rationalité.
En ce qui concerne le christianisme, la réponse est qu’à l’encontre de sa nature, il était devenu tradition et religion d’État tandis que la voix de la raison avait été trop domestiquée. C’est l’un des mérites de l’illuminisme moderne d’avoir remis à l’ordre du jour certaines valeurs originales du christianisme et d’avoir rendu à la raison sa voix propre. Le Concile Vatican II a de nouveau mis en évidence la profonde correspondance entre christianisme et illuminisme, en cherchant à parvenir à une véritable conciliation entre Église et modernité, qui constitue le grand patrimoine que les deux parties doivent protéger."
Voici, entre guillemets, ce qui m'a plus particulièrement fait réfléchir :
1. "En ce qui concerne le christianisme, la réponse est qu’à l’encontre de sa nature, il était devenu tradition et religion d’État tandis que la voix de la raison avait été trop domestiquée."
D'une part, je ne vois pas en quoi le fait que le christianisme soit devenu une tradition et une religion d'Etat est un fait situé "à l'encontre de sa nature", à l'encontre du christianisme lui-même, d'autant plus que même quand le christianisme a été en position dominante, dans le monde européen et/ou occidental, il ne s'est pas auto-réduit, d'une manière stérilisante, à une "tradition" ou à une "religion d'Etat".
D'autre part, au moins dans un premier temps, c'est-à-dire au XVI° siècle, dans le cadre de la réforme protestante, il n'a pas été question de dire que "la raison avait été trop domestiquée", par exemple à partir du XII° siècle et de l'apparition de la scolastique, mais il a été question de dire, au contraire, que c'est la foi, et non la raison, qui avait été "trop domestiquée".
2. "C’est l’un des mérites de l’illuminisme moderne d’avoir remis à l’ordre du jour certaines valeurs originales du christianisme et d’avoir rendu à la raison sa voix propre."
Je suppose que "l'illuminisme moderne" dont il est question ici renvoie aux Lumières, en général, et au siècle des Lumières, en particulier, qui ont peut-être remis à l'ordre du jour "certaines valeurs originales du christianisme", mais qui l'ont sûrement fait en les amputant ou en les déformant, et qui ont peut-être "rendu à la raison sa voix propre", mais qui l'ont sûrement fait en imposant une nouvelle conception, non chrétienne, sinon anti-chrétienne, de la raison, du raisonnement et de la rationalité.
3. "Le Concile Vatican II a de nouveau (?!) mis en évidence la profonde correspondance (?!) entre christianisme et illuminisme, en cherchant à parvenir à une véritable conciliation (?!) entre Église et modernité, qui constitue le grand patrimoine (?!) que les deux parties doivent protéger (?!)."
A. Il faudrait savoir dans quel texte de Vatican II le Concile a explicitement et spécifiquement "mis en évidence la profonde correspondance entre christianisme et illuminisme", ou plutôt entre christianisme et Lumières (y compris en ce qu'il y a de plus anti-chrétien ou de plus pré-terroriste dans les Lumières françaises ?).
B. Et il faudrait aussi savoir quels sont les fondements et quel est le contenu de cette "profonde correspondance",
- depuis Descartes et seulement jusqu'à Kant inclus,
ou
- depuis Descartes et jusqu'au XIX° siècle, à l'inclusion de Schleiermacher, de Hegel et de Lamennais, mais à l'exclusion des "maîtres du soupçon" : Marx, Nietzsche et Freud ?
C. C'est d'autant plus important que le Concile Vatican II "a mis en évidence" cette "profonde correspondance entre christianisme et illuminisme", "en cherchant à parvenir à une véritable conciliation entre Église et modernité, qui constitue le grand patrimoine que les deux parties doivent protéger".
D. En l'occurrence, ne s'agit-il pas d'une tentative de conciliation
- extrêmement imprécise : cette conciliation est-elle envisageable avec tout ce qui fait partie de la modernité ?
et
- absolument imprudente : en quoi donc la modernité, compte tenu de ses fondements et de son contenu, clairement et fermement libérateurs, à l'égard du christianisme catholique, est-elle propice, de son côté, à une conciliation avec le christianisme ?
En d'autres termes, la fin de ce paragraphe, d'après laquelle la conciliation (réaliste ?) entre christianisme et modernité (depuis quand et jusqu'à quand ?) "constitue le grand patrimoine que les deux parties doivent protéger" me rappelle la vision des choses de ceux qui considèrent en substance que, dans l'ordre de la foi comme dans celui des moeurs, tout chrétien anti-moderne est un mauvais chrétien et que tout moderne anti-chrétien est un mauvais moderne...
Cette vision des choses, "christiano-moderne", pour ainsi dire, est porteuse d'incohérences et d'inconséquences, et est d'autant plus difficilement approuvable, à la lecture du paragraphe qui suit celui qui vient d'être analysé, que ce troisième et dernier paragraphe est descripteur de ce que sont vraiment, notamment en puissance ou en tendance, les Lumières ou la modernité :
"C’est pourtant du côté de la rationalité qu’est intervenu le changement décisif. L’unité relationnelle entre raison et foi à laquelle Thomas d’Aquin avait donné une forme systématique s’est effritée toujours plus à travers les grandes étapes de la pensée moderne, jusqu’à la situation culturelle d’aujourd’hui, caractérisée par le primat de la science et de la technique: l’idée que la connaissance scientifique soit la seule à être réellement valide est répandue. Dans ce cadre, la théorie de l’évolution a fini par revêtir le rôle d’une sorte de vision du monde ou de “philosophie première” qui serait d’une part rigoureusement scientifique et qui constituerait de l’autre, au moins potentiellement, une explication ou une théorie universelle de la réalité toute entière, au-delà de laquelle les questions ultérieures sur l’origine et la nature des choses ne seraient plus nécessaires ni même permises. L’affirmation “Au commencement était le Logos” se trouve donc renversée, avec à l’origine de toute la matière-énergie, le hasard et la nécessité. Le résultat final est donc l’athéisme."
De toute façon, aujourd'hui, nous n'en sommes plus à une tentative de conciliation, conciliaire, entre le catholicisme et la modernité, cette tentative semblant vraiment avoir été effectuée à l'initiative du catholicisme et au bénéfice de la modernité, mais nous en sommes à une tentative de conformation du néo-catholicisme à la post-modernité, c'est-à-dire à une conception dominante de la raison, du raisonnement et de la rationalité, notamment dans les sciences humaines, qui n'est pas très respectueuse de ce qu'a été le catholicisme et qui n'est pas beaucoup plus respectueuse de ce qu'a été la modernité, dans ce qu'elle a eu de moins non chrétien ou de plus chrétien, au XVII° siècle...
Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour mon manque de brièveté ou de clarté, et je vous souhaite une bonne journée.
Scrutator.