QUATRIÈME PARTIE
L'ABANDON CONFIANT A LA PROVIDENCE
CHAPITRE IV
LA GRACE DU MOMENT PRÉSENT ET LA FIDÉLITÉ DANS LES PETITES CHOSES
La fidélité dans les petites choses
« Qui fidelis est in minimo, et in majori
fidelis est », (Luc, XVI, 10)
Et alors il peut arriver deux choses fort différentes : Ou bien l'âme voit d'elle-même le chemin à prendre, et elle le suit ; ou bien elle ne le voit pas et parfois s'égare dans son ascension au point de redescendre sans bien s'en apercevoir.
Voir ce chemin de la vraie humilité, c'est découvrir dans la vie courante, du matin au soir, des occasions de faire, pour l'amour de Dieu, des actes très petits en apparence, mais dont la répétition incessante est des plus précieuse et conduit à cette délicatesse envers Dieu et envers le prochain qui, lorsqu'elle est constante et profondément sincère, est la marque de la charité parfaite.
Les actes qui sont alors demandés à l'âme sont fort simples, ils passent inaperçus ; il n'y a en eux aucune prise pour l'amour-propre ; Dieu seul les voit, et il semble même à l'âme qu'elle ne lui offre pour ainsi dire rien. Mais ces actes, dit saint Thomas[80], sont comme les gouttes d'eau qui tombent toujours au même endroit et qui à la longue creusent la pierre.
Et c'est ainsi que s'opère peu à peu véritablement l'assimilation des grâces reçues. Ainsi ces grâces pénètrent l'âme et toutes ses facultés, en les surélevant, et peu à peu tout se met au point surnaturellement comme il le faut. Sans cette fidélité dans les petites choses en esprit de foi, d'amour, d'humilité, de patience et de douceur, il n'y a pas pénétration de la vie active, c'est-à-dire de la vie courante de tous les jours, par la vie contemplative. Celle-ci reste comme au sommet de l'intelligence ; elle y est plus spéculative que contemplative, elle ne pénètre pas notre existence, notre manière de vivre ; elle reste presque stérile, tandis qu'elle devrait être chaque jour plus féconde.
Ceci est d'une importance souveraine. Saint François de Sales en a plusieurs fois parlé[81]. Sous une autre forme saint Thomas dit la même chose lorsqu'il nous enseigne, nous l'avons vu, qu'il n'y a pas dans la réalité concrète de notre vie un seul acte délibéré qui soit, hic et nunc, moralement indifférent[82].
Tous les actes délibérés d'un être raisonnable doivent être raisonnables, avoir une fin honnête, et tous les actes d'un chrétien doivent être au moins virtuellement ordonnés à Dieu aimé par-dessus tout. C'est ce qui montre l'importance des actes multiples que nous avons à accomplir chaque jour : ils sont très petits peut-être en eux-mêmes, mais grands par leur rapport à Dieu et par l'esprit de foi, d'amour, d'humilité, de longanimité, avec lequel nous devons les accomplir et les offrir à Dieu.
Le moment critique, dont nous parlons, marque un tournant difficile dans la vie spirituelle de bien des âmes qui ont été assez avancées, et qui courent risque de redescendre.
Arrivée là, si l'âme qui s'est montrée généreuse, héroïque même, mais avec une manière encore beaucoup trop personnelle de juger et d'agir, ne s'aperçoit pas qu'il faut changer, elle continue à marcher en vertu d'une vitesse acquise, et sa prière et son action ne sont plus ce qu'elles doivent être. Il y a là un réel danger. Cette âme peut devenir pour toujours une âme attardée, son développement peut s'arrêter, comme celui d'un nain devenu difforme ; ou bien elle peut prendre une fausse direction.
Au lieu de l'humilité vraie, peut se développer en elle une espèce d'orgueil raffiné, et malheureusement presque inconscient, qui n'apparaît guère d'abord que dans les détails de la vie courante, et qui pour cette raison est ignoré des directeurs qui ne vivent pas avec ceux qu'ils dirigent. Cet orgueil prend rapidement la forme d'une certaine désinvolture ironique, pour devenir ensuite une amertume, qui stérilise tout en se répandant sur toute la vie quotidienne, dans les rapports avec le prochain. Cette amertume peut devenir rancœur et mépris du prochain qu'il faudrait aimer pour l'amour de Dieu. Quand une âme en arrive là, il est difficile de l'amener à faire de saintes réflexions, pour qu'elle revienne au point où elle s'est trompée de route. C'est à la Vierge Marie qu'il faut recommander ces âmes ; souvent elle seule peut les ramener dans le droit chemin[83].
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde