Bonjour AVV-VVK,
Le cardinal Brandmüller a raison sur un point et tort sur un autre.
D'une manière générale, toute personne qui précise ou rappelle que Nostra aetate ne promeut explicitement ni l'indifférentisme, ni le relativisme, ni le subjectivisme, ni le syncrétisme, a raison de le faire.
Avec Nostra aetate, et plus précisément avec la première partie de Nostra aetate, nous sommes plutôt en présence d'un texte qui promeut de la compréhension et de la coopération interreligieuses sur un "théâtre d'opérations" qui est avant tout celui des valeurs morales et spirituelles à caractère humaniste :
"L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes.
Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses.
Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux."
Si nous traduisons ce qui précède en termes philosophiques, nous aboutissons, me semble-t-il, à la conclusion suivante : Nostra aetate a pour objet ou, en tout cas, pour effet, la promotion d'une forme d'ad-différenciation, celle d'un genre de perspectivisme, celle d'une sorte de sincéritisme et celle d'un type de concordisme moral interreligieux.
Il est vrai que cette "ad-différenciation", ce "perspectivisme", ce "sincéritisme" et ce "concordisme" n'équivalent pas exactement à de l'indifférentisme, à du relativisme, à du subjectivisme et à du syncrétisme.
MAIS il est également vrai que les partisans du consensualisme ou de l'inclusivisme interreligieux, considéré, en quelque sorte, comme un "juste milieu", NI controversiste ou exclusiviste, NI confusionniste ou relativiste, sont fréquemment impuissants, inertes, silencieux ou suivistes, face aux catholiques qui, encore plus depuis le début de l'après-Assise que depuis celui de l'après-Concile, font aller le dialogue interreligieux vraiment beaucoup plus loin que ce qui a été permis ou prescrit par Nostra aetate et permis ou prévu par les auteurs de cette déclaration "pastorale" (cf. le nouveau sens de ce mot).
Et c'est à cet endroit que se situe, à mon avis, l'erreur des conciliaires conservateurs : en effet, ces derniers s'expriment en donnant vraiment souvent l'impression qu'ils considèrent que le "Nostra aetatisme de stricte observance" existe, et qu'il suffit d'être partisan de ce "Nostra aetatisme de stricte observance" pour avoir le seul bon positionnement, en direction des religions non chrétiennes et dans le domaine du dialogue interreligieux.
Or c'est faux : le "Nostra aetatisme de stricte observance" n'existe pas, et n'a même probablement jamais vu le jour ; au demeurant, compte tenu du fait que Jean-Paul II et l'esprit d'Assise sont allés beaucoup plus loin que Paul VI et l'esprit du Concile (en ce que celui-ci se manifeste notamment dans Nostra aetate), si le "Nostra aetatisme de stricte observance" avait vu le jour, à partir de l'année 1965, des clercs catholiques partisans de ce "point d'équilibre" auraient dit à la fois OUI, bien sûr, à Nostra aetate, mais aussi NON, bien sûr, au discours de Casablanca, en 1985, et à la journée d'Assise, en 1986...
La vérité oblige à dire que Nostra aetate a accéléré, amplifié, légitimé ou valorisé une dynamique pré-existante, qui est tellement adogmatique ad intra et consensualiste ad extra que toute tentative d'assagissement ou de canalisation, orthodoxe et réaliste, de cette dynamique, qui entendrait prendre appui sur la lettre de Nostra aetate afin de distinguer entre "le véritable esprit de NA" et "le faux esprit de NA" s'expose en permanence au risque de n'avoir aucune portée pratique, dans l'Eglise catholique, comme on l'a bien vu, après la publication de Dominus Iesus, en l'an 2000.
Un dernier argument s'impose ici : les partisans du contournement ou du dépassement de la "théologie de l'accomplissement" (cf. Daniélou) et aussi de ce qui semble vraiment être le "Nostra aetatisme de stricte observance", dans l'esprit des conciliaires conservateurs, ne sont absolument pas dépourvus d'arguments, et ces arguments ne sont absolument pas dépourvus d'intérêt. Lisez le dominicain Claude Geffré et le jésuite Jacques Dupuis, et vous saurez de quoi il est question.
Or, la question qui mérite d'être posée, au contact de telle théologie partisane de "l'oecuménisme interreligieux" ou du "pluralisme religieux", n'est pas une autre que celle-ci : au contact de l'une ou l'autre de ces théologies, sommes-nous encore en présence d'une théologie d'inspiration surnaturellement et théologalement chrétienne et catholique, et ne sommes-nous pas plutôt en présence d'une théologie connaturellement et partenarialement humaniste et panchristique ?
En d'autres termes, encore plus depuis 1965 que depuis l'apparition, dès le début des années 1930, d'un état d'esprit plus ou moins proche de celui de Massignon et/ou de Monchanin, sinon tel que cet état d'esprit, sommes-nous seulement en présence d'un problème de "dosage" pastoral, et ne sommes-nous pas avant tout en présence d'un problème de "portance" doctrinale ?
Là est la question, me semble-t-il...
Bonne journée.
Scrutator.