DEUXIÈME PARTIE
L'ÉVITERNITÉ ET LE TEMPS DISCONTINU
Quelle est la durée des âmes séparées ? (Saint Thomas traite cette question Ia, q. 10, a. 4-6, surtout a. 5. c. et ad. Im (Cf. CAJETAN, JEAN DE SAINT THOMAS, GONET). On distingue trois principales durées : le temps, l'éternité et une durée intermédiaire appelée l'aevum ou l'éviternité dont nous allons parler.
Sur terre notre durée est le temps continu, qui est la mesure du mouvement continu, surtout du mouvement apparent du soleil ; c'est ainsi que nous distinguons les heures, les jours, les années, les siècles. - Lorsque l'âme est séparée de son corps et n'est pas encore béatifiée, elle a une double durée : l'aevum, l'éviternité et le temps discontinu.
L'éviternité est la durée de ce qu'il y a d'immuable dans les anges et les âmes séparées, la durée de leur substance, de leur connaissance naturelle de soi et de Dieu et de l'amour qui en résulte. L'éviternité ne comporte pas de variété, de succession, c'est un perpétuel présent ; mais elle diffère de l'éternité, parce que de fait elle a commencé et parce qu'elle est unie au temps discontinu qui suppose l'avant et l'après.
Le temps discontinu ou discret, opposé au temps continu ou solaire, est dans les anges et les âmes séparées, la mesure de leurs pensées et affections successives. Une pensée dure un instant spirituel, la pensée suivante dure un autre instant spirituel.
Nous en avons quelque idée en réfléchissant à ceci que, sur terre, une personne en extase peut rester deux heures solaires et plus dans une seule pensée, qui représente pour elle un seul instant spirituel. De même l'histoire caractérise les siècles, par exemple le XIIIe ou le XVIIe par les idées qui prédominent en chacun d'eux ; on dit : le siècle de saint Louis et celui de Louis XIV.
Il suit de là qu'un instant spirituel dans la vie des anges ou des âmes séparées peut durer plusieurs jours et même plusieurs années de notre temps solaire, comme une personne qui est en extase pendant trente heures de suite, peut être absorbée par une seule pensée.
Pour les âmes béatifiées, à cette double durée de l'éviternité et du temps discontinu, s'ajoute l'éternité participée, qui mesure leur vision béatifique de l'essence divine et l'amour qui en résulte. C'est l'unique instant de l'immobile éternité, sans aucune succession.
L'éternité participée diffère pourtant de l'éternité essentielle, propre à Dieu, comme l'effet diffère de la cause, et parce qu'elle a commencé. De plus l'éternité essentielle de Dieu mesure tout ce qui est en lui , sa substance et toutes ses opérations, tandis que l'éternité participée ne mesure en l'âme béatifiée que la vision béatifique et l'amour de Dieu qui en résulte.
L'éternité est comme le point indivisible qui est le sommet d'un cône, ou d'une montagne ; le temps continu est figuré par la base de ce cône ; l'éviternité et le temps discontinu sont entre les deux comme une section conique circulaire et comme le polygone inscrit en cette section circulaire.
Le temps continu s'écoule sans cesse ; son présent (nunc fluens) fuit toujours entre le passé et l'avenir ; notre vie présente comporte dès lors une succession d'heures variées de travail, de prière, de sommeil. L'éternité au contraire est un perpétuel présent (nunc stans) sans passé, ni futur, l'unique instant d'une vie qui se possède toute à la fois (tota simul).
L'éviternité s'en rapproche, elle permet de mieux concevoir l'immutabilité de la vie de l'âme séparée, non béatifiée ou non encore béatifiée : l'immutabilité de la connaissance qu'elle a d'elle-même, l'immutabilité du vouloir qui se porte sur la fin dernière choisie, l'immutabilité du vouloir dans le bien ou dans le mal, qui est la suite de l'immutabilité du jugement sur la fin dernière, à partir de l'instant de la séparation du corps.
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde