A l'époque où saint Anselme a écrit ces lignes (fin XIe -début XIIe), il est un partisan de ce qui a été appelé improprement la Réforme grégorienne (les pape régnant étant alors Urbain II de 1088 à 1099 et Pascal II de 1099 à 1118). Il est l'un des acteurs de la Querelle des investitures. L'opposition entre le pouvoir royal anglais soutenu par des ecclésiastiques, comme dans d'autres pays de la Chrétienté, et les "Grégoriens" ne peut se réduire à un conflit entre des chrétiens et des laïcards, puisque des Chrétiens se trouvaient dans les deux camps. Ainsi Hugues de Fleury, moine à Saint-Benoît-sur-Loire (mort approximativement en 1120), qui dédie au roi Henri Ier Beauclerc, son ouvrage "De potestate regali et de sacerdotali dignitate" dans lequel il affirme la prééminence du pouvoir royal sur la dignité sacerdotale.


Je ne résiste pas au plaisir de vous citer le prologue de cet ouvrage, qui prend le contrepied des idées défendues par saint Anselme.

" Au très glorieux roi des Anglais Henri, le frère Hugues, dernier de tous les moines, moine du très saint Benoit de Fleury, don de paix perpétuelle.

Considérant, ô seigneur roi, le point de désaccord dans lequel la sainte Église est mêlée au sujet du pouvoir royal et de la dignité sacerdotale, que certains distinguent et divisent l’une de l’autre, j’ai décidé de rédiger ce petit livre (libellulus), avec un soin pieux et un amour fraternel, grâce auquel ce conflit puisse s’apaiser, et l’erreur qui a été longuement et largement répandue puisse être également pacifiée : erreur, dis-je, de ceux-qui, séparant sans réflexion (temere) la dignité sacerdotale de la dignité royale, bouleversent l’ordre disposé par Dieu, alors qu’ils croient savoir ce qu’ils ignorent. Ils pensent en effet que la disposition du royaume terrestre ne vient pas de Dieu, mais qu’elle a été ordonnée ou disposée par les hommes.

Et pour cette raison, ils placent la dignité sacerdotale au-dessus de la majesté royale, quand pourtant, elle [la dignité sacerdotale] devrait lui être soumise [à la majesté royale] dans l’ordre (ordo), et non en dignité (dignitas), comme ce présent livre le déclarera. Une fois repoussée l’ignorance obscure de cette erreur-ci, ils seront peut-être tranquillisés par les dogmes divins et les paroles rationnelles. Erreur, de fait, qui doit être évitée non seulement dans les grandes, mais aussi dans les petites choses. Or l’erreur n’est rien d’autre que de penser faux ce qui est vrai, et vrai ce qui est faux, ou de tenir le vrai pour incertain, ou de dévier du chemin de la raison. Quant à ceux-là qui, désirant seulement justifier dans leur délire l’ordre des choses, ordre que Dieu a disposé, s’appliquent à l’anéantir, ils encourent le crime de sacrilège, et sont appelés avec raison pharisiens. Car pour cette raison, notre créateur et sauveur le Seigneur Jésus Christ a été jugé digne, par un sacrosaint mystère, d’être appelé roi en même temps que prêtre (rex et sacerdos) afin de nous montrer par quel lien et par quelle affinité le roi et le prêtre devraient mutuellement s’accorder entre eux. Car ce qui est lié dans l’unité est indissociable. C’est un fait n’est-ce pas que, lorsque les pouvoirs se séparent et se heurtent mutuellement, la paix est détruite, et l’Église, que le Christ lui-même a bien voulu racheter par son sang, est malheureusement troublée.

Par conséquent, ô seigneur roi, j’ai décidé pour cette raison, de vous confier et de vous dédier cet ouvrage, pour qu’il soit confirmé et fortifié par la faveur de votre autorité, et répandu dans de très nombreux lieux, ou, s’il était inutile, pour qu’il soit détruit. Dans cette affaire, je mets mes pas dans ceux des hommes d’autrefois, qui présentaient jadis leurs études aux rois imprégnés d’études littéraires.

Enfin, je prie l’excellence de votre grandeur afin qu’elle examine attentivement et reprenne cette œuvre par elle-même (seorsum) et avec les sages qui sont à vos côtés, et qu’elle s’efforce de découvrir tout ce que vous aurez vu en lui de réfutable. Car je sais que ce traité sera non seulement condamné, mais aussi conspué, par ceux qui se préparent à détruire l’ordre des choses par leur irréflexion (temeritas), soit parce qu’il leur paraitra dévier de leur façon de voir, soit parce qu’il leur paraitra exposer la question dans un style rustique. Car la plupart du temps, hélas, leur cécité et leur irréflexion plaisent à ceux qui sont aveugles dans leur cœur. Pourtant, je les prie, au nom de leur noblesse, de ne pas salir ma rustique éloquence mais de préférer écouter des propos vrais plutôt qu’habilement présentés. Je sais pour le reste que l’on entend plus sûrement la vérité qu’on ne la prêche.

C’est pourquoi maintenant je demande leur indulgence à toutes les vénérables évêques (praesules), à tous les autres prélats de la Sainte Église, et dans le même temps aux clercs sensés qui liront tout cela, afin qu’ils ne me jugent pas présomptueux ou téméraire, comme si moi, j’entreprenais de les instruire avec arrogance, eux qui sont assis sur leurs chaires et qui connaissent les secrets de la philosophie divine. Je demande qu’ils ne le jugent pas ainsi, mais qu’ils lisent et accueillent avec piété et bienveillance ce traité. Je souhaite en effet qu’à la fois tous les vénérables pères eux-mêmes, et à la fois mes maîtres, fassent quotidiennement des progrès dans le Christ Jésus notre Seigneur et que le corps de la sainte Église disposé selon un ordre convenable aux temps de ceux-ci [des maîtres et seigneurs] soit fortifié et qu’il jouisse immédiatement d’un solide traité de paix. Quand à vous, ô seigneur roi, que le Seigneur tout puissant veuille bien par sa grâce, dans notre intérêt, vous conserver sain et sauf (sanum et incolumen) tout au long des péripéties des temps. Amen."


"Dieu n’a rien de plus cher sur la terre que la liberté de son Église", je serais grandement intéressé par la référence de la citation.

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